Le Trésor de la caverne d’Arcueil
La Revue de ParisTome Seizième (p. 326-327).
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XVIII.


Ce ne fut que dans l’après-midi que revint l’estafette expédiée au roi par M. d’Argenson.

Huit heures et plus s’étaient écoulées entre l’intervalle du départ et du retour, et ces huit heures trop rapides, au gré de M. le lieutenant, ne lui avaient paru que quelques doux instants passés dans une ravissante compagnie.

Il est vrai qu’après la lecture faite du calepin du malheureux neveu de maître Jean, il s’était mis aux pieds de sa captive et n’avait plus cessé de l’entourer des soins les plus empressés, et de lui donner toutes les marques d’admiration et de sympathie que peut imaginer la courtoisie la plus raffinée.

Suzanne s’était défaite peu à peu de sa première rudesse ; elle recevait les propos galants et les témoignages affectueux de son admirateur d’une façon moins dédaigneuse ; elle avait senti sans doute qu’il y avait plus à perdre qu’à gagner à la rébellion. — Il est si facile à la beauté de changer des chaînes en guirlandes de fleurs.

Une partie de la matinée s’était ainsi passée délicatement dans les joyeux devis et dans les plaisirs expansifs de la table ; rien ne favorise davantage les doux propos et les jeux de l’esprit. M. d’Argenson avait fait improviser un déjeuner fort agréable et fort mignon, et vraiment assez somptueux pour n’être composé que des ressources culinaires d’un village.

Comment Suzanne eût-elle pu résister à de si aimables manières, à de si nobles attentions ? Cette dernière circonstance, je veux dire celle du déjeuner, avait contribué surtout à ramener la cruelle.

La réponse du roi qu’avait apportée le messager était brève et positive.

« Bonne prise ! sa majesté y disait-elle. — Faites mettre au Donjon tous ces chercheurs d’or, et faites mettre tout cet or dans ma cassette ; il servira à payer la pension de nos magiciens, et subviendra aux frais de la nouvelle guerre que je prépare. — La chose sera tenue cachée. Laissez ces cadavres dans leur tombeau naturel, et faites combler ce repaire pour qu’il n’en soit plus question désormais. »

Armé de cet ordre souverain, M. le lieutenant-général ne tarda pas à se montrer dans notre appartement, où, depuis qu’il nous y tenait confinés, il ne nous avait fait que quelques visites assez courtes. Cela se conçoit, nous avions perdu la plus belle partie de nous-mêmes ; il nous avait dérobé la seule perle qui brillât sur notre front, le seul parfum qui fumât parmi nous ; il nous avait ôté notre Suzanne ! Suzanne était auprès de lui, Suzanne l’inondait, le fascinait, l’enivrait, l’immobilisait… Eh ! qui donc quitterait volontiers les doux rayons qui émanent d’un astre pour une atmosphère stupide et désolée ?

Ce n’est pas que nous fussions restés absolument dans les larmes ; non, grâce à notre révérend prieur, homme si plein de stratagèmes en pareille matière, et à l’obligeance du propriétaire du château, qui se trouvait prisonnier comme nous, prisonnier dans sa propre demeure, nous avions improvisé aussi, de notre côté, un déjeuner fort peu frugal, mais sans gloire : Suzanne y manquait. Bacchus à moins eût pris le deuil. Je sais bien que, pour mon compte, si je n’eusse craint d’aggraver ma faute et d’empirer ma position, je me serais déclaré ouvertement le rival de M. le lieutenant-général, et, les armes à la main, j’eusse réclamé notre Hélène.

— Messieurs, nous dit M. d’Argenson, affectant d’éprouver un vif regret (cet air de regret fait partie du matériel d’un magistrat), j’ai reçu les ordres que j’attendais de sa majesté, ils sont comme je l’avais prévu, fort précis et fort sévères ; mais comptez sur ma bienveillance, sur l’intérêt que je vous porte ; je ferai tout ce qui dépendra de moi pour atténuer les suites de la colère royale. Croyez bien que, si cela était en mon pouvoir, cette affaire, qui d’ailleurs est fort s’aurait pas des conséquences bien fâcheuses.

Mensonge et hypocrisie ! Une heure après ce beau discours, sans égard pour notre rang et notre qualité, on nous entassait dans une charrette couverte, empruntée sans doute à quelque fermier du pays, et sans nous faire connaître notre destination, on nous fit partir sous une bonne escorte de gardes à cheval de la maréchaussée.

Comme le soleil descendait à l’horizon et que la terre commençait à s’envelopper dans le voile sombre du soir, nous atteignîmes le bois et le donjon de Vincennes.

Je vous laisse à penser quels furent notre effroi et notre stupeur, quand nous nous vîmes entraînés dans les murs de cette prison d’état.