Comptoir des Imprimeurs-Unis (p. 265-281).


XXIX

Champel.




Champel, 26 sept.

Le soleil a cessé de faire relâche aujourd’hui et je cours la campagne ; puissé-je ne pas la battre en t’écrivant, ce qui m’arrive quelquefois.

Je suis à un quart de lieue de la ville, sur la funèbre colline qui fut arrosée du sang de tant de suppliciés célèbres ou obscurs ; sur la colline de Champel, ancien lieu des exécutions de la justice civile de Genève, et où, en premier lieu, un comte du Genevois, ennemi de la ville et d’un comte de Savoie Édouard, fit bâtir une petite forteresse que ce dernier détruisit.

Je ne trouve aucunes traces du gibet auquel fut clouée la tête de Berthelier, rien ne m’indique le lieu où Michel Servet, l’anti-trinitaire, fut brûlé vif, où Jean Philippe, qui avait fait une émeute en faveur de la faction dite des Artichauds dévouée aux intérêts de Berne, fut décapité en 1540 ; partout des pensionnats, des enclos, de petites campagnes paisibles, de belles plantations, des prairies, des sentiers bordés de buissons. Qui pourrait imaginer, s’il ignorait l’histoire, que le sol de ce coteau délicieux est, en quelque sorte, formé de la poussière de cadavres ; que là où les bourgeois de Genève viennent se livrer aux douceurs de la villeggiature, où les enfants folâtrent dans les vergers, où les fleurs s’épanouissent et les fruits se colorent, où les oiseaux murmurent et sifflent de branche en branche, où les parterres exhalent leur arôme, des milliers de malheureux périrent dans les angoisses, dans les tortures, par le feu, par la corde ou par la hache, pour des crimes, des systèmes, des croyances, des opinions, des partis ?...

Tout ici respire la quiétude, le bien-être, le bonheur reposé ; mais sous l’allée de catalpas que parcourt une belle promeneuse un livre à la main, et rêvant de sa lecture, agréable sans doute, il y a peut-être plusieurs couches d’ossements humains...

Oh ! si me présentant tout-à-coup devant elle, je lui apprenais que Champel fut le coteau des agonies affreuses, des atroces souffrances, des horribles désespoirs, des pleurs de sang, un théâtre de mort violente, elle serait troublée, péniblement impressionnée, et ces lieux allègres, pleins de sérénité, qui ne disent rien de leur passé sinistre, perdraient pour elle sans doute une grande partie de leurs charmes présents.


Calvin n’établit pas la Réformation à Genève, déjà révolutionnée par trois Dauphinois dont je t’ai parlé : Farel, Saunier et Froment ; mais il la disciplina, il la réglementa, il lui fit un corps de doctrine, il lui imposa des lois en un mot.

Farel et ses deux compatriotes étaient arrivés à Genève dans un moment propice, celui des grands conflits entre le principe de liberté et le principe de despotisme ; au commencement de la bataille entre les enfants de Genève, dits libertins, d’un côté, et le duc et l’évêque, de l’autre.

Un désir immodéré d’affranchissement, la lassitude des vices du clergé catholique, le besoin (pour tenir tête aux ennemis du dehors) de la protection efficace de Berne, État qui avait secoué l’autorité papale, disposaient merveilleusement les esprits à accueillir les dogmes évangéliques, mais ceux qui les apportaient ne savaient trop s’ils devaient reconnaître Luther pour chef ; obéissant à un bouillant enthousiasme, ils démolissaient avant d’avoir arrêté ce qu’ils bâtiraient, ils allaient un peu à l’aventure avec le vague pressentiment qu’une église allemande ne saurait convenir à un pays moralement français. Ces montagnards fougueux se sentaient capables de disperser des processions, de pulvériser des statues de saints et de confesseurs, de tonner du haut de chaires improvisées contre les momeries d’origine païenne, mais non pas de diriger la grande stratégie religieuse.

À ces soldats il fallait un général, à ces prêtres un pontife : ils choisirent Jean Calvin, leur égal en énergie, en emportement, leur supérieur en science.

Les trois Dauphinois étaient doués du génie de la désorganisation, le Picard possédait à un degré éminent celui de l’organisation.

Les premiers, que je puis comparer à des apprentis sculpteurs, dégrossirent tant bien que mal le bloc de marbre brut, le dernier survint, cette préparatoire besogne terminée, et d’un ciseau habile le polit, le travailla, et lui donna la forme, le mouvement et l’expression, — la vie en un mot.

Farel, Saunier et Froment, — celui-ci, par son nom, semble avoir été prédestiné à former l’élément du pain évangélique, — furent donc les artisans de la Réformation, Calvin lui en fut l’artiste.

Cet érudit en matières religieuses, dont le style scholastique, prolixe et filandreux est d’une lecture si fatigante, devint le véritable chef de l’Etat ; ses inspirations dirigèrent la chose publique, il établit une sorte de gouvernement théocratique, une véritable inquisition protestante, rédigea un code draconien plus dur que les lois de Lacédémone, usa de sévérité inflexible envers les délinquants et plaça l’autorité du Consistoire au-dessus presque de celle des Syndics.

À vrai dire, les mœurs des Genevois étaient fort relâchées, pour ne pas dire dissolues, et tous ceux qui avaient censuré les débauches des évêques, des chanoines et des religieux avaient oublié, — ce qui arrive toujours, — de censurer leurs propres déréglements et d’y porter remède.

Calvin procéda violemment afin de régénérer ses concitoyens de fraîche date, et la pénalité puritaine qu’il établit pour mettre un frein au luxe, à la gourmandise, à l’impudicité, paraît encore plus ridicule qu’odieuse.

Les jeux, les divertissements, les spectacles furent rigoureusement prohibés, la peine de mort fut décrétée contre les adultères.

Défense est faite aux hommes, en 1552, de danser avec des femmes et de porter des chausses chapelées ou culottes découpées.

Trois tanneurs sont emprisonnés pendant trois jours et mis au pain et à l’eau, en 1558, pour avoir mangé à leur déjeûner trois douzaines de pâtés, ce qui est une grande dissolution, ajoutent les registres publics. — Je suppose qu’il s’agit de trois douzaines de petits pâtés.

Les habitants devaient ne pas s’abstenir de viande le vendredi et le samedi, — par opposition an catholicisme, — éteindre leurs lumières au couvre-feu, ne pas boire pendant les offices et surtout ne pas se moquer du Saint Synode et ses décrets ; les joueurs étaient mis au carcan avec leurs cartes pendues au cou, les femmes qui portaient des frisures emprisonnées ainsi que les coiffeuses assez hardies pour leur en faire.

Il était expressément défendu de garder chez soi des images papistiques quelconques, sous peine d’amende, et, en cas de récidive, de prison et même d’exil.

Les gens qui n’assistaient pas aux sermons encouraient une amende de plusieurs florins.

On lisait à la porte des tavernes un écriteau ainsi conçu :

« Quiconque blasphèmera le nom du Seigneur, prendra Dieu à témoin et insultera sa sainte parole sera appréhendé, amené devant le magistrat, admonesté et condamné. »

Le Réformateur faisait usage des remèdes héroïques et même au besoin de la torture ; son prévôt, — Pierre l’Hermite au petit pied, — se nommait Colladon, et eut souvent occasion d’exercer ses talents de tourmenteur juré à Champel.

Calvin avait sa police secrète, sa Sainte Hermandad qui rôdait et furetait par la ville, et s’en allait le soir coller l’oreille et l’œil au trou de la serrure des tavernes où les libertins se réunissaient pour déblatérer contre les ministres et leurs ordonnances, les tourner en dérision, aviser aux moyens de chasser ces théocrates, chanter, boire et déviser jovialement. Il y en avait qui donnaient à leurs chiens le nom du Réformateur, celui-ci s’en vengeait en les appelant du haut de la chaire balaufres, goinfres et paillards. Les délateurs se glissaient partout, et les personnes qu’ils dénonçaient étaient condamnées, pour peu que leurs discours eussent été irrévérencieux sur le compte de maître Jean Calvin, à faire amende honorable, tête nue, à l’hôtel-de-ville et dans les carrefours.

Cependant le peuple s’irrita de cette tyrannie sous prétexte d’évangile, il y eut une sédition accompagnée de cris et de tumulte ; Calvin tint bon et préféra quitter la ville que de se relâcher de sa rigueur. Il se retira à Strasbourg où il demeura jusqu’au moment de son rappel.

Le protestantisme, c’est la liberté d’examen et de discussion en matières religieuses et théologiques ; on ne comprend donc pas que Calvin, qui avait proclamé cette liberté et rompu avec la tradition catholique, qui gémissait des persécutions subies en France par ses coreligionnaires, ait pu persécuter, mettre à mort avec la dernière barbarie un homme qui s’était permis d’émettre avec franchise son opinion personnelle. Il s’agit de Michel Servet.

Je suis à Champel, comment ne te parlerais-je pas de ce malheureux hérésiarque, — envoyé au bûcher par un autre hérésiarque qui avait adressé à François Ier un livre intitulé : De Clementia, pour sauver quelques luthériens que l’on brûla à Paris. — Monstrueuse inconséquence !

On pourra m’objecter que Calvin ne niait que la présence réelle, et que Servet niait la trinité.

Je conviens que c’était beaucoup plus grave.

L’un n’attaquait que le catholicisme, l’autre, bien autrement audacieux, attaquait le dogme fondamental du christianisme.

Mais rien ne saurait pallier la cruelle intolérance de celui qui demandant que l’on fût tolérant pour lui et pour les siens se dispensait de l’être pour d’autres dissidents.

Voici les plus saillantes particularités de la vie agitée et de la mort terrible de Michel Servet, connu aussi sous le pseudonyme de Michel de Villeneuve.

Il naquit à Tudelle, dans la province d’Arragon, et s’adonna de bonne heure aux sciences, à l’étude des langues, et bientôt l’hébreu, le grec, le latin, le syriaque lui devinrent aussi familiers que la médecine, la chimie et l’astrologie.

De bonne heure il quitta l’Espagne, se mit à voyager et publia à Haguenau son fameux livre intitulé : De trinitatis erroribus, libri septem, per Michaelem Servetum aliàs Reves ab Arragonia Hispanum, anno MDXXXI[1].

Dans cet ouvrage, qui valut par la suite le bûcher à son auteur et eut un immense retentissement, le dogme de la trinité est qualifié de rêverie papiste, de chimère mythologique, d’idéalité métaphysique.

Servet, réduit à la mendicité, vint à Bâle, à Strasbourg, à Paris, tantôt pharmacopolisant, tantôt astronomisant, tantôt théologisant, tantôt se passionnant pour les découvertes géographiques ; à Lyon il se fit correcteur d’imprimerie, mais s’étant dégoûté bientôt, suivant sa coutume, de cette profession, il s’embarqua sur le Rhône pour Avignon où il ne séjourna guère, revint à Lyon, et peu après s’établit comme médecin dans la petite ville de Charlieu, en Forez.

Là son inconstance naturelle l’ayant repris bientôt, il se rendit aux amicales sollicitations de l’archevêque de Vienne qu’il avait connu à Paris, et alla exercer la médecine chez ce prélat où il eut le vivre et le couvert ; il se fit aimer de chacun pour son amabilité, son érudition variée et profonde et son inépuisable charité.

Il eût vécu fort heureux à Vienne sans la démangeaison théologique et anti-trinitaire qui le porta à négliger ses malades et à faire imprimer secrètement un livre qui attaquait Calvin.

Forcé peu après de quitter la France à cause de ses opinions hétérodoxes, il compta trop sur la générosité de celui-ci et se réfugia à Genève.

Le Réformateur genevois, oubliant les lois de l’hospitalité et ne prenant conseil que de son zèle de chrétien, exagéré jusqu’au fanatisme, et de sa rancune, fit jeter le voyageur dans un cachot où il eut à souffrir mille privations, mille gênes ; et n’ayant pu obtenir de lui la rétractation de ses erreurs, il le mit en jugement.

Le tribunal s’assembla le 21 octobre 1553, délibéra trois jours et rendit un arrêt qui condamnait l’Espagnol au feu[2] ; Servet en étant instruit poussa des sanglots déchirants et cria miséricorde.

Farel, d’après l’ordre du Conseil, se présenta au condamné le jour de l’exécution de la sentence et le pressa vivement de se rétracter ; mais lui, quoique fort abattu, en proie à la prostration, déjà moralement mort, ne voulut point y consentir. Il fut amené devant l’hôtel-de-ville, au milieu d’une grande affluence d’habitants qui remarquaient avec compassion son effrayante maigreur et ses cheveux blanchis par une courte captivité.

Là, le greffier lut cet arrêt :

« Nous, syndiques (sic), juges des causes criminelles et de cette cité, ayant veu le procès fait et formé pardevant nous à l’instance de notre lieutenant ès-dites causes instant, contre toy Michel Servet de Villeneufve au royaume d’Arragon en Espagne, par lequel et tes volontaires confessions en nos mains faites et par plusieurs fois réitérées, et les livres devant nous produits, nous conste et appert toy Servet avoir dès longtemps mis en avant doctrine fausse et pleinement hérétique, icelle mettant arrière toutes remontrances et corrections, avoir d’une malicieuse et perverse obstination, perversement semée et divulguée jusqu’à l’impression de livres publics, contre Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit, bref contre les vrais fondements de la religion chrétienne, et pour cela tasché de faire schisme et trouble en l’Église de Dieu, dont maintes âmes ont peu être ruinées et perdues : chose horrible et épouvantable, scandaleuse et infectante, et n’avoir eu honte ni horreur de te dresser totalement contre la majesté divine et sainte trinité, ains avoir mis peine et t’estre employé obstinément à infecter le monde de tes hérésies et puante poison héréticale ; cas et crime d’hérésie grief et détestable, et méritant griève punition corporelle. À ces causes, et autres justes à ce mouvantes, désirans de purger l’Église de Dieu de tel infectement, et retrancher d’icelle tel membre pourri ; ayans eu bonne participation de conseil avec nos citoyens, et ayans invoqué le nom de Dieu pour faire droit jugement, seans pour tribunal au lieu de nos majeurs, ayans Dieu et ses saintes Écritures devant nos yeux, disans : au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; par cette nostre définitive sentence, laquelle donnons ici par escrit, toy Michel Servet condamnons à devoir estre lié et mené au lieu de Champel et là devoir estre à un pilotis attaché et bruslé tout vif avec ton livre, tant escrit de ta main qu’imprimé, jusques à ce que ton corps soit réduit en cendres ; et ainsi finiras tes jours pour donner exemple aux autres, qui tel cas voudraient commettre. Et à vous nostre lieutenant commandons nostre présente sentence, faites mettre en exécution. »

Après la lecture, un estafier donna un coup de sa baguette au condamné, qui tomba à genoux criant lamentablement :

— Par grâce, le glaive et non le feu !... le glaive ! ou je risque de perdre mon âme dans le désespoir... Si j ai péché, c’est par ignorance.

Farel l’ayant relevé le pressa dans ses bras et lui dit d’un ton qu’il s’efforçait de rendre pathétique :

— Confesse ton crime, et Dieu aura pitié de ton âme.

— Je ne suis pas criminel, répliqua Servet, et je n’ai pas mérité la mort ; que Dieu me vienne en aide et me pardonne mes péchés.

— En ce cas, dit Farel, je vais t’abandonner.

Le malheureux Espagnol se tut et le cortége se dirigea vers Champel. Par moments le patient levait les yeux et les mains vers le ciel et faisait entendre ces mots :

— Ô fils du Dieu vivant ! ô Jésus ! grâce ! grâce !

Quand on fut arrivé sur la Colline des exécutions, il se jeta la face contre terre en poussant des hurlements effroyables.

Il résista jusqu’à la fin aux sollicitations de Farel, qui le pressait de se rétracter publiquement à cette heure suprême, et qui s’écria :

— Écoutez, vous tous ! Satan va s’emparer de cette âme.

Servet fut lié fortement par une chaîne de fer à un poteau où l’on pendit le livre de la Trinité, on lui mit sur la tête une couronne de paille enduite de soufre, et on l’entoura de fagots de bois vert, car on voulait faire durer le supplice le plus longtemps possible ; le malheureux criait au bourreau de se hâter, et quand enfin la flamme s’éleva il poussa un râle affreux qui remplit les spectateurs d’épouvante. Alors des gens du peuple, émus de pitié, étouffèrent le patient sous les fagots embrasés.

C’était agir avec humanité.

On dit que Calvin, grave, impassible, savourant sa vengeance, avait tout vu de la fenêtre d’une maison du voisinage.

Ne crois-tu pas lire l’histoire de l’inquisition d’Espagne ?

Bèze essaya de justifier la conduite de son patron et publia, en 1554, un livre intitulé : Fidelis expositio errorum Michaelis Serveti et brevis eorundem refutatio, ubi docetur jure gladio coercendos me hæreticos[3].

La Suisse fit encore d’autres martyrs ; Berne voulut imiter Genève, — exécrable émulation ! — En 1566 elle mit à mort un nouvel anti-trinitaire, Gentilis, qui n’avait pas voulu désavouer ses doctrines ; mais, moins cruelle, elle se servit de la hache.

Où étaient donc les chrétiens au seizième siècle ?

Je les cherche en vain dans les rangs des protestants comme dans ceux des catholiques, et je ne trouve que des bourreaux implacables, de féroces disputeurs, massacrant leurs frères tout en invoquant, — dérision impie, sacrilége, — le nom du Dieu de paix, de mansuétude, de bienveillance et de charité.

En 1632 Calvin était mort, mais sa fureur intolérante vivait encore à Genève, qui éleva un second bûcher. — La Suisse a sa trinité d’anti-trinitaires mis à mort. — Un nommé Nicolas Antoine, natif de Briey, en Lorraine, se retira à Genève pour cause de religion apparemment, et fut nommé pasteur de Divonne ; il est dit dans les pièces de son procès qu’étant devenu « transporté de sens, il courut les champs et se vint rendre pieds nus à Genève, proférant des blasphèmes horribles contre Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Item, qu’après avoir été traité par des médecins et soigneusement médicamenté dans l’hôpital de cette ville, étant revenu à soi et hors de sa manie, il aurait persévéré à blasphémer contre la sainte Trinité et la personne de Notre Seigneur Jésus-Christ, soutenant tant de bouche que par écrit que c’était une idole, et que le Nouveau Testament n’était qu’une fable. Item a confessé qu’administrant le sacrement de la sainte Cène, en l’exhortation qu’il faisait au peuple, il disait seulement : « Souvenez-vous de votre Sauveur, » et qu’en récitant les paroles du symbole des apôtres où il est parlé de Jésus-Christ, il ne les prononçait pas, mais marmottait entre ses dents, etc..... »

Antoine, pendant son emprisonnement, ne cessa de proclamer ses opinions et déclara renoncer au baptême.

On prononça contre lui une sentence de mort ; il fut mené sur la grande esplanade de Plainpalais, attaché à un poteau dominant un bûcher, étranglé, puis brûlé.

Ce malheureux, qui s’était fait juif pendant ses voyages en Italie, mourut à l’âge de vingt-neuf ou trente ans.

Des écrivains catholiques nous montrent la précoce décrépitude de Calvin avec l’intention de nous persuader qu’elle fut un châtiment céleste, un signe de la colère de Dieu ; ils nous peignent avec une sorte de complaisance le teint jaune et cadavéreux du Réformateur, sa face maigre et osseuse, son front dépouillé, ses lèvres blanches ; ils nous parlent de sa migraine opiniâtre, de son catarrhe tenace, de ses autres infirmités.

Pour moi, je ne vois dans tout cela que les misères d’un homme d’un tempérament débile qui a passé sa vie à creuser péniblement la science, à scruter les choses, à étudier, à interpréter les textes sacrés, à apprendre les langues orientales, à gouverner un peuple remuant dont il voulait extirper les vices aux profondes racines, à fonder une église et à la défendre, à faire des livres de controverse, de polémique et de doctrine, des sermons et des décrets, des homélies et des ordonnances, à discuter ou plutôt disputer aigrement sur des sujets arides, desséchants et abstraits par excellence.

Le travail de l’esprit use bien plus que celui du corps.

J’ai lu dans l’Institution chrétienne l’explication que Calvin donne de son dogme de la Prédestination, — système qui tend à prouver que Dieu a fait choix d’avance de ses élus et a marqué d’un sceau fatal les réprouvés ; qu’ainsi les œuvres ne sont d’aucune valeur, d’aucune efficacité pour le salut, puisque le partage des âmes est irrévocablement arrêté d’avance.

Je crois comme Calvin que nos mérites les plus grands sont de peu de prix aux yeux de Dieu, que le salut dépend surtout de sa grâce. — C’est là le principe vraiment chrétien.

Dieu a choisi pour son peuple le peuple juif, qui ne valait certes pas mieux que tout autre ; il suffit pour s’en convaincre de lire la Bible ou recueil de chroniques de la nation israélite.

Ne cherchons pas à nous rendre compte de cette prédilection.

Calvin conclut de ce que Dieu a préféré les Hébreux sans un motif que nous puissions apprécier qu’il a, de même, désigné ses élus et les réprouvés par des considérations au-dessus de la portée de notre misérable intelligence.

Telle est la base, — si je ne me trompe pas, — de son système de la prédestination des êtres.

Abîmes ! ténèbres !

Maintenant des anti-trinitaires vivent fort paisiblement à Genève sans crainte de la hart ou du fagot.

Personne, grâce au ciel, ne songe à les rôtir à petit feu, à les pendre haut et court.



  1. Des Erreurs de la Trinité, en sept livres, par Michel Servet ou Revès d’Arragon en Espagne, 1531.
  2. Calvin avait eu soin de prendre l’avis, au préalable, des églises reformées de la Suisse qui avaient opiné pour le bûcher.
  3. Fidèle exposition et brève réfutation des erreurs de Michel Servet, où il est enseigné que les hérétiques doivent être châtiés par le glaive.