Comptoir des Imprimeurs-Unis (p. 219-223).


XXIV

Boutade.




Prégny, 17 sept.

Les parages de ce lac sont un théâtre merveilleux pour des scènes de roman ; les situations grandes, extraordinaires, passionnées de la vie idéale, ont besoin de l’entourage des monts, des rochers, des eaux profondes et sereines, des vallées, en un mot, de tout ce qui exalte l’imagination, imprime aux idées un essor enthousiaste, jette les pensées dans la rêverie contemplative, fait naître les hautes et fortes inspirations.

On comprend que Rousseau ait placé les personnages de sa Nouvelle Héloïse au bord du Léman, à Montreux, à Clarens, à Vevey, à Meillerie ; que Mme de Staël ait fait passer dans le Pays-de-Vaud sa noble Delphine, si angoissée, si malheureuse et si digne de bonheur ; que Sénancour, ce grand écrivain moderne si peu désireux de célébrité et qui est moins connu qu’il ne le mérite, ait amené dans ces contrées son Obermann, morne figure, attristante personnification du désenchantement, cet homme qui traîne partout après lui le dégoût amer, l’ennui de vivre, une tristesse incurable des choses et des êtres d’ici-bas, le tourment de l’impuissance.

Byron, sous l’impression des sites à la fois sévères et riants de l’extrémité orientale du lac, écrivit sa fantaisie poétique du Prisonnier de Chillon. Qui sait si Benjamin Constant n’a pas conçu à Coppet le plan de son Adolphe, livre que tous les jeunes gens trop enclins à s’empêtrer dans les relations amoureuses devraient lire et méditer ? Qui sait si Mme de Flahaut, qui devint plus tard Mme de Souza, et dont le talent est si honnête, si distingué, si délicat, n’a pas composé quelqu’une de ses nouvelles en côtoyant les Alpes et le lac de Genève ?




Le terroir vaudois produit des hommes spirituels et des vins spiritueux, — j’ai pu m’en convaincre, — mais l’esprit de France (en conversations et en bouteilles) est bien préférable, bien supérieur.

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Les excès religieux provoquent les excès philosophiques ; le jésuitisme et le méthodisme nous poussent vers le voltairianisme ; combattons les excès !

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Liberté et Patrie..... Cette devise, qui, dit-on, a été donnée au canton de Vaud par Bonaparte, alors simple général, est une des plus sublimes que je connaisse ! Patrie et Liberté serait moins bien, car la liberté est sans contredit le premier des biens de l’homme ; mieux vaut s’expatrier que de rester dans la patrie asservie.

La devise actuelle de Genève : Post tenebras lux, fait allusion à la Réforme ; elle a succédé au Post tenebras spero lucem catholique, sorte de pressentiment singulier de l’avenir.

Ces deux devises rappellent celle des Vaudois ou protestants des vallées du Piémont : Lux lucet in tenebris, qui entourait un flambeau brillant dans d’épaisses ténèbres ; ce qui signifie que la lumière de la vérité évangélique s’était conservée au sein des Alpes et que les peuples voisins vivaient dans la nuit de l’ignorance superstitieuse et de l’erreur.

Genève et Vaud ont des drapeaux bicolores ; celui du premier de ces pays est mi-partie rouge et jaune, celui de l’autre mi-partie vert et blanc :

Gueules figure la pourpre de l’ancienne ville impériale, l’or convient à une cité opulente, industrieuse et commerçante, située entre la France, l’Italie et l’Allemagne.

Sinople rappelle la campagne vaudoise, l’argent, la neige étendue sur la croupe des montagnes ; il manque à l’étendard vaudois de l’azur pour figurer le Léman.

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On peut dire avec et sans figure que le lac est un diamant de la plus belle eau.

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Il manque au paysage genevois dans lequel fourmillent les maisons modernes, c’est-à-dire les habitations blanches à contrevents verts ou gris, des vieux édifices ; les guerres ont fait disparaître un grand nombre de manoirs dont les noms seuls subsistent épars dans les annales de la contrée.

En 1589 les habitants de la ville faisaient des sorties pour éloigner les troupes de Savoie et détruisaient les châteaux de Veigy, d’Étremblières et de l’Hermitage ; l’année d’après ils rasaient impitoyablement, pour leur sûreté, ceux de Pouilly, Vesancy, Grand-Sacconex, Vernier, Thoiry, Tournay, Divonne dans le Pays-de-Gex ; et dans la Savoie ceux de Gaillard, Corsinge, Compésières, Montoux, Laconex, Beaumont, La Grave, Saconex, Villars, La Perrière, Ogny et Confignon.

Ceci joint aux expéditions antérieures des Bernois, grands brûleurs de logis féodaux, nous explique pourquoi les constructions antiques sont si rares aux environs de Genève.

Quant aux couvents il n’en faut pas parler, on devine ce qui les a fait disparaître. Ne suffisait-il donc pas de séculariser moines et nonnes ? Pourquoi renverser leurs retraites, gens de l’Évangile ?

Ce qui me déplaît dans les réformateurs, c’est leur fureur d’iconoclastes ; — toutes les réactions sont violentes, la Réforme en était une contre le culte des images, des matérielles représentations.


Église de Genthod.