Le Tombeau de Jean de La FontaineMercure de France (p. 79-80).

LE HÉRON


Je revêts la couleur des perles de la mer,
Bien que mon pays soit le lac ou la rivière.
D’aucuns m’ont vu ployer une patte en arrière
Juché sur l’autre, alors que mon col souple et fier
Après s’être enroulé se déroulait encore
Parmi la fraîche et bleue haleine de l’aurore.
Tu me sers, fabuliste, une étrange leçon
Qui me fais contenter d’un simple limaçon,

Comme si mon dédain eût rejeté la tanche
Dont meurt la robe d’or dans une eau de pervenche.
Ce n’est point ce défaut qu’il fallait me prêter ;
Je n’ai point de mépris qui me fasse écarter
Le goujon ou la tanche ou la carpe royale.
Mais, t’ayant vu venir sous le feuillage pâle
Des aulnes imitant, sur les bords, les brouillards,
Je voulus te laisser jouir de cette vue
Que mon bec eût troublée, où rien ne se remue,
Où dort la libellule au cœur des nénuphars,
Où le ciel des étés, vide autant qu’implacable,
Projeta ces reflets qui brillent dans ta fable.