Librairie Beauchemin, Limitée (p. 161-163).


XXXIII

LE SOLEIL APRÈS L’ORAGE


L’été est revenu cinq fois depuis que la vieille chapelle de Kervaleck a vu bénir l’union de Sélim et d’Yvaine.

Aucun nuage n’a assombri leur bonheur… Leur amour si vrai n’a jamais eu de trouble… Ils s’adorent…

Pierre de Kervaleck dont les cheveux sont maintenant tout blancs est l’heureux grand-père de deux délicieux bambins.

Pierre, l’aîné, aura bientôt, quatre ans. C’est un grand garçon. Tout le monde trouve qu’il ressemble à Yvaine dont il a le teint, les traits et la belle chevelure blonde. Mais ce qui décèle son origine Égyptienne, c’est le regard de ses grands yeux noirs, d’un noir profond, adouci cependant par la frange de soie des longs cils : le regard et les yeux de Sélim.

Anne, la cadette, dont les deux ans viennent de sonner, a, de son père, les traits réguliers, les cheveux sombres et la bouche au dessin impeccable. Ses bouclettes noires entourent gracieusement son joli visage de petite Orientale aux yeux bleus.

Pierre est le filleul de l’archéologue et un peu son préféré, tandis que la petite Anne est la chérie du grand-père d’Égypte, de Férid-Pacha, qui est si heureux de l’avoir près de lui tout un hiver.

Hervé de Kerleven est consolé. Il a épousé voici bientôt quatre ans, la meilleure amie d’Yvaine, Mademoiselle Madeleine Pontbriand, qui lui a donné deux fils jumeaux, Hervé et Joël qui font la joie du marin.

Or, ce jour-là, c’est fête chez le savant… C’est le sixième anniversaire de la trouvaille du Talisman du Pharaon. Pierre de Kervaleck a toujours tenu à commémorer cet événement qui a enrichi son musée d’un joyau unique et qui a fait le bonheur de ses enfants.

Dans le grand salon, brillant de lumière, toute la famille est réunie. Férid-Pacha qui fait le voyage tous les ans à pareille date, berce bébé Anne qui lui sourit.

Hervé, Sélim et Pierre de Kervaleck écoutent avec attention Madeleine qu’Yvaine accompagne au piano, et dont la voix pure détaille une vieille chanson de France.

Les trois petits garçons jouent silencieusement devant la cheminée avec le vieux Derba qui est, lui aussi, de la fête.

Dans le musée, à côté de l’amphore réparée par un expert, moins l’anse, laissé ainsi à dessein et où le papyrus a repris sa place, l’anneau antique trône, dans une vitrine, sur un coussin de velours rouge.

Le bonheur est dans la maison. Il brille dans le regard que les jeunes mamans posent sur leurs jolis bébés. On le distingue dans l’air de fierté de Sélim et d’Hervé.

Les enfants ont des sourires d’anges. Les deux grands-pères sont les esclaves de ces mignons tyrans.

Et la vie continue, douce et calme, pour ceux que la haine et l’envie menacèrent mais dont l’indissoluble amour sut vaincre les dangers, et qui arrachèrent, aux rives du fleuve d’Égypte, le Talisman du Pharaon.

FIN
Montréal, Mai-Juillet 1923.