Librairie Beauchemin, Limitée (p. 94-97).


XVIII

TÉNACITÉ TEUTONNE


Les jours passaient, et malgré ses opiniâtres recherches, Pierre de Kervaleck n’avait rien trouvé.

Parfois, malgré tout son enthousiasme, le savant se décourageait. Cet anneau antique, enfoui au bord du Nil depuis tant de siècles devait être depuis longtemps disparu. Le fleuve qui inonde ses rives chaque année devait avoir mis au jour la cachette et emporté la bague dans le reflux de ses eaux vertes…

Mais Yvaine et Sélim, que leur amour rendait optimistes, redonnaient espoir au savant qui, au contact de leur espérance et de la franche gaîté de leur jeunesse, se remettait vite à croire au succès.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Karl von Haffner n’avait pas abandonné la lutte !… Quand, après l’échec, Ahmed était venu chercher refuge à son camp, l’Allemand avait senti une colère folle monter à son cerveau et il avait eu l’idée de briser sa cravache sur le dos du maladroit… Mais il fut assez maître de lui pour se contenir et n’infligea à Ahmed aucun châtiment.

En ménageant son complice Karl von Haffner était de bonne politique car il redoutait une vengeance : l’Allemand craignait le musulman.

Mais toute sa confiance et son espoir se portèrent sur Ali, l’Égyptien aux manières félines, au cerveau fécond en idées machiavéliques.

Un soir qu’Ali, échappé à la brune était à son camp, l’Allemand lui expliqua son projet :

— Écoute-moi bien, Ali, lui dit-il, tu affirmes avoir été incapable de trouver le papyrus chez M. de Kervaleck… Il ne l’a peut-être pas… Il a dû le confier à sa fille qui en est, pense-t-il, l’inviolable dépositaire. Et comme aucun homme ne pénètre chez la jeune fille, que tu crois sa servante italienne incorruptible, il faut apprendre d’elle-même où est le plan que je convoite… Mais comme depuis l’arrivée du jeune Pacha, qui, m’as-tu dit, l’accompagne toujours il serait impossible de renouveler l’exploit d’Ahmed, il faut que tu trouves un moyen pour amener ici la jeune Bretonne… Je saurai bien la faire parler… Et puis, ajouta-t-il, et sa figure de Teuton prit une effrayante expression de cruauté, devrais-je lui faire les pires menaces, elle parlera, foi de von Haffner.

— Et si elle refuse obstinément, insinua Ali, une lueur d’ironie dans ses yeux rusés…

— J’exécuterai mes menaces… conclut von Haffner.

L’Égyptien le regarda… il comprit que vraiment cet homme était capable de faire ce qu’il disait et un instant, il hésita… Mettre la jeune fille au pouvoir de cette méchanceté froide lui semblait monstrueux. Les yeux à demi fermés, il réfléchissait profondément… Von Haffner comprit-il ce qui se passait dans l’âme de son complice ?

— Écoute, Ali, lui dit-il de son accent bref, si tu réussis à enlever la jeune fille, je triplerai la somme que je t’ai promise, malgré les nombreux acomptes que je t’ai déjà donnés… Comprends-moi bien : je veux le Talisman du Pharaon !…

Karl von Haffner avait fait vibrer la corde sensible. Ali n’hésita plus.

— Allah m’entend, maître, dit-il… J’enlèverai la jeune fille !

Un horrible sourire passa sur les lèvres épaisses de l’Allemand, qui, satisfait, atteignit sa pipe de porcelaine, l’alluma et se mit à fumer, l’âme sereine, sous les yeux d’or des étoiles.