Librairie Beauchemin, Limitée (p. 28-32).


IV

LE TALISMAN DU PHARAON


— À l’époque lointaine des plus beaux jours de l’Égypte ancienne, vivait un Pharaon dont la puissance n’avait pas d’égale. Il commandait, à de nombreux sujets et régnait, en souverain absolu, sur l’immense contrée.

Pourtant, le redouté Pharaon devenait parfois un esclave lui-même, devant celle qu’il aimait : son épouse et sa Reine. Elle était d’une extraordinaire beauté, aussi se plaisait-il à la parer et à la couvrir de joyaux. Les Orientaux, vous le savez, sont de grands amateurs de bijoux. Les anciens Égyptiens ne faisaient pas exception à cette règle, puisque, non contents d’en porter à profusion pendant leur vie, ils paraient même leurs morts de rutilantes pierreries. La bague surtout était considérée par eux comme un objet indispensable. Elle était toujours munie d’un cachet qui avait pleine valeur en justice sur le sceau d’une pièce importante.

Sachant quel prix il attachait à tout ce qui venait d’elle, la Reine fit faire, à l’insu du Pharaon, une magnifique bague d’or massif, sur laquelle, par un artiste, fut ciselé son superbe profil.

Elle remit l’anneau au Grand Prêtre, et offrit à Isis un important sacrifice, pour attirer sur le bijou les faveurs de la déesse, et faire de la bague un talisman.

Peu après, menacé par un perfide ennemi, le Pharaon dut partir en guerre. Avant son départ, comme gage de sa fidélité et de son amour, la Reine lui remit le Talisman. Le Roi d’Égypte partit, confiant. Bientôt, les deux armées entrèrent en contact. Mais le sort fut inflexible. Le Pharaon fut mortellement blessé pendant une bataille.

Son fidèle esclave, un géant de Nubie, qui ne le quittait pas, parvint à l’emmener hors du champ de bataille. Avant d’expirer, le Pharaon lui confia la précieuse bague, en lui ordonnant de la remettre à la Reine.

Quand le Nubien eut donné une pauvre sépulture aux augustes restes, il se mit en devoir d’exécuter les ordres de son maître. Seul dans le désert, ignorant de l’issue du combat, craignant, s’il tombait dans les mains des ennemis, de se faire prendre le Talisman il usa d’un subterfuge.

Il cacha la bague sur la rive du Nil, dans un endroit connu de lui seul ; il en nota soigneusement la place, dans le dessein de revenir chercher l’anneau dès que le calme serait rétabli. Puis, habile potier, il modela une amphore dans laquelle il dissimula le papyrus.

Après bien des jours de marche pénible, il regagna la capitale. Perdu dans la foule, où, avec son amphore il semblait un porteur d’eau, il parvint à rentrer dans Thèbes, et courut au palais.

Un garde lui apprit que, ne pouvant survivre à son époux, la souveraine venait de mourir. Un nouveau Pharaon régnait sur l’Égypte. On s’occupait activement des funérailles de la reine. Le Nubien eut un moment de désespoir, puis, réfléchissant, il alla trouver le Grand Prêtre d’Isis, qui lui confia le soin d’orner le tombeau où la momie allait être déposée.

Avec les meubles, vaisseaux et accessoires destinés à l’autre vie de la souveraine, l’esclave de Nubie déposa son amphore. Il glissa dans le vase un papyrus où, révélant les paroles du Pharaon, il disait que l’amphore recélait le secret.

Puis, les siècles passèrent… Dans son tombeau, la petite reine dormait depuis bien longtemps, quand des explorateurs découvrirent la sépulture, s’emparèrent de la momie et des ornements de sa tombe.

Dans l’amphore on trouva le papyrus, mais le plan de la cachette fut introuvable. On sut seulement que le vase avait été dépositaire du secret… Le Talisman du Pharaon, si bien caché jadis, n’a jamais revu la lumière !…

Férid-Pacha se tut. L’évocation de ce passé merveilleux avait si bien intéressé son auditoire que Pierre de Kervaleck restait silencieux, tout à ses pensées. Les enfants eux-mêmes n’avaient pas bougé.

Le Pacha remit le vase au savant, qui, décidément conquis, l’accepta.

— Cette amphore sera la perle de ma collection, dit-il simplement. Mais ce sera surtout pour moi le souvenir tangible de l’amitié dont vous avez bien voulu m’honorer !

Quand M. de Kervaleck et Yvaine quittèrent le Pacha et son fils, il leur semblait qu’ils quittaient de vieux, très vieux amis, tant il est vrai que les âmes d’élite se cherchent et se comprennent, dans toutes les croyances et sous tous les climats.

Des larmes au bord des cils, Sélim murmura doucement, à la mignonne Yvaine :

— Tu pars, m’oublieras-tu ?…

Et Yvaine, ses beaux yeux clairs fixés sur les prunelles sombres de Sélim, répondit fermement :

— Non !