Le Témiscamingue à la Baie-d’Hudson/Chapitre 2-5

Chapitre V.

Quatrième Zone.

Le Plateau de la Hauteur des Terres.

(Largeur moyenne 179 milles — Sommet 917, Moyenne 850)


§I — Vue d’Ensemble.

Le plateau de la Hauteur-des-terres est cette vaste région où s’alimentent les innombrables rivières qui, d’un côté, vont porter leur tribut à la Baie-d’Hudson, et de l’autre à notre majestueux St Laurent.

On s’attend peut-être à trouver sur cette trinité fatale, l’échine raboteuse d’une longue chaine de montagnes, véritables colonnes d’Hercule.

Pour la partie du moins que je connais, il n’est rien de cela. C’est le pays le plus plat, le moins accidenté que l’on puisse se figurer. Seulement, trois pics isolés se dressent à l’horizon et ils se font d’autant mieux remarquer que tout autour d’eux la plaine est d’une uniformité monotone. Le plus élevé de ces sommets est le « Wewelnitizon-Adji » ou « montagne de la balançoire » ainsi nommé par les sauvages, d’après une légende portant que les Windigos (génies fabuleuse) avaient tendu entre les deux pics une corde où ces petits démons venaient se balancer dans leurs moments de bonne-humeur.

Il est vrai que l’on retrouve encore de loin en loin quelques groupes de ces rochers perdus, mais ce sont des exceptions qui confirment la règle.

Si les montagnes sont rares, l’eau en revanche, ne fait pas défaut. C’est le pays des lacs par excellence. Il faut bien qu’il y ait quelqu’inépuisables réservoirs pour alimenter d’eau tels que l’Abittibi, l’Ottawa, le Saguenay et cent autres qui, en Europe, seraient décorés du titre de grands fleuves.

Le Lac Abittibi

Le plus considérable de ces lacs est l’Abittibi, véritable petite mer intérieure qui compte 48 milles de long sur une largeur moyenne de 20 milles. La hauteur au-dessus du niveau de la mer est de 857′. La latitude de Fort de la C.B.H. située à l’extrémité Est est 48° 41 N. longitude 79° 25′ O.

Ce lac est rempli d’îles qui ne sont pour la plupart que des rochers, quelquefois recouverts d’une assez bonne couche de terre végétable pour permettre aux arbres d’y jeter de profondes racines. Les alentours du lac sont, en général, bas et passablement humides. Le sol y est excellent. La partie N. E. est plus montueuse ; il y a même des croupes de jolies dimensions.

Il y a à Abittibi une belle église en bois pouvant recevoir une population de 400 sauvages catholiques qui est celle de la place.

Espèces de Bois.

Le pin rouge et de rares pins blancs se montrent encore sur les îles du Lac Abbitibi et dans les vallées à l’abri des montagnes. Le bois, en général, n’y vient pas très gros. En certains endroits pourtant, l’épinette blanche est belle. Ce dernier bois avec le tremble sont les arbres les plus communs. Le plateau de la hauteur des terres est en réalité la patrie du tremble. Il y a ceci de remarquable que cet arbre acquiert ici des proportions que l’on pourrait appeler gigantesques, comparé à ceux qui croissent dans les pays plus chauds.

Le tremble en effet, pousse très vite et s’accommode des étés courts. Il n’est pas douteux que plus tard il y ait des richesses à retirer du commerce de ce bois devenu précieux aujourd’hui pour la fabrication de la pulpe à papier. Lié en planches et en madriers le tremble fait aussi un excellent bois de commerce et peut être employé avec avantage aux ouvrages d’ébénisterie et de menuiserie qui n’ont pas à redouter l’intempérie des saisons.

Il n’y a raison de mépriser les productions d’aucun pays, si humbles qu’elles paraissent. Chacune dans son genre apporte son contingent à la prospérité commune. C’est aussi ce qui fait la richesse d’un pays comme le nôtre d’avoir dans son sein toute espèce de climat et conséquemment des produits très variés.

Possibilités Agricoles.

Mais si le climat de la Hauteur-des-terres est un peu plus froid que celui des régions inférieures, il ne peut pas de ce fait conclure à l’impossibilité d’y exercer aucune culture, puisqu’à Abittibi, sur le Versant septentrional on y récolte les mêmes céréales que dans la Province de Québec.

Non ! — Il faut mieux le répéter une fois pour toutes, nous n’avons nulle part dans ce territoire, un climat si rigoureux, ou des expositions si défavorables, qu’il soit impossible d’y établir de bonnes fermes et de faire vivre à l’aise un propriétaire industrieux. Ici, comme partout, il faut savoir approprier la culture au sol et ne pas jeter le blé là où doit germer l’avoine. Ce qu’il importe surtout et ce que je vois le plus souvent négligé, même par nos habitants de Québec et d’Ontario c’est la pratique intelligente du drainage. Avant de cultiver un marais, il faut en déloger les grenouilles. Voilà pourquoi le Bon Dieu a fait la terre en pente, et que dans tous les pays du monde, il y a un endroit qui s’appelle la "Hauteur-des-Terres."

§II. — Le Versant Septentrional ou de la Baie d’Hudson.

Le Versant du Nord qui porte ses eaux vers la Baie-d’Hudson a naturellement son printemps plus en retard que celui du St Laurent. Les feuilles y font leur apparition vers la dernière semaine de juin au plus tard. Mais ensuite les fleurs y vont grand train pour réparer le temps perdu ; de sorte que les fruits ne se font pas non plus attendre. Quant au sol et aux productions, tout se résume dans ce que j’ai dit du Lac Abittibi. La largeur de cette demi-zone est d’environ 90 milles avec une altitude moyenne de 880’.

§III. — Versant Méridionnal ou du St Laurent.

Le point culminant de la Hauteur-des-Terres sur la route de Témiskaming est à 917’ au-dessus de la mer.

Le Lac Obataongacing et l’Obasatika situés l’un au Nord, l’autre au sud du Portage sont tellement à niveaux parallèles qu’ils prêtent alternativement leurs eaux, par le moyen d’un petit détroit, soit au St Laurent, soit à la Baie-d’Hudson, selon que les pluies sont plus abondantes d’un côté ou de l’autre. Cet été, 1884, c’est la Baie-d’Hudson qui nous payait tribut.

À partir de la hauteur-des-terres jusqu’à la décharge du Lac des Quinze, la pente est très-douce vers le Sud-Est, puisque sur tout ce parcours qui est de 70 milles, l’inclinaison totale n’est que de 11 pieds.

Le centre de cette région se trouve à la Rivière Ennuyante qui fait assez de détour pour mériter son nom.

Je n’ai pas besoin de répéter que le sol de cette région est partout d’une qualité supérieure. Mais quoique le climat se ressenti déjà un peu des influences méridionales, le bois n’y est pas encore bien gros et le pin n’y apparait qu’à titre d’exception. Les arbres les plus communs sont toujours le tremble et l’épinette. Le frêne et l’orme y atteignent déjà de belles dimensions et quelques platanes se hasardent çà et là.

Apparition du Pin.

Ce n’est qu’au sortir de la Rivière Ennuyante, à une trentaine de milles de la hauteur-des-terres, que commence la région du pin proprement dite. Je me rappelle l’ébahissement d’un de mes sauvages d’Albani quand il aperçut cet arbre pour la première fois. J’avoue que moi-même je ressens quelque chose quand, au retour d’une course lointaine, je salue pour la première fois cet arbre nourricier de notre pays. Le pin devrait avoir une place d’honneur à côté de l’érable dans notre blason national.

En parlant de l’érable, cet arbre cher à tout canadien, je sens le désir de hâter mes pas davantage vers notre beau Témiskaming, car jusque là, fussions-nous à la St Jean-Baptiste, nous ne rencontrons pas une de ces feuilles pour orner notre boutonnière. Mais patience ! nous arrivons.