Le Second Livre de la jungle/Chanson du Flot

Traduction par Louis Fabulet et Robert d’Humières.
Société du Mercure de France (p. 181-182).


CHANSON DU FLOT


Le petit flot qui scintille
Dans le soir d’or a léché
La main d’une jeune fille,
Au passer du gué.

Pied peureux, sein frêle et tendre,
Hâte-toi, gagne le bord ;
Le flot dit : Tu peux attendre,
Attends-moi, je suis la Mort !

Que j’attarde par ma faute
L’amour, serait grand péché,
Ce n’est qu’un poisson qui saute
Au passer du gué.

Pied peureux, cœur frêle et tendre,
Le bac te conduit au bord.
Le flot dit : Pourquoi l’attendre ?
Enfant, car je suis la Mort !

À l’amour il faut que j’aille
Dédain n’a point de mari !
Le flot autour de sa taille
Tourbillonne et rit.


Cœur ignorant, main fidèle,
Petits pieds si près du port,
Le flot refermé sur elle
S’enfuit — rouge — loin du bord.