Le Salut par les Juifs/Chapitre 14

Joseph Victorion et Cie (p. 53-56).

XIV


Je sais bien qu’il y a l’histoire du figuier maudit pour avoir été trouvé sans fruit, lorsque Jésus était affamé. Il est vrai que « ce n’était pas encore le temps des figues ». L’Évangile en fait la remarque.

Il dit même, qu’il n’y a pas lieu de désespérer tout à fait si on creuse à l’entour et qu’on y verse des « excréments[1] ». Un peu de patience, il sera toujours temps de l’abattre s’il s’obstine à ne produire aucun fruit.

Ce pauvre figuier qui n’a rien à donner au pauvre Christ, parce que le temps de ses figues n’est pas venu, m’intéresse passionnément. Car il est l’indiscutable symbole du peuple juif dont il exprime souverainement la prospérité.

Mais ne fallait-il pas qu’en attendant le déluge des immondices pour l’exubérance d’une fécondité ultérieure, il donnât tout de même un fruit quelconque à ce Rédempteur impatient qui l’avait maudit, et n’est-il pas permis de conjecturer que l’impénétrable Traître qui résumait si bien la Race bifide, se suspendit précisément à cet arbre de désespoir sous le feuillage duquel tous les bons Hébreux de la tradition s’asseyaient avec confiance.

Ce doit être l’étonnement des Esprits du ciel de rapprocher du sort des Juifs, — à dater de cette horrible primeur, — les antiques promesses de domination glorieuse et d’allégresse « in æternum » dont leurs Livres sont saturés.

À l’apparition du Pauvre, — imprévue depuis deux mille ans, — tout ce qu’il y avait de spirituel en eux a décampé et leur nature charnelle d’idolâtres compteurs d’argent s’est manifestée.

Judas est leur type, leur prototype et leur surtype, ou, si on veut, le paradigme certain des ignobles et sempiternelles conjugaisons de leur avarice, à ce point qu’on les croirait tous sortis, en même temps que les intestins, du ventre crevé de ce brocanteur de Dieu.

C’était un filou vulgaire, — un Klephte, selon le grec, — dit le doux évangéliste saint Jean, et c’était lui qui « tenait la bourse ». Il la tient encore, plus que jamais, et c’est cela, — exclusivement, — qui nous procure le spectacle généreux des indignations journalières de l’acéphale contempteur de Sem.

Le Moyen-Âge, qui avait à peine la notion du porte-monnaie et dont le cœur chavirait d’amour, n’alla jamais au delà des trente pièces d’argent qui lui paraissaient peut-être une somme fabuleuse et qu’il eût préférée sans doute moins considérable, pour que l’opprobre de son Dieu fût encore plus cousin germain de l’humiliation des souffre-douleur qui demandaient l’aumône en son Nom.

Les chrétiens d’alors comprenaient fort bien qu’il n’y a dans le drame tumultuaire du Vendredi Saint que deux personnages : les Juifs et le Pauvre, et ils partageaient équitablement leurs simples âmes entre l’adoration douloureuse et l’horreur sans bornes, abandonnant tout le reste aux docteurs subtils qui parlaient latin.

Je ne sais plus exactement où j’ai lu l’aventure assez naïve de cet ancien chevalier, siégeant en sa qualité de haut notable dans un synode assemblé pour le jugement ecclésiastique d’un rabbin turbulent qui avait mis en circulation de damnables gloses contre la Vierge Marie.

Après une longue dispute où l’audacieux circoncis avait aisément confondu les théologiens ignares qu’on lui opposait, et le louche silence qui précède l’évacuation d’un arrêt sans miséricorde ayant commencé, — le vieil homme vêtu de fer, qui n’avait pas encore fait acte de vivant, descendit avec lenteur de la stalle en cœur de vieux chêne où il avait paru sommeiller et, s’approchant du talmudique :

— Juif, dit-il, tu as bien parlé, mais il reste un argument que tu n’avais pas prévu et qui te laissera sans réponse.

À ces mots, il dégaîne son immense épée de Ptolémaïs ou d’Antioche et le fend en deux, comme un Sarrasin félon, de la tête aux pieds.

De telles anecdotes sont précieuses pour exaspérer les imbéciles et rafraîchir l’imagination des bons chrétiens.


  1. Luc, XIII, 8.