Le Salut par les Juifs/Chapitre 12

Joseph Victorion et Cie (p. 45-48).

XII


Les Juifs ont l’honneur indélébile d’avoir traduit à l’usage de l’humanité, la haine du Pauvre, en un style de tourments dont l’éloquence a supplanté toutes les épouvantes connues.

Ils surent tellement l’énormité de leur besogne qu’ils inventèrent le Couronnement d’épines, pour qu’il fût irréfragable désormais qu’ils avaient eu le pouvoir de conditionner, au moins, un vrai Roi de l’abjection et de la douleur.

Cérémonie sans exemple jusqu’alors, dont les savants du vieux Temple ne devaient pas ignorer le sens profond. Les Épines sont l’ingrédient essentiel de la malédiction suprême, depuis le Désastre initial, et « la moisson des épines à la place de la moisson du froment » est un lieu commun des plus hébraïques.

Ils se rappelaient sans doute le cri du Lamentateur : « Humiliez-vous et asseyez-vous par terre, déplorable troupeau du Seigneur, car la couronne de votre gloire est tombée de votre tête[1] » ; et peut-être aussi les pétales de sang vivant qui sortaient du front du Christ les faisaient-ils penser avec rage au Coronemus rosis du cantique blasphématoire de la Sagesse[2].

Mais savaient-ils, ces docteurs pleins d’ironie et de cruauté, que cette Couronne effroyable régnerait sur eux à jamais et les opprimerait plus durement que le Pharaon, puisqu’elle était posée sur le chef mourant de Celui qui ne pouvait avoir d’autre successeur que l’odieux argent dont ils devinrent, après sa mort, les misérables esclaves ?

Car c’est un mystère fort troublant. La mort de Jésus sépara essentiellement l’Argent du Pauvre, le préfigurant du préfiguré, en la même façon qu’elle sépare le corps de l’âme dans les trépas ordinaires.

L’Église universelle née du Sang divin eut le Pauvre pour son partage, et les Juifs, retranchés dans l’imprenable forteresse d’un récalcitrant désespoir, gardèrent l’Argent, le blême argent griffé de leurs sacrilèges épines et déshonoré par leurs crachats, — comme ils eussent gardé sans tombeau le cadavre d’un Dieu sujet à la corruption, pour qu’il empoisonnât l’univers !


  1. Jérém., chap. 13, v. 18.
  2. Chap. 2, v. 8.