Le Sacre de la Femme

Le Sacre de la Femme
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 23, septembre-octobre (p. 184-193).
POÉSIE



LE SACRE DE LA FEMME.[1]
I.


L’aurore apparaissait; quelle aurore! Un abîme
D’éblouissement, vaste, insondable, sublime;
Une ardente lueur de paix et de bonté.
C’était aux premiers temps du globe, et la clarté
Brillait sereine au front du ciel inaccessible.
Étant tout ce que Dieu peut avoir de visible;
Tout s’illuminait, l’ombre et le brouillard obscur;
Des avalanches d’or s’écroulaient dans l’azur;
Le jour en flamme, au fond de la terre ravie,
Embrasait les lointains splendides de la vie;
Les horizons pleins d’ombre et de rocs chevelus,
Et d’arbres effrayans que l’homme ne voit plus.
Luisaient comme le songe et comme le vertige
Dans une profondeur d’éclair et de prodige;
L’Éden pudique et nu s’éveillait mollement;
Les oiseaux gazouillaient un hymne si charmant.
Si frais, si gracieux, si suave et si tendre,
Que les anges distraits se penchaient pour l’entendre;
Le seul rugissement du tigre était plus doux;

Les halliers où l’agneau paissait avec les loups,
Les mers où l’hydre aimait l’alcyon, et les plaines
Où les ours et les daims confondaient leurs haleines,
Hésitaient, dans le chœur des concerts infinis.
Entre le cri de l’antre et la chanson des nids.
La prière semblait à la clarté mêlée ;
Et sur cette nature encore immaculée,
Qui du verbe éternel avait gardé l’accent,
Sur ce monde céleste, angélique, innocent,
Le matin, murmurant une sainte parole.
Souriait, et l’aurore était une auréole.
Tout avait la figure intègre du bonheur;
Pas de bouche d’où vînt un souffle empoisonneur;
Pas un être qui n’eût sa majesté première.
Tout ce que l’infini peut jeter de lumière
Éclatait pêle-mêle à la fois dans les airs.
Le vent jouait avec cette gerbe d’éclairs
Dans le tourbillon libre et fuyant des nuées;
L’enfer balbutiait quelques vagues huées
Qui s’évanouissaient dans le grand cri joyeux
Des eaux, des monts, des bois, de la terre et des cieux.
Les vents et les rayons semaient de tels délires.
Que les forêts vibraient comme de grandes lyres;
De l’ombre à la clarté, de la base au sommet.
Une fraternité vénérable germait;
L’astre était sans orgueil et le ver sans envie;
On s’adorait d’un bout à l’autre de la vie;
Une harmonie égale à la clarté, versant
Une extase divine au globe adolescent.
Semblait sortir du cœur mystérieux du monde;
L’herbe en était émue, et le nuage, et l’onde.
Et même le rocher qui songe et qui se tait;
L’arbre, tout pénétré de lumière, chantait;
Chaque fleur, échangeant son souffle et sa pensée
Avec le ciel serein d’où tombe la rosée.
Recevait une perle et donnait un parfum;
L’être resplendissait, un dans tout, tout dans un;
Le paradis brillait sous les sombres ramures
De la vie ivre d’ombre et pleine de murmures.
Et la lumière était faite de vérité;
Et tout avait la grâce, ayant la pureté;
Tout était flamme, hymen, bonheur, douceur, clémence,
Tant ces immenses jours avaient une aube immense!

II.


Ineffable lever du premier rayon d’or,
Du jour éclairant tout sans rien savoir encor !
O matin des matins ! amour ! joie effrénée
De commencer le temps, l’heure, le mois, l’année !
Ouverture du monde ! instant prodigieux !
La nuit se dissolvait dans les énormes cieux
Où rien ne tremble, où rien ne pleure, où rien ne souffre ;
Autant que le chaos la lumière était gouffre ;
Dieu se manifestait dans sa calme grandeur.
Certitude pour l’âme et pour les yeux splendeur ;
De faîte en faîte, au ciel et sur terre, et dans toutes
Les épaisseurs de l’être aux innombrables voûtes,
On voyait l’évidence adorable éclater.
Le monde s’ébauchait ; tout semblait méditer ;
Les types primitifs, offrant dans leur mélange
Presque la brute informe et rude et presque l’ange,
Surgissaient, orageux, gigantesques, touffus ;
On sentait tressaillir sous leurs groupes confus
La terre, inépuisable et suprême matrice ;
La création sainte, à son tour créatrice,
Modelait vaguement des aspects merveilleux,
Faisait sortir l’essaim des êtres fabuleux
Tantôt des bois, tantôt des mers, tantôt des nues,
Et proposait à Dieu des formes inconnues
Que le temps, moissonneur pensif, plus tard changea.
On sentait sourdre, et vivre, et végéter déjà
Tous les arbres futurs, pins, érables, yeuses.
Dans des verdissemens de feuilles monstrueuses ;
Une sorte de vie excessive gonflait
La mamelle du monde au mystérieux lait ;
Tout semblait presque hors de la mesure éclore ;
Comme si la nature, en étant proche encore.
Eût pris pour ses essais sur la terre et les eaux
Une difformité splendide au noir chaos.

Les divins paradis, pleins d’une étrange sève.
Semblent au fond des temps reluire dans le rêve,
Et pour nos yeux obscurs, sans idéal, sans foi,
Leur extase aujourd’hui serait presque l’effroi ;
Mais qu’importe à l’abîme, à l’âme universelle
Qui dépense un soleil au lieu d’une étincelle.

Et qui, pour y pouvoir poser l’ange azuré,
Fait croître jusqu’aux cieux l’Éden démesuré!

Jours inouïs! le bien, le beau, le vrai, le juste,
Coulaient dans le torrent, frissonnaient dans l’arbuste;
L’aquilon louait Dieu de sagesse vêtu;
L’arbre était bon; la fleur était une vertu;
C’est trop peu d’être blanc, le lis était candide;
Rien n’avait de souillure et rien n’avait de ride;
Jours purs! rien ne saignait sous l’ongle et sous la dent;
La bête heureuse était l’innocence rôdant;
Le mal n’avait encor rien mis de son mystère
Dans le serpent, dans l’aigle altier, dans la panthère;
Le précipice ouvert dans l’animal sacré
N’avait pas d’ombre, étant jusqu’au fond éclairé;
La montagne était jeune et la vague était vierge;
Le globe, hors des mers dont le flot le submerge,
Sortait beau, magnifique, aimant, fier, triomphant.
Et rien n’était petit quoique tout fût enfant;
La terre avait, parmi ses hymnes d’innocence,
Un étourdissement de sève et de croissance;
L’instinct fécond faisait rêver l’instinct vivant;
Et, répandu partout, sur les eaux, dans le vent.
L’amour épars flottait comme un parfum s’exhale;
La nature riait, naïve et colossale;
L’espace vagissait ainsi qu’un nouveau-né.
L’aube était le regard du soleil étonné.


III.


Or, ce jour-là, c’était le plus beau qu’eût encore
Versé sur l’univers la radieuse aurore;
Le même séraphique et saint frémissement
Unissait l’algue à l’onde et l’être à l’élément;
L’éther plus pur luisait dans les cieux plus sublimes;
Les souffles abondaient plus profonds sur les cimes ;
Les feuillages avaient de plus doux mouvemens,
Et les rayons tombaient caressans et charmans
Sur un frais vallon vert, où, débordant d’extase.
Adorant ce grand ciel que la lumière embrase,
Heureux d’être, joyeux d’aimer, ivres de voir.
Dans l’ombre, au bord d’un lac, vertigineux miroir,

Étaient assis, les pieds effleurés par la lame,
Le premier homme auprès de la première femme.

L’époux priait, ayant l’épouse à son côté.

IV.


Eve offrait au ciel bleu la sainte nudité ;
Eve blonde admirait l’aube, sa sœur vermeille.

Chair de la femme! argile idéale! ô merveille!
O pénétration sublime de l’esprit
Dans le limon que l’Être ineffable pétrit !
Matière où l’âme brille à travers son suaire !
Boue où l’on voit les doigts du divin statuaire !
Fange auguste appelant le baiser et le cœur,
Si sainte, qu’on ne sait, tant l’amour est vainqueur.
Tant l’âme est vers ce lit mystérieux poussée.
Si cette volupté n’est pas une pensée,
Et qu’on ne peut, à l’heure où les sens sont en feu,
Étreindre la beauté sans croire embrasser Dieu !

Eve laissait errer ses yeux sur la nature.

Et, sous les verts palmiers à la haute stature,
Autour d’Eve, au-dessus de sa tête, l’œillet
Semblait songer, le bleu lotus se recueillait,
Le frais myosotis se souvenait; les roses
Cherchaient ses pieds avec leurs lèvres demi-closes ;
Un souffle fraternel sortait du lis vermeil;
Comme si ce doux être eût été leur pareil,
Comme si de ces fleurs, ayant toutes une âme,
La plus belle s’était épanouie en femme.

V.


Pourtant, jusqu’à ce jour, c’était Adam, l’élu
Qui dans le ciel sacré le premier avait lu.
C’était le Marié tranquille et fort que l’ombre
Et la lumière, et l’aube, et les astres sans nombre,
Et les bêtes des bois, et les fleurs du ravin
Suivaient ou vénéraient comme l’aîné divin,
Comme le front ayant la lueur la plus haute;
Et, quand tous deux, la main dans la main, côte à côte,
Erraient dans la clarté de l’Eden radieux.

La nature sans fond, sous ses millions d’yeux,
A travers les rochers, les rameaux, l’onde et l’herbe,
Couvait, avec amour pour le couple superbe,
Avec plus de respect pour l’homme, être complet,
Eve qui regardait, Adam qui contemplait.

Mais, ce jour-là, ces yeux innombrables qu’entr’ouvre
L’infini sous les plis du voile qui le couvre.
S’attachaient sur l’épouse et non pas sur l’époux.
Comme si, dans ce jour religieux et doux,
Béni parmi les jours et parmi les aurores.
Aux nids ailés perdus sous les branches sonores.
Au nuage, aux ruisseaux, aux frissonnans essaims,
Aux bêtes, aux cailloux, à tous ces êtres saints
Que de mots ténébreux la terre aujourd’hui nomme,
La femme eut apparu plus auguste que l’homme!

VI.


Pourquoi ce choix? pourquoi cet attendrissement
Immense du profond et divin firmament?
Pourquoi tout l’univers penché sur une tête?
Pourquoi l’aube donnant à la femme une fête?
Pourquoi ces chants? pourquoi ces palpitations
Des flots dans plus de joie et dans plus de rayons?
Pourquoi partout l’ivresse et la hâte d’éclore,
Et les antres heureux de s’ouvrir à l’aurore.
Et plus d’encens sur terre et plus de flamme aux cieux?

Le beau couple innocent songeait silencieux.

VII.


Cependant la tendresse inexprimable et douce
De l’astre, du vallon, du lac, du brin de mousse.
Tressaillait plus profonde à chaque instant autour
D’Eve, que saluait du haut des cieux le jour;
Le regard qui sortait des choses et des êtres.
Des flots bénis, des bois sacrés, des arbres prêtres.
Se fixait, plus pensif de moment en moment,
Sur cette femme au front vénérable et charmant;
Un long rayon d’amour lui venait des abîmes.
De l’ombre, de l’azur, des profondeurs, des cimes,
De la fleur, de l’oiseau chantant, du roc muet.
Et, pâle, Eve sentit que son flanc remuait.

LE MARIAGE DE ROLAND.


Ils se battent, — combat terrible! — corps à corps,
Voilà déjà longtemps que leurs chevaux sont morts;
Ils sont là seuls tous deux dans une île du Rhône.
Le fleuve à grand bruit roule un flot rapide et jaune,
Le vent trempe en sifflant les brins d’herbe dans l’eau.
L’archange saint Michel attaquant Apollo
Ne ferait pas un choc plus étrange et plus sombre ;
Déjà, bien avant l’aube, ils combattaient dans l’ombre.
Qui, cette nuit, eût vu s’habiller ces barons.
Avant que la visière eût dérobé leurs fronts.
Eût vu deux pages blonds, roses comme des filles.
Hier, c’étaient deux enfans riant à leurs familles.
Beaux, charmans; — aujourd’hui, sur ce fatal terrain,
C’est le duel effrayant de deux spectres d’airain.
Deux fantômes auxquels le démon prête une âme.
Deux masques dont les trous laissent voir de la flamme.
Ils luttent, noirs, muets, furieux, acharnés.
Les bateliers pensifs qui les ont amenés
Ont raison d’avoir peur et de fuir dans la plaine.
Et d’oser, de bien loin, les épier à peine.
Car de ces deux enfans, qu’on regarde en tremblant,
L’un s’appelle Olivier et l’autre a nom Roland.

Et depuis qu’ils sont là, sombres, ardens, farouches,
Un mot n’est pas encor sorti de ces deux bouches.

Olivier, sieur de Vienne et comte souverain,
A pour père Gérard et pour aïeul Garin.
Il fut pour ce combat habillé par son père.
Sur sa targe est sculpté Bacchus faisant la guerre
Aux Normands, Rollon ivre et Rouen consterné,
Et le dieu souriant, par des tigres traîné.
Chassant, buveur de vin, tous ces buveurs de cidre.
Son casque est enfoui sous les ailes d’une hydre;
Il porte le haubert que portait Salomon;
Son estoc resplendit comme l’œil du démon;
Il y grava son nom afin qu’on s’en souvienne;

Au moment du départ, l’archevêque de Vienne
A béni son cimier de prince féodal.

Roland a son habit de fer, et Durandal.

Ils luttent de si près avec de sourds murmures,
Que leur souffle âpre et chaud s’empreint sur leurs armures;
Le pied presse le pied; l’île à leurs noirs assauts
Tressaille au loin; l’acier mord le fer; des morceaux
De heaume et de haubert, sans que pas un s’émeuve,
Sautent à chaque instant dans l’herbe et dans le fleuve.
Leurs brassards sont rayés de longs filets de sang
Qui coule de leur crâne et dans leurs yeux descend.
Soudain, sire Olivier, qu’un coup affreux démasque,
Voit tomber à la fois son épée et son casque.
Main vide et tête nue, et Roland l’œil en feu!
L’enfant songe à son père et se tourne vers Dieu.
Durandal sur son front brille. Plus d’espérance!
« Çà, dit Roland, je suis neveu du roi de France,
Je dois me comporter en franc neveu de roi.
Quand j’ai mon ennemi désarmé devant moi.
Je m’arrête. Va donc chercher une autre épée,
Et tâche cette fois qu’elle soit bien trempée.
Tu feras apporter à boire en même temps,
Car j’ai soif.

— Fils, merci, dit Olivier,

— J’attends,

Dit Roland, hâte-toi. »

Sire Olivier appelle
Un batelier caché derrière une chapelle :

« Cours à la ville, et dis à mon père qu’il faut
Une autre épée à l’un de nous, et qu’il fait chaud. »

Cependant les héros, assis dans les broussailles.
S’aident à délacer leurs capuchons de mailles,
Se lavent le visage et causent un moment.
Le batelier revient; il a fait promptement;
L’homme a vu le vieux comte; il rapporte une épée
Et du vin, de ce vin qu’aimait le grand Pompée
Et que Tournon récolte au flanc de son vieux mont.
L’épée est cette illustre et fière Closamont
Que d’autres quelquefois appellent Haute-Claire.
L’homme a fui. Les héros achèvent sans colère
Ce qu’ils disaient; le ciel rayonne au-dessus d’eux;

Olivier verse à boire à Roland; puis tous deux
Marchent droit l’un vers l’autre, et le duel recommence.
Voilà que par degrés de sa sombre démence
Le combat les enivre; il leur revient au cœur
Ce je ne sais quel dieu qui veut qu’on soit vainqueur,
Et qui, s’exaspérant aux armures frappées,
Mêle l’éclair des yeux aux lueurs des épées.

Ils combattent, versant à flots leur sang vermeil.
Le jour entier se passe ainsi. Mais le soleil
Baisse vers l’horizon. La nuit vient.

« Camarade,
Dit Roland, je ne sais, mais je me sens malade.
Je ne me soutiens plus, et je voudrais un peu
De repos.

— Je prétends, avec l’aide de Dieu,
Dit le bel Olivier, le sourire à la lèvre,
Vous vaincre par l’épée et non point par la fièvre.
Dormez sur l’herbe verte, et cette nuit, Roland,
Je vous éventerai de mon panache blanc.
Couchez-vous, et dormez.

— Vassal, ton âme est neuve,
Dit Roland. Je riais, je faisais une épreuve.
Sans m’arrêter et sans me reposer, je puis
Combattre quatre jours encore, et quatre nuits. »

Le duel reprend. La mort plane, le sang ruisselle.
Durandal heurte et suit Closamont; l’étincelle
Jaillit de toutes parts sous leurs coups répétés.
L’ombre autour d’eux s’emplit de sinistres clartés.
Ils frappent; le brouillard du fleuve monte et fume;
Le voyageur s’effraie et croit voir dans la brume
D’étranges bûcherons qui travaillent la nuit.
Le jour naît, le combat continue à grand bruit;
La pâle nuit revient, ils combattent; l’aurore
Reparaît dans les cieux, ils combattent encore.

Nul repos. Seulement, vers le troisième soir.
Sous un arbre, en causant, ils sont allés s’asseoir;
Puis ont recommencé.

Le vieux Gérard dans Vienne
Attend depuis trois jours que son enfant revienne.
Il envoie un devin regarder sur les tours.
Le devin dit : « Seigneur, ils combattent toujours. »

Quatre jours sont passés, et l’île et le rivage
Tremblent sous ce fracas monstrueux et sauvage.
Ils vont, viennent, jamais fuyant, jamais lassés.
Froissent le glaive au glaive et sautent les fossés,
Et passent, au milieu des ronces remuées.
Comme deux tourbillons et comme deux nuées.
chocs affreux ! terreur! tumulte étincelant!
Mais, enfin, Olivier saisit au corps Roland
Qui de son propre sang en combattant s’abreuve,
Et jette d’un revers Durandal dans le fleuve.

« C’est mon tour maintenant, et je vais envoyer
Chercher un autre estoc pour vous, dit Olivier;
Le sabre du géant Sinnagog est à tienne:
C’est, après Durandal, le seul qui vous convienne.
Mon père le lui prit alors qu’il le défit.
Acceptez-le. »

Roland sourit. « Il me suffit
De ce bâton. » Il dit, et déracine un chêne.

Sire Olivier arrache un orme dans la plaine
Et jette son épée, et Roland, plein d’ennui.
L’attaque. Il n’aimait pas qu’on vînt faire après lui
Les générosités qu’il avait déjà faites.

Plus d’épée en leurs mains, plus de casque à leurs têtes,
Ils luttent maintenant, sourds, effarés, béans,
A grands coups de troncs d’arbre, ainsi que des géans.
Pour la cinquième fois, voici que la nuit tombe.
Tout à coup Olivier, aigle aux yeux de colombe,
S’arrête, et dit :

« Roland, nous n’en finirons point.
Tant qu’il nous restera quelque tronçon au poing,
Nous lutterons ainsi que lions et panthères.
Ne vaudrait-il pas mieux que nous devinssions frères?
Écoute, j’ai ma sœur, la belle Aude au bras blanc,
Épouse-la.

— Pardieu! je veux bien, dit Roland.
Et maintenant buvons, car l’affaire était chaude. »

C’est ainsi que Roland épousa la belle Aude.


VICTOR HUGO.

  1. Deux volumes paraîtront prochainement qui tiendront une place toute particulière dans l’œuvre poétique de M. Victor Hugo. La Légende des siècles, tel est le titre de ce livre purement épique, sorte de romancero, d’histoire légendaire de l’humanité, qui l’ouvre à la création et se continue, à travers tous les âges et tous les peuples, jusqu’aux faits contemporains. Des deux poèmes qu’on va lire, le premier appartient à la période intitulée : D’Ève à Jésus, le second au cycle héroïque chrétien.