Paris Calmann Lévy (p. 215-217).


LIII


Parmi ces professeurs qui sévirent si cruellement contre moi pendant mes années de collège — et qui avaient tous des surnoms — les plus terribles, sans contredit, furent le Bœuf Apis et le Grand-Singe-Noir. (J’espère que s’ils lisaient ceci, ils comprendraient à quel point de vue enfantin je me replace pour l’écrire. Si je les retrouvais aujourd’hui, j’irais sans nul doute à eux la main tendue, en m’excusant d’avoir été leur élève très indocile).

Oh ! le Grand-Singe surtout, je le haïssais ! Quand du haut de sa chaire il laissait tomber cette phrase : « Vous me ferez cent lignes, vous, le petit sucré là-bas ! » je lui aurais sauté à la figure comme un chat outragé. Il a, le premier, éveillé en moi ces violences soudaines qui devaient faire partie de mon caractère d’homme et que rien ne laissait prévoir chez l’enfant plutôt patient et doux que j’étais.

Et cependant, il serait inexact de dire que j’aie été tout à fait un mauvais élève ; inégal plutôt, à surprises ; un jour premier, dernier le lendemain, mais restant en somme dans une moyenne acceptable, avec toujours, à la fin de l’année, les prix de version.

Rien que ceux-là, par exemple, — et je m’étonnais que tout le monde ne les eût pas, tant cela me semblait facile. J’avais au contraire le thème extrêmement rebelle ; la narration, encore davantage.

Je désertais de plus en plus mon propre bureau, et c’était chez tante Claire, à côté de l’ours aux pralines, que je subissais avec plus de résignation la torture des devoirs ; sur le mur, dans un recoin caché de la boiserie de cette chambre, un portrait à la plume du Grand-Singe subsiste encore, avec d’autres bonshommes de fantaisie ; l’encre a pâli, jauni, mais on les a respectés et, quand je les regarde, je retrouve encore du mortel ennui, de l’étouffement glacé, — des impressions de collège, enfin.

Tante Claire était plus que jamais ma ressource, par ces temps durs, cherchant toujours mes mots dans les dictionnaires et se condamnant même souvent à faire à ma place, d’une écriture imitée, les pensums du Grand-Singe.