Paris Calmann Lévy (p. 156-157).


XXXVII


Il paraît que certains enfants du pays du Centre ont une préoccupation grande de voir la mer. Moi, qui n’étais jamais sorti de nos plaines monotones, je rêvais de voir des montagnes. Je me représentais de mon mieux ce que cela pouvait être ; j’en avais vu dans plusieurs tableaux, j’en avais même peint dans des décors de Peau-d’Ane. Ma sœur, pendant un voyage autour du lac de Lucerne, m’en avait envoyé des descriptions, m’en avait écrit de longues lettres, comme on n’en adresse pas d’ordinaire à des enfants de l’âge que j’avais alors. Et mes notions s’étaient complétées de photographies de glaciers, qu’elle m’avait rapportées pour mon stéréoscope. Mais je désirais ardemment voir la réalité de ces choses.

Or, un jour, comme à souhait, une lettre arriva, qui fut tout un événement dans la maison. Elle était d’un cousin germain de mon père, élevé jadis avec lui fraternellement, mais qui, pour je ne sais quelles causes, n’avait plus donné signe de vie depuis trente ans. Quand je vins au monde, on avait déjà complètement cessé de parler de lui dans la famille, aussi ignorais-je son existence. Et c’était lui qui écrivait, demandant que le lien fût renoué ; il habitait, disait-il, une petite ville du Midi, perdue dans les montagnes, et il annonçait qu’il avait des fils et une fille, dans les âges de mon frère et de ma sœur. Sa lettre était très affectueuse, et on lui répondit de même, en lui apprenant notre existence à tous les trois.

Puis, la correspondance ayant continué, il fut décidé qu’on m’enverrait passer les vacances chez eux, avec ma sœur qui jouerait là, comme pendant nos voyages dans l’île, son rôle de mère auprès de moi.

Ce Midi, ces montagnes, cet agrandissement subit de mon horizon, — et aussi ces nouveaux cousins tombés du ciel, — tout cela devint l’objet de mes constantes rêveries jusqu’au mois d’août, moment fixé pour notre départ.