Le Puits de la vérité/La marraine de l’Amérique



LA MARRAINE DE L’AMÉRIQUE



Les premiers voyages de Christophe Colomb n’avaient pas eu grand retentissement, même en Espagne. Lui-même ne savait pas qu’il avait découvert un nouveau continent, croyait avoir abordé en Chine ou dans l’Inde, ce qui explique le nom donné aux habitants. Ce n’est qu’à son troisième voyage qu’il toucha aux côtes de l’Orénoque. Or, dans le même temps, America Vespuce visita les côtes du Venezuela, puis du Brésil, et ces voyages furent bien plus célébrés que celui de Colomb et arrivèrent à la connaissance de quelques obscurs savants qui se réunissaient à Saint-Dié en une petite académie protégée par René II, duc de Lorraine. Ces savants, dont les noms figurent depuis quelques jours sur une plaque de marbre blanc, s’occupaient précisément à faire imprimer la Cosmographie de Ptolémée. Quand ils surent la nouvelle qu’un nouveau continent venait d’être découvert, ils rédigèrent en hâte une préface où cela était annoncé au monde. Comme ils ne connaissaient que le nom d’Amerigo Vespucci, ils crurent que la justice commandait de le donner aux terres inconnues qu’il avait révélées, et c’est ainsi qu’en toute ingénuité ils commirent une grande injustice. C’était l’an 1507, quinze ans après sa véritable découverte, que l’Occident apprit qu’un autre continent venait de s’ajouter aux trois premiers et qu’il s’appelait l’Amérique. Ce baptême avait eu lieu dans une petite ville perdue au pied des Vosges et l’on fut longtemps sans en connaître l’origine. Saint-Dié est désormais célèbre. Bien des Américains ont voulu connaître, et beaucoup voudront connaître à l’avenir, la marraine de l’Amérique. Il y a déjà aux États-Unis une société et un journal de géographie du nom de Saint-Dié, où l’on étudie tout ce qui concerne la découverte et l’histoire du baptême. Sans doute l’Amérique eût dû s’appeler la Colombie, mais il n’est pas absolument sûr qu’Améric Vespuce n’ait pas touché le continent avant Colomb et d’ailleurs il fut, lui aussi, un grand navigateur. Il ne sut jamais ce qui se passait à Saint-Dié, et que, comme il s’embarquait pour son cinquième voyage au nouveau-monde, un brave chanoine écrivit : « Des femmes ont donné leur nom à l’Europe et à l’Asie ; pourquoi un homme ne donnerait-il pas le sien à ces terres nouvelles ? » Mais en la nommant America, n’en faisait-il pas une femme ?


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