Le Puits de la vérité/La jeune Éclipse

Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 99-100).



LA JEUNE ÉCLIPSE



C’est une histoire vraie ou fausse. Je la crois plutôt de l’invention d’un homme d’esprit. N’importe, elle est amusante. Et puis elle suggère quelques réflexions. Donc, le jour ou le lendemain de l’éclipse, un brave homme présente à la mairie une petite fille à laquelle il prétend donner comme nom Éclipse. On lui objecte que ce nom ne figure pas au calendrier. Mais il en sort un de sa poche et pointe : 17 avril. Éclipse. Je ne crois pas tout de même qu’il ait eu gain de cause. Pourtant ? En quoi cette fantaisie était-elle subversive, contraire aux lois et à la morale ? Pourquoi ne pourrait-on donner à un enfant qu’un nom de saint ou sainte, et cela dans un pays où on ignore officiellement l’existence aléatoire de ces vénérables personnages ? On peut nommer un enfant Polycarpe. En quoi est-ce moins ridicule qu’Éclipse ? On ne connaît qu’un abrégé du calendrier romain, mais il est d’une richesse folle en noms baroques. Polycarpe n’est pas extrêmement étonnant. Il est seulement vaudevillesque. Mais que pensez-vous de Pion, de Pipe ou, si vous voulez encore du grec, de Polychrône, qui furent d’authentiques bienheureux ? Si c’est dans l’intérêt, louable sans doute, de l’enfant, que vous défendez qu’on appelle une petite fille Éclipse, permettrez-vous qu’on l’appelle Pipe ? Quelles sont les règles ? Et puis, un nom ridicule dans un pays ne l’est pas dans un autre, où il est au contraire populaire. Il y a un ancien calendrier républicain qui contient des noms agricoles, des noms aratoires, des noms botaniques. On trouverait là de très jolies appellations dont les enfants ne seraient nullement déshonorés. Ne voit-on pas très bien une petite fille se nommer Glycine, Lilas, Rosée, Cerise, Pomme, etc. ? Non, vraiment, je ne trouverais là rien de ridicule.


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