Le Principe de relativité et la théorie de la gravitation/chap. 5

CHAPITRE V.

RELATIVITÉ DE L’ESPACE ET DU TEMPS[1].


17. L’espace et le temps relatifs.

Dans le groupe de Lorentz, le temps n’est plus un invariant ; on voit alors disparaître la dissymétrie qui, dans le groupe de Galilée, existait entre l’espace et le temps (no 3).

Soient les coordonnées de deux événements dans un premier système de référence les coordonnées des mêmes événements dans un second système animé d’une vitesse par rapport au premier. Adoptons la disposition d’axes précédemment indiquée (no 1) et prenons pour origine des temps l’instant où les deux systèmes d’axes sont en coïncidence.

Dans la cinématique ancienne, la distance spaciale des deux événements est relative, puisque dépend de

mais l’intervalle de temps séparant ces événements est indépendant du système de référence

puisque le temps est supposé absolu.

Dans la cinématique nouvelle, l’intervalle de temps est fonction de tout comme l’intervalle d’espace. Appliquons, en effet, les formules de Lorentz

(1-5)

ou encore, en remplaçant le temps par le trajet que la lumière peut parcourir pendant ce temps c’est-à-dire en prenant pour variables

(2-5)

La symétrie de ces deux relations est remarquable.

Il résulte immédiatement de l’expression de (1−5) que la simultanéité de deux événements est relative. Lorsque deux événements sont simultanés dans un système ils ne sont simultanés dans aucun autre système en mouvement par rapport au premier à moins qu’ils ne coïncident à la fois dans l’espace et dans le temps Dans ce dernier cas, on dit qu’ils sont en coïncidence absolue. Cette coïncidence complète a un sens absolu, ce qu’on comprend aisément, car il peut en résulter un effet sur lequel tous les observateurs seront nécessairement d’accord (par exemple, rupture de deux objets par choc mutuel).

La relativité complète de l’espace que perçoit chaque observateur entraîne la suppression de la notion de système fixe et de mouvement absolu. L’éther, du moins celui de la théorie de Fresnel, doué de propriétés élastiques et mécaniques, doit être supprimé : nous verrons, dans la relativité généralisée, par quelle conception l’ancien éther peut être remplacé.

18. Loi de composition des vitesses.

Un mobile est animé d’une vitesse mesurée par un observateur du système

Quelle est la vitesse de ce mobile pour un observateur du système

Nous adoptons toujours la même disposition d’axes ; est la vitesse (parallèle à et à ) du système par rapport au système

Dans la cinématique du groupe de Galilée, la réponse est immédiate (no 4) ; on a

La cinématique du groupe, de Lorentz conduit à une loi bien différente (déjà mentionnée au no 11). Différentions les équations de Lorentz :

Il suffit de diviser les trois premières équations par la dernière pour avoir le résultat :

(3-5)

En particulier, si est parallèle à on a

(4-5)
 

Ainsi, deux vitesses mesurées dans des systèmes différents ne se composent pas suivant la règle du parallélogramme, mais il importe de remarquer que deux vitesses mesurées dans le même système se composent toujours suivant la règle habituelle.

On voit, par l’équation (4-5), que la vitesse est toujours au plus égale à et elle n’atteint que si l’une au moins des vitesses ou est égale à Un mobile, par accroissements successifs de vitesse à partir de sa vitesse primitivement acquise, n’atteint jamais la vitesse de la lumière. La vitesse de la lumière est une vitesse limite qui ne peut être dépassée.

Comme exemple, supposons un observateur et deux observateurs et s’éloignant de dans des directions opposées, avec la vitesse, mesurée par de 200 000 km : sec. Pour l’observateur les observateurs et s’éloignent l’un de l’autre de 400 000 km par sec, mais pour chacun des observateurs et la vitesse de l’autre est seulement 277 000 km : sec.

Robb a remarqué que la loi d’addition pour le mouvement dans une dimension peut être rétablie si l’on mesure le mouvement, non plus par la vitesse mais par la rapidité

La loi (4-5) s’écrit, en effet,

Comme la rapidité de la lumière est infinie.

19. Explication de l’expérience de Fizeau dite « entraînement des ondes lumineuses. »

Il suffit d’écrire la loi de composition des vitesses (4-5). Le courant d’eau (système ) coule relativement à l’observateur (système ) avec la vitesse Le rayon lumineux se propage dans l’eau (système ) avec la vitesse la vitesse de ce rayon mesurée par l’observateur (système ), est donc

en limitant le développement aux termes du premier ordre. C’est bien le résultat vérifié par Fizeau.

La loi d’entraînement s’explique donc immédiatement, de la façon la plus simple, par la cinématique nouvelle.

Il est à remarquer que est la vitesse de la phase ; cette vitesse a une signification purement géométrique : la phase ne peut pas servir à envoyer un signal, et lorsque il n’y a dans ce fait aucune contradiction avec l’affirmation qu’un signal ne se propage jamais avec une vitesse supérieure à .

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  1. A. Einstein, Ann. d. Physik, t. 17, 1905. — P. Langevin, L’évolution de l’espace et du temps (Scientia, 1911).