Théâtre de l’Opéra. — Première représentation du Philtre, paroles de M. Scribe, musique de M. Auber.

Qui croirait que, dans un temps où la franche gaîté est presque exilée de tous lieux, elle eût trouvé un refuge à l’Opéra, à la grave Académie royale de Musique ! Cela seul est une nouveauté. Le Philtre est une jolie bluette, une légère composition lancée en avant-garde pour faire attendre des ouvrages plus importans dont s’occupe l’administration. Le sujet en est fort simple. La scène se passe sur les bords de l’Adour ; au lever du rideau, le théâtre est inondé de villageois au pittoresque costume basque. Guillaume, garçon de ferme, aime Thérésine, jeune et jolie fermière, tant soit peu coquette, qui désespère le pauvre garçon en écoutant les doux propos du sergent Joli-Cœur. Pour vaincre l’indifférence de Thérésine, Guillaume, qui vient d’entendre l’histoire du boire-amoureux du beau Tristan de Léonnais, s’adresse au charlatan Fontanorose, qui arrive dans le village au son des trompettes et des cimbales. Ce philtre, qui n’est autre chose qu’un flacon de bon vin, redonne du cœur et de la gaîté à Guillaume : il est sûr d’être aimé, il déjeune avec appétit, et chante de joyeux refrains. Étonnée d’un changement si subit, Thérésine promet de donner sa main au sergent-recruteur dans huit jours ; Guillaume ne s’en inquiète pas, le philtre aura produit son effet avant ce temps. Mais arrive un ordre qui enjoint à Joli-Cœur de partir dès le lendemain ; il demande à épouser sur-le-champ. Thérésine veut éprouver jusqu’où ira le courage de Guillaume, et consent à tout.

La noce se prépare. Ici la scène change : Guillaume, si certain de sa conquête il n’y a qu’un instant, perd tout à coup sa confiance enfantine. Le philtre, qui ne doit agir que dans vingt-quatre heures, ne lui suffit plus : il lui en faut un dont l’effet soit plus prompt ; mais il n’a plus d’argent, et Fontanorose ne fait pas crédit. Heureusement que son rival Joli-Cœur est là pour lui offrir vingt écus pour prix de son engagement dans les troupes du roi. Il court chez le charlatan, qui lui vend un nouveau breuvage ; mais un moyen plus sûr que l’orviétan du docteur, et qui aplanit bien des obstacles, est un bon héritage que lui laisse un oncle qui s’avise de mourir subitement, comme cela arrive toujours au théâtre. Guillaume, qui ne sait pas encore l’heureuse nouvelle, est maintenant recherché, caressé par les jeunes filles qui naguère le dédaignaient. Il attribue tout cela à la vertu du philtre ; il épouse Thérésine, et saute de joie au cou de Fontanorose émerveillé, qui est reconduit en triomphe.

Comme on voit, il n’y a rien de bien neuf dans cette donnée : de jolis détails, une musique gracieuse et légère, ont décidé du succès. On a tout applaudi, depuis l’ouverture jusqu’aux costumes et décors, qui sont vrais et charmans. La partition de M. Auber abonde en jolis motifs : c’est un bouquet de fraîches et brillantes fleurs ; cependant l’ouverture et la romance de Tristan de Léonnais nous paraissent manquer de caractère. Le grand air de Joli-Cœur est d’une bonne facture ; mais Dabadie y est lourd. Levasseur mérite le même reproche dans le rôle de Fontanorose : le genre grave convient mieux à son allure. Quant à Nourrit, il est très-bien dans celui de Guillaume : il s’y est montré comédien et chanteur tout à la fois. Mademoiselle Dorus, chargée à l’improviste, par indisposition de madame Cinti, du rôle de Thérésine, s’en est tirée avec beaucoup de talent, et a été fort applaudie.

Pendant que la plupart des théâtres sont presque déserts, M. Véron trouve moyen d’attirer la foule à l’Opéra : M. Véron est un habile homme.