Le Petit neveu de l’Arretin/Les œufs cassés

N. Laurenceau
Chez don B… aux trois Pucelles (p. 110-117).

Les œufs cassés.

Conte tiré du moyen de parvenir.


Ô mes amis, combien cet univers,

Pauvre de gens de bien, est riche en méchans hommes.
Au tems passé comme au siècle où nous sommes,
Toujours ce fut le règne des pervers,
  Larrons adroits qui vous prennent aux belles
Tétins mignards, cons, culs, et qui pis est,
Prêtent pour neuf mois aux pucelles
Mince foutre à gros intérêt.
De telle gente une ample fourmillière
Est à Paris, et sitôt qu’un tendron,
Morceau friand, a passé la barrière,
Tous sont en quête et lorgnent son croupion.
L’un la conduit au bal, l’autre à la comédie,
L’autre ailleurs ; chaque fête est une trame ourdie,
Pour ravir son palladion ;

Et ne sachant encore à peine
Si c’est du lard ou du cochon,
Toutefois par provision
La pauvre fille se démène
Sous l’écuyer, de la bonne façon.
Mais le mal qu’en ceci je trouve avec raison,
C’est que cette beauté qu’au plaisir on convie,
Le plus souvent est mal servie :
C’est d’ordinaire un jeune farfadet,
Fort de jargon et faible de jarret,
Qui, dans ce nid fait pour un aigle,
Loge son mince roitelet ;
La pauvre fille ! il lui fallait
  Du gros pain bis, du pain de seigle,
Il la nourrit de pain mollet.

Petits sultans à courte pine,
N’ambitionnez pas de foutre un con tout neuf,
Ne mettez pas, sous un gros drap d’Elbœuf,
Une doublure d’étamine.
Mais ces cons candidats, ignorans de vos tours,
Sont les seuls que vous faites dupes,
Vous pouvez bien trousser des jupes ;
Mais vous n’enfilez pas toujours

Quand un con a la vétérance,
Il ne se laisse plus foutre sans caution,
Et ce n’est plus une vaine apparence
Qui surprend sa religion.
Je connais mainte femme et du plus grand mérite,
Qui toutes chantent sur ce ton,
Qui se laissent trousser en disant toujours non.
Si le soldat qui sort de sa guérite
Paraît un invalide, on devient un Samson
Pour résister ; on se fâche, on s’irrite ;
Madame alors dit tout de bon,
Non ;
Griffes et dents alors font rage,
C’est un tigre ; c’est un mouton,
Lorsqu’à son con antropophage
S’offre le vit d’un patagon,
Madame alors mord à la grappe,
Et du plaisir entr’ouvre la soupape.
Cette conduite est sage, en ceci comme en tout,
Précaution est chose nécessaire,
Dans ce pays trompeur l’on hérite et l’on fout
Par bénéfice d’inventaire.
Mais revenons, lecteur, à notre affaire,

On conte qu’il était jadis
Femme de bien qui prit pour chambrière
Jeune pucelle à tétons rebondis,
Novice ignare, apprentie ouvrière,
N’ayant jamais remué la charnière.
Elle arrivait des confins champenois ;
Fin corsage, peau blanche, œil frippon, doux minois,
Formaient l’étui de son ame grossière.

Le mari la voyant arde dans son harnois ;
Il sent sa charnelle vétille
Se roidir sous son caleçon,
Et déjà son goujon sur sa cuisse frétille
Alléché par l’appât du friand hameçon.

Or, il advint qu’un jour de fête,
Où madame faisait la quête,
Il resta seul à la maison,
Et fit ainsi sa harangue à Louison :

Louison, ma mie, avez martel en tête,
Et je ne sais quel mal vous point. — Oui-da,
Répart Louison, oui, mon biau maître,
Depuis le jour que me brida
Cet ardent desir de connaître

Votre Paris, j’ons-là certain chagrin
Qui nous consume et qui nous mine
D’bout en bout, j’n’y connaissons r’in.

Vraiement, vous m’avez bien la mine
D’avoir le mal, dit le maître rêvant,
Qu’a toute fille à Paris arrivant.

Hé donc, quel mal, monsieur ? Si l’on en meure,
Dit la belle en ouvrant de grands yeux ébahis,
J’vons de ce pas retourner au pays. —

Non, restez en cette demeure,
Et n’en ayez aucun souci ;
C’est un grand mal, mais mal dont dieu merci,
Je vous guérirai sur mon ame ;
Or, vous saurez, Louison, qu’à toute honnête femme
Qui, de province, arrive en ce canton,
Dans le milieu du ventre il vient un quarteron
De petits œufs ; si faut-il qu’on les casse,
Sans quoi chacun des œufs croît comme un potiron,
Et le nombril, en forme de besace,

Tombe et descend sur le giron ;
Sans parler qu’il pourrait encore,
Le cas déplaisant arriver,
Qu’en ce lieu, propre à les couver,
Des susdits œufs on vit éclore
Petits poulets qu’on entendrait crier.
Et quel dommage, hélas ! que cette peau doucette
Devînt, ô charmante Lisette,
La muraille d’un poullailler.

Tout en disant ceci, le drille
Becquetait les pommes d’amour,
Et sa main se glissant sur sa cuisse gentille,
En mesurait la forme et le contour.
La fille cependant se lamente, intercède,
Pleure, sanglote, et s’enquiert du remède.

C’était où l’attendait le gas,
Sitôt il la prend dans ses bras,
L’entraîne sur un lit, l’y couche,
Il lui met bouche contre bouche,
Lève de main senestre un jupon de coutil,
De la dextre il prend son outil,

Sur le ventre de l’étourdie
Il casse un œuf, puis deux, puis trois,
Ce fut le tout pour cette fois.
Au lendemain il remet la partie ;
Le lendemain même cérémonie,
Le jour d’après autant, si qu’à la fin
Dame Alix s’en douta, sentant sa part rognée,
Elle n’était comme avant besognée,
Et voyant chommer son moulin,
Force était que l’époux portât ailleurs son grain.
Certain jour donc qu’à son impatience
La chambrière tardait trop
À la chambre du sire, elle y grimpe au galop.
Que fais-tu là, maudite engeance,
Lui cria-t-elle en voix de lucifer ?
Race du diable et vrai tison d’enfer,
Que fais-tu, dis ? Oh ! pour moi, rien madame,
C’est monsieur qui, par bonté d’ame,
Cassait mes œufs, source, de tous mes maux. —
Quoi donc des œufs ? Oh ! oh vos vains propos
Ne m’abuseront pas, ma mie,
N’avez ici trouvé des dupes ni des sots,
Cherchez-en ailleurs, je vous prie,
Pour leur conter de tels fagots.

Fagots ne sont, dit la pauvrette en transe,
Mais vérité ; je vous ai dit ma chance,
Sans barguigner, je vous réponds,
Et si vous en voulez une preuve plus claire,
Ajouta-t-elle en troussant ses jupons,
Las ! madame, en voici le glaire.