Éditions Prima (Collection gauloise ; no 57p. 1-5).


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Un néo-voleur



Lorsque James-Athanase Sirup s’éveilla, ce matin-là, le ciel était d’une couleur d’eau savonneuse assez peu propice à l’élaboration des idées roses. À travers la lucarne de son gîte, James-Athanase Sirup regardait courir très haut des nuées déchiquetées, malpropres et sombres. De ce magma attristant qui cachait l’azur du ciel ressortait une abominable tristesse. Et la pluie venait corser cela de son crépitement irritant.

James-Athanase Sirup se prit la tête à pleines mains. Il lui faudrait, dans peu de minutes, sortir pour ne plus rentrer. Car il était fichu à la porte de ces lieux, faute d’avoir su trouver à temps les ors nécessaires à l’offrande trimestrielle réclamée par les dieux de la propriété.

Il lui faudrait s’en aller par la ville, avec un vêtement usagé et sans prestige, la poche vide, le ventre vide, et sans amis ou connaissances propres à le servir.

La perspective pouvait passer pour peu folâtre. Mais que faire, par Satan, que faire ? James-Athanase Sirup était au vrai un charmant jeune homme de vingt ans et peu de mois. Gracieux, il savait plaire, mais jusqu’ici une timidité quasi féroce lui avait interdit de tirer avantage de ses dons moraux plastiques et intellectuels. Timide, on ne saurait réussir ni dans les affaires, ni dans l’amour. Cela n’a aucun emploi dans la vie, la timidité, sauf au fond des provinces les plus reculées, pour faciliter le mariage des filles sans dot. Mais aujourd’hui même, l’audace des décolletés suggestifs, des jupes écourtées et des entrevisions galantes finit par primer la chaste crainte si affriolante jadis.

Ainsi le malheureux Sirup serait bientôt seul au monde à garder cette vertu timide rejetée même par les vierges provinciales. Il songeait à tout cela avec âpreté et un rire narquois le secoua.

— Si encore on voulait m’exposer dans un musée tératologique, à côté de l’homme serpent, du veau à trois têtes et de la poule qui parle ?

Hélas ! la timidité a perdu tout prestige, mais n’est pas encore une curiosité de musée.

— Hé bien ! s’écria James-Athanase Sirup, c’est bien simple, je vais me mettre voleur !

Il sauta du lit à terre, fier de cette décision plus que d’un grade dans la Légion d’honneur. Le dallage de sa chambre était froid. Fichtre, qu’on doit donc être heureux quand on marche sur des tapis !

— Parfaitement, je vais m’installer voleur. J’ouvre un fonds de voleur et j’attends les clients !

Sirup mit en hâte ses chaussures. Elles avaient encore de l’élégance. Il avait ouï souvent dire qu’à Paris un homme bien chaussé est un homme « bien ».

— Mais, reprit-il, je ne sais pas encore s’il faut se spécialiser, pour être un voleur de quelque dignité. Quel genre de vol ? De la confection, ou du « sur mesure » ?

Il avait une bibliothéque, à la tête de son lit, laquelle comportait, entre autre merveilles, un dictionnaire français édité en 1845. Il le feuilleta hâtivement.

Au mot voleur, nulle indication ne pouvait fournir d’exacts renseignements sur les diverses voies pratiques dans lesquelles on peut ouvrir une firme de voleur. James-Athanase Sirup en fut fort gêné.

— Ce n’est pas tout, de certifier que je me fais voleur. Voleur de quoi, en quoi et comment ? Celui qui veut exercer un métier doit choisir parmi les modalités de ce métier. En tout cas, c’est bien décidé. À cette heure, mon parti est pris. Je suis un voleur.

Il avait fini de s’habiller et jeta un regard dans la chambre, vide, désespérément vide, qui allait pourtant lui manquer lorsqu’il en serait sorti. Soudain, une idée lui vint :

— Si je commençais par voler quelque chose tout de suite. Cela confirmerait de façon pratique les décisions prises.

Il chercha quelque objet à voler. Mais, en vérité, il n’y avait rien du tout en ses entours. Il était propriétaire légitime, sous les réserves légales, qui font des objets meublants la garantie du loyer, de tout ce qui subsistait ici. Pas grand’chose à vrai dire, hors le lit…

— Je ne quitterai pas cette boîte sans voler quelque chose pourtant, dit sombrement James-Athanase Sirup. S’il n’y a rien ici, voyons dans le couloir et à côté.

Et, prenant son lexique sous le bras, pour contenance, comme arme, éventuellement, ou même pour le vendre si jamais quelque fou au monde — tout arrive — se pouvait trouver pour acquérir contre espèces un dictionnaire de 1845, il ouvrit et sortit.

Le galetas où il habitait occupait un fond de couloir au huitième étage d’un immeuble géant et neuf. Sirup se dirigea vers l’autre extrémité du couloir. Là il trouverait l’escalier et n’aurait plus qu’à descendre. Il fallait donc voler avant d’y parvenir…

Il fit deux, quatre, six pas. Voler quoi ? Il n’y avait que des huis clos et numérotés.

Une porte est entre-baillée. Sirup, soudain décidé et énergique, la pousse, Il se trouve dans une pièce semblable à celle qu’il occupait tout à l’heure. C’est tout de même plus digne et mieux meublé. Et puis, il y a une jolie femme. Oh ! jolie vraiment et dévêtue, puisque encore au lit ; laquelle regarde entrer avec étonnement James-Athanase Sirup. Il lui crie fortement :

— Pas un cri, madame, je suis un voleur !

Ceci dit, il s’approche, d’un pas prompt, à ce qu’il croit, mais au fond très lent, du lit où la jeune femme couchée le regarde venir sans savoir encore s’il faut rire ou s’épouvanter.

Enfin, elle se décide à parler :

— Ah ! vous êtes le voleur. Je ne vous attendais que la semaine prochaine. À combien s’élève ma facture ?

Sirup, ahuri, la regarde avec des yeux fous. Elle le trouve charmant. Elle n’est pas pressée de se lever et, en somme, le lit était un peu froid pour une femme seule…

Elle reprend, ironique, cordiale et accueillante :

— Ferme donc la porte, grand fou de voleur ! Et viens ici. Tu me diras à l’oreille ce que tu venais voler.

James-Athanase Sirup obéit. Il pose son dictionnaire sur la table de nuit, et…