Le Paillé et le Diapré Héraldiques

Le Paillé et le Diapré Héraldiques
Mémoires de la société d'archéologie, littérature, sciences et arts des arrondissements d'Avranches et de Mortain (p. 1-24).

Le Paillé et le Diapré Héraldiques



Le Paillé ou le Diapré, vraiment héraldique, que nous allons décrire, est, sans contredit, le plus chatoyant des émaux du Blason. Son éblouissante et merveilleuse diaprure, composée des symboles de la bravoure et de la victoire, reflète les gestes héroïques des premiers croisés.

Cependant, cet émail incomparable a été, par cela même, méconnu, on peut même dire diffamé, en se servant d’un terme de la langue du Blason, par les héraldistes, qui, ne pouvant arriver à l’expliquer, en ont fait une simple figure d’ordre très inférieur.

À la vérité, et c’est là jusqu’à un certain point leur excuse, ce riche et brillant Paillé est excessivement rare dans les armoiries. Mais sa rareté même n’est-elle pas a priori la preuve de son excellence ?

On ne trouve que trois familles, toutes les trois Normandes et représentées par six personnes, portant des pièces de Paillé sur leurs armes, dans l’histoire Générale de Normandie, de 1631, par maistre Gabriel du Moulin, curé de Menneval, qui a publié à la suite de cette histoire, le Catalogue des Seigneurs de Normandie, et autres provinces de France, qui furent en la Conqueste de Hierusalem, sous Robert Courte-Heuze, Duc de Normandie, et Godefroy de Bouillon, Duc de Lorraine, avec la curieuse remarque de toutes leurs armes ou armoiries.

Ce titre si précis n’est pourtant pas exact, comme on le verra plus loin.

Le catalogue comprend 450 noms et armes des Seigneurs de Normandie, Bannerois ou porte-guidons Normands, parmi lesquels nous relevons :

Le sire de Clere, d’argent à une fesse de Paesle.

Monsieur Iean Maguerel, d’argent à une fesse de paesle à trois roses de gueulles.

Le sire de la Roche-Tesson[1], fesse d’ermines et paeslé de sept pieces[2].

Monsieur Iean Tesson de Henneville[3], fessé d’ermines et de paesle de six pieces[4].

Monsieur Raoul Tesson, semblable à un baston de gueulles.

Monsieur Iean Tesson de l’Espinne[5], semblable à un label de gueulles.

Le bâton et le lambel étaient des brisures de cadets.

La liste des 450 Bannerois ou porte-guidons Normands se termine par la note suivante qui, apparemment, n’a guère été remarquée puisque tous les auteurs généalogistes se sont laissé prendre au titre. Cette note eut donc été beaucoup mieux placée en tête comme avertissement :

« Tout ce que dessus a esté extrait d’un ancien Livre escrit en velin, trouvé en la Bibliothèque de l’Eglise Cathedrale de Bayeux, et intitulé les anciennes histoires d’outremer, et finissant en ces termes : en tel temps alla le Roy Charles, et se combatit contre Mainfroy, le déconfit et tua en champ : Et après en un cahier de velin sont escrits ces mots en teste, France. Le Roy de France, d’azur à trois fleurs de lys d’or. Ie scay que ce Catalogue des François est posterieur d’un long temps a la Conqueste de Hierusalem, et neantmoins dautant qu’il pourra contenter les curieux, et servir à ceux qui traitent des histoires, ou bien souvent les moindres choses servent beaucoup, i’ay bien voulu le donner au public. »

De fait, ce Catalogue n’est, paraît-il, que la reproduction de l’Armorial, de 1396, du héraut Navarre (Thomas Carbonnel) qui donne pour notre province les noms de 300 chevaliers ayant vécu à cette date et ceux de 160 de leurs cadets et juveigneurs. La Bibliothèque Nationale possède cinq exemplaires de cet Armorial. M. Paul de Farcy, auteur des Sources d’un Nobiliaire de Normandie, les a collationnés avec soin et se propose de publier un jour le texte qu’il a pu, de la sorte, établir aussi exactement que possible[6].

Cependant, les noms qui figurent sur ce Catalogue ont été de nouveau publiés ordinairement suivis de la mention : (Manuscrits de la Bibliothèque Royale) par P. Roger dans la Noblesse de France aux Croisades (1845). Nous l’avons constaté pour les gentilshommes Normands au moyen d’un minutieux pointage. Sur les 450, une dizaine seulement, représentant 3 ou 4 familles, manquent à l’appel.

Il est assez difficile de reconnaître le mot actuel de Paillé, dans le Paesle, employé cinq fois, ou Paeslé, une fois seulement, dans le susdit Catalogue, car ces derniers mots ne peuvent se prononcer que Palle ou Pallé. La meilleure preuve, c’est que le même auteur écrit aussi indifféremment Paesle, Paeslé, et Paaslé pour Palé (couvert de Pals ou de Paux). Il y a donc eu corruption du mot primitif et nous voyons dans le premier Paesle ou Palle, devenu Paillé, le mot latin de Palla au sens d’écharpe, de tenture ou de tapisserie (voir le dictionnaire latin-français de Quicherat). — Quant au second Paesle ou Pal, il vient de palus, pieu[7].

On a donc simplement blasonné pour de Clere et Maguerel : d’argent à une fasce de Paesle, sans indiquer la couleur de cette fasce. C’est la preuve certaine que le Paillé devait être regardé comme un émail, ainsi que nous l’avons tout de suite dit en commençant. Cependant les traités héraldiques ont omis de le mentionner et de le classer comme tel. Mais, par ce qui précède, on a déjà deviné que cet émail ne pouvait être qu’une panne. On va en acquérir immédiatement la certitude.

L’exemple ci-dessus de Paillé, venu de Palla et non de palea qui fait naturellement songer aux paillettes[8] d’or, montre combien il est indispensable, pour arriver à découvrir l’origine des choses, de rechercher avant tout les étymologies et de suivre l’historique des mots qui les désignent. À cette fin, le Dictionnaire de basse latinité de du Cange est toujours bon à consulter pour ce qui concerne l’époque du moyen-âge. Voici quelques-unes de ses définitions :

Diasprus, Panni pretiosoris species.

Pallea, Aulæum, vel potius pannus sericus.

Palliatus, Pallio seu aulæo, vel potius panno serico indutus, coopertus.

Pannus Diaspretus, Panni pretiosioris species, Diaspré.

Déjà plus de doute, le Diaspre ou Diapré et le Paillé étaient des pannes de soie fort précieuses.

Par conséquent, au lieu de dire qu’il y a en Blason deux pannes ou fourrures qui sont l’Hermine et le Vair, les grammaires héraldiques eussent fait tout aussi bien d’enseigner qu’il y avait une panne ou très riche étoffe de soie : le Paillé, et deux fourrures ou doublures : l’Hermine et le Vair.

Ou encore, trois pannes : le Paillé, étoffe de soie de grande valeur ; l’Hermine et le Vair, fourrures ou étoffes velues.

Car nous n’ignorons pas que les fourrures se sont réellement appelées pannes ; mais nous préférons de beaucoup à la seconde règle la première qui établit nettement une distinction nécessaire, le Paillé étant sans égal, et parce que panne vient du mot latin pannus qui signifie simplement étoffe[9]. Ce n’est que dans la basse latinité que l’on trouve pannus et panna avec la signification de peau et de fourrure.

Du reste, tous les émaux du Blason ont été forcément des pannes (étoffes ou peaux) sur les cottes d’armes. Les métaux étaient des draps d’or ou d’argent ; les couleurs, des peaux ou des tissus teints. Mais, les fourrures sont aussi devenues des émaux, des émaux mixtes en quelque sorte, c’est-à-dire des combinaisons de métaux et de couleurs : l’Hermine, argent et sable ; le Vair, argent et azur. Le Paillé, en tant qu’émail, a cela de commun avec les fourrures qu’il est également mixte : couleur et métal, sinople et or généralement.

Comme l’hermine a été transformée en argent, chargé ou semé de mouchetures de sable, pareillement le Paillé s’est vu métamorphosé en couleur diaprée de figures quelconques. Mais, tandis que l’hermine n’en a pas moins conservé sa qualité primitive de panne, il n’en fut point de même du Paillé, de sorte qu’on arriva bientôt à ne plus savoir au juste ce que c’était.

Certains héraldistes disent que le Diapré doit être d’un seul émail. Est-ce le résultat d’une vague réminiscence que le Paillé était un émail ? On verra à la fin, dans l’article de Rietstap, de quel singulier diapré il s’agit en réalité ; il n’a rien de commun avec le Paillé du moyen-âge.

Pour éviter toute confusion entre l’ancien et le moderne, il serait donc bon de faire une distinction entre le Paillé et le Diapré. Le Paillé s’entendrait de la panne de soie et le Diapré continuerait à avoir sa signification actuelle.

Nous avons vu un dessin de cette espèce d’étoffe de soie très précieuse dans une Revue frivole et nullement héraldique sur laquelle un heureux hasard nous fit jeter les yeux, car nous fûmes tout de suite frappé de la ressemblance de ce dessin avec celui du Paillé des barons de la Roche-Tesson dont nous possédons un spécimen certain. Dès lors, encore moins de doute possible.

Cette Revue féminine, c’est Le Moniteur de la Mode, qui a donné, en 1893, à la page 400, le croquis d’un tissu du treizième siècle, trouvé dans le tombeau de Raoul de Beaumont à Angers. On y remarque des annelets, reliés entre eux par des fleurons et renfermant l’un un léopard, l’autre une aiglette. L’espace entre quatre grands annelets est rempli par une fleur de lis.

Et on lit dans le texte (article intitulé Le Home par R. Delafontaine) :

« C’est vers les tapisseries et les tissus que se porte le luxe de l’époque. Ces produits, d’origine musulmane, que l’on désignait alors sous le nom d’ouvrages sarrasinois, nous sont envoyés d’Orient par l’intermédiaire des ports de l’Adriatique et de la Méditerranée. On les emploie à décorer les murs des hautes salles seigneuriales ; et pendant les solennités publiques, on les suspend aux façades ou dans l’intérieur des églises. »

« Les tissus de soie brodée d’or et d’argent servent aux bannières, aux caparaçons et aux vêtements. »

D’après la manière dont ce fragment de tissu a été gravé, il paraît être de cinq ou six couleurs ou nuances différentes :

Fond de l’étoffe Traits parallèles espacés. Nuance claire
Dedans des annelets ou médaillon ondés un peu plus foncée
Annelets ou cercles à bâtons rompus plus foncée
Fleurs de lis parallèles serrés foncée
Aiglettes et Léopards croisés très foncée

Nous négligeons les petits détails.

Ces différences de teintes, bien accentuées, ne donnent point précisément tort à la définition du Diapré par le Père Menestrier dans sa Nouvelle méthode raisonnée du Blason : « Le Diapré se dit des fasces, paux et autres pièces bigarrées de diverses couleurs. »

Les peaux d’hermines s’apportaient aussi des pays appartenant aux Sarrasins, comme on le voit dans la chronique manuscrite de Bertrand du Guesclin :

Vestus moult noblement de sendaure et d’orfrois,
Et de beaus dras ouvers d’Hermins Sarazinois.

Du reste, le nom d’Hermines vient de celui des Arméniens ou Hermins, habitants de l’Hermenie ou Arménie, en Asie-Mineure.

En parcourant attentivement l’album du Nobiliaire de Normandie, fait et dressé sur les recherches de MM. les Intendants depuis l’année 1666, par Jacques-Louis Chevillard, fils, généalogiste, album qui renferme plus de 2.600 écussons gravés vers 1720, nous n’avons pu en trouver que quatre avec des pièces honorables de Diapré olim Paillé.

Ils appartiennent aux familles Brisard, Houdetot, Masquerel et Tesson.

Voici comment ils sont blasonnés dans le Nobiliaire de Magny, d’après Chevillard. On remarquera qu’il n’est plus question du Paillé. Ce mot tout court est sans doute devenu insuffisant puisque les traités de Blason n’ont point rangé le Paillé au nombre des émaux. — Là est la cause de tout le mal ; c‘est ce qui fait que l’on a oublié, puis dénaturé cette figure. — Dès lors, il faut blasonner en détail la pièce de Paillé, sans tenir compte de son titre spécial, et, comme une pièce quelconque, chargée et surchargée. Le mot de Diapré n’est plus employé dans son sens héraldique ; il l’est avec la signification d’orné, décoré :

Brisard. — Fascé d’azur et d‘argent ; les fasces d’azur chargées chacune de trois médaillons avec leur chaîne d’argent, et les fasces d’argent de trois mouchetures de sable.

Il y a des lacunes dans ce blason. La gravure de l’album de Chevillard le représente : Fascé d’azur et d’argent ; les fasces d’azur chargées chacune de trois annelets reliés par des chaînons et renfermant, celui du milieu une aiglette, et les deux autres un lionceau, le tout du second émail ; les fasces d’argent chargées chacune de trois mouchetures de sable. — Ce sont, à peu de choses près, les mêmes armes que celles des Tesson.

Houdetot. — D’argent à la bande d’azur, bordée d’or et chargée d’une chaîne de trois médaillons du même, celui du milieu chargé d’un lion, et les deux autres d’une aiglette.

Dans La Noblesse de France aux Croisades par Roger, on trouve :

1re Croisade (1096-1145)
Jean d’Houdetot Normandie { Musée de Versailles.
Colard d’Houdetot

Le nom de Houdetot figure bien dans les salles du Palais du Grand Roi avec l’écu d’argent à six porcelets de sable, porté alors. Si, par la suite, les descendants de ces Croisés remplacèrent les porcelets par une bande de Paillé, c’est qu’apparemment cette panne, dans l’esprit de tous, rappelait d’une façon toute particulière le glorieux souvenir de la Croisade.

Masquerel. — D’argent, à la fasce d’azur, diaprée de trois médaillons d’or, celui du milieu chargé d’une aiglette éployée, les deux autres de deux lionceaux, celui à dextre contourné, et accompagnée de trois roses de gueules.

Tesson. — Fascé d’azur et d’argent ; la fasces d’azur diaprées chacune de trois médaillons d’or, celui du milieu chargé d’un lionceau, les deux autres d’une aiglette éployée ; les fasces d’argent chargées de douze mouchetures de sable, 5, 4 et 3.

Pour ce dernier blason, attribué par Chevillard aux Tesson modernes, nous avons en notre possession un modèle authentique du Paillé des richissimes et puissants Barons féodaux de ce nom. Cette pièce est un carreau de brique armorié, trouvé dans les mines du château de la Roche-Tesson[10], situé à une lieue au nord de Villedieu et démoli, en 1427, par le duc de Glocester, comme vieux et insoutenable.

Il avait été confisqué, en 1344, par Philippe de Valois sur Jean Tesson, décapité à Paris pour crime de lèse-majesté, ayant été accusé d’avoir favorisé messire Geffroy de Harcourt. Outre la confiscation de ses biens, il s’ensuivait encore la perte de la noblesse pour sa postérité. Mais son fils, Jean Tesson, se trouva plus tard réhabilité.

En 1361 ou 1362, Bertrand du Guesclin s’empara de cette forteresse sur les Anglais qui y avaient mis 400 hommes de garnison. Le Roi pour le récompenser lui en fit don, et il prit même, à un moment donné, le titre de sire de la Roche-Tesson.

Cette baronnie passa par la suite aux Gouyon de Matignon qui la conservèrent jusqu’à la Révolution.

Un hameau presque contigu au château fut autrefois, dit-on, le premier établissement des ouvriers en airain, qui, dans la suite, passèrent à Villedieu. On y a souvent trouvé des instruments de leur métier, et plus souvent encore des fragments de poterie qui pourraient remonter à une plus haute antiquité.

Sur ce carreau de brique, les armes des Tesson de la Roche-Tesson sont fascées de six pièces de Paillé et d’hermine. Chaque fasce de paillé se compose de trois annelets, renfermant alternativement des aiglettes et des lionceaux ; ces annelets sont reliés entr’eux et aux flancs par deux traits parallèles, reliés eux-mêmes, entre chaque annelet, par deux petits traits perpendiculaires aux premiers. Chaque fasce d’hermine est chargée de six mouchetures de sable. Tous les animaux sont contournés, peut-être pour faire face à l’Orient, dans la position qu’ils occupaient à La Roche.

Les quatre lionceaux forment avec l’aiglette centrale une croix grecque, et les cinq aiglettes une croix de Saint-André. Cette disposition, qui nous a frappé, n’est peut-être pas l’effet du hasard ; elle a pu être voulue pour rappeler doublement et même triplement avec le Paillé le souvenir des Croisades.

Le Paillé des grands Barons féodaux du nom de Tesson devait être de sinople et non d’azur. On est fondé à le croire, d’abord parce que la tradition s’est maintenue et que les Tesson modernes portent encore des fasces de sinople chargées de chaînes simples, formées d’anneaux ordinaires, au lieu de chaînes d’annelets entourant des aiglettes et des lionceaux. Ensuite, parce que M. de Gerville dit avoir retrouvé, parmi les plus anciens titres de l’abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte, les armes des Tesson, barons de ce lieu, figurées en couleur. Elles étaient selon lui : d’argent, à deux fasces de sinople, à huit hermines, 4 — 3 — 1. On dirait même que la couleur de sinople était l’important, puisqu’on s’est dispensé de peindre sa diaprure. Dans La Science héroïque (1644), Marc de Vulson, sieur de la Colombière, blasonne la première fois leurs armes, page 55 : « Fascé d’hermine et de synople diapré d’or, que quelques-uns nomment paillé d’or. »

Avant ce livre important, Vulson avait fait paraître, en 1639, un simple Recueil de plusieurs pièces et figures d’armoiries omises par les autheurs qui ont écrit iusques ici de cette science. Il mourut en 1658. Ses œuvres furent rééditées, le Traité en 1669, et le petit album en 1699.

Les armes des Tesson ont été représentées sur les planches de ces deux ouvrages. Dans le Recueil, chaque fasce de paillé se compose de huit demi-cercles et quatre quarts de cercle (ceux-ci placés aux angles), également répartis sur les deux lignes horizontales de la fasce avec lesquelles se confondent leurs diamètres. Chaque paire de demi-annelets ou de quarts d’annelet correspondants, se trouve réunie par une tige en pal. L’espace entre deux de ces couples (non héraldiques) est occupé uniformément par une macle allongée. Tout cela a bien l’air d’une tapisserie des plus ordinaires et fort peu héraldique. — Dans La Science héroïque, chaque fasce de paillé est remplie par une chaîne de cinq hexagones soudés par leurs côtés verticaux et renfermant tous un losange. C’est en quelque sorte la fasce précédente dont les demi-cercles se rejoindraient par les bouts après avoir été désarrondis.

Ces armes ont été blasonnées par Vulson :

1o Fascé d’hermines et d’azur paillé d’or (Recueil, pl. 19) ;

2o Fascé d’hermines et d’azur, l’azur paillé ou brodé d’or (La Science héroïque, page 122).

Mais le Paillé de fantaisie de ces écussons ne ressemble rien à la réalité. Nous venons de voir le véritable sur un carreau de brique de la Roche-Tesson. Le vrai n’a pas d’ailleurs été immuable ; il s’est forcément modifié, un peu, suivant les époques et les personnages, comme la disposition des mouchetures de sable sur les fasces d’hermine. Voici un autre exemple : Sur le sceau, de 1205, de Raoul Tesson, Sénéchal de Normandie, dont le comte Gérard de Contades donne le fac-simile dans sa Notice sur la commune de Lonlay-le-Tesson[11], p. 84, le Paillé se compose d’une chaîne ou série continue d’annelets sans nombre, renfermant tous une aiglette.

Sur ces deux pièces authentiques et sur les quatre petits scels des sires de La Roche-Tesson, de 1317, 1321, 1331 et 1334, que nous avons trouvés dans le chartrier de la Mancellière, le Paillé est toujours en chef. Quand cela indiquerait sa supériorité réelle sur l’Hermine même, nous n’en serions nullement surpris.

Ce Raoul Tesson fonda le prieuré de La Colombe en 1188 : il venait de prendre la croix avec Henri II et Philippe-Auguste (3e croisade) ; mais, suivant M. Léopold Delisle, ou ne saurait dire s’il accomplit son vœu.

Le héraut Navarre, ayant blasonné par le seul mot de Paillé, les fasces des de Clerc et Maguerel, comme celles des Tesson, il est bien permis de supposer que le Paillé de ces deux autres familles était aussi de sinople diapré. Au début, la couleur du fond de cette panne de soie devait être invariable comme celle de l’Hermine et du Vair, et, c’est pour cela qu’elle n’avait pas besoin d’être indiquée.

Le Sinople était, du reste, la couleur qui rappelait le mieux l’Orient conquis, puisqu’on s’accorde généralement à faire dériver ce terme de Blason du nom de la ville de Sinope en Asie-Mineure.

Littré donne pour étymologie au verbe diaprer l’ancien français Diaspre, sorte de drap à fleurs, venu de l’italien Diaspro, jaspe. Or, celui qu’on prise le plus est le jaspe vert chargé de petites taches rouges.

Nous avons encore remarqué dans le glossaire de du Cange, au mot Diapreius, cette phrase extraite du testament de l’évêque de Marseille en 1344 : Lego duos pannos quasi virides Diapretos pro ornando altare.

Quand on eut oublié la noble origine du Diapré, on préféra peut-être au sinople, l’azur, qui était la couleur du champ des armes de nos Rois.

Tout ce qui précède, résultat de nos recherches personnelles, se trouve d’accord avec les deux notes suivantes qui nous ont été fournies à ce sujet par notre aimable et savant confrère du Conseil Héraldique, M. Paul de Farcy, archéologue distingué, dont l’opinion en pareille matière doit faire autorité :

« Le paillé ou diapré est la reproduction d’une bande d’étoffe arabe dite sarrazinoise et est une pièce rapportée des croisades. Cette étoffe tissée d’or était ordinairement fond vert ou sinople (quand elle est d’autre couleur il faut l’indiquer). Ainsi donc il est bien convenu que le diapré doit s’entendre d’une pièce de couleur verte et or. Maintenant de quoi était-elle ornée ? De ce que représentaient les étoffes de ce temps et comme elles ont varié, cela explique la variété ou licence de cette pièce de blason. Elles portaient des ronds juxtaposés, soit simples, soit doubles et reliés par une sorte de grecque. Au centre des animaux seuls, lions, panthères, aigles, etc., soit affrontés. Beaucoup de familles Normandes qui furent à la 1re croisade en rapportèrent ou y adoptèrent des armoiries fascées de six pièces. »

« Ce n’est point dans un auteur sur le blason que j’ai trouvé la définition du paillé ou diapré. La tradition s’est perdue peu à peu et l’on en est arrivé à ne pas savoir ce que c’était, l’usage en étant très peu fréquent, mais les inventaires des trésors au XIVe et au XVe siècle mentionnent ces étoffes sarrazinoises qui étaient dites de paillé comme dans l’armorial de 1396. L’ornement était variable, essentiellement variable, comme le tissu de l’étoile variant avec la mode. Il est certain que le paillé du XIIe siècle ne ressemble pas au paillé du XIVe. Ce sont des étoffes ornées de rinceaux, losanges, ronds, remplis à l’intérieur d’animaux ou d’oiseaux souvent alternés. »

Il reste à voir ce qui a été dit du Diapré et du Paillé par les héraldistes. Un seul, à notre connaissance, ayant eu aussi l’idée de consulter du Cange, a, au siècle dernier, entrevu, en faible partie, l’origine du Diapré. C’est cependant le plus modeste, car il n’a donné que les initiales de son nom. Après l’avoir cité, nous nous contenterons donc de reproduire les définitions et les explications des deux principaux traités modernes de Blason, résumés des anciens, et celles de l’Armorial Général. Nous y ajouterons nos propres observations, qui achèveront, nous l’espérons du moins, d’élucider la question.
Carreau de brique armorié

du château de la Roche-Tesson

confisqué sur les seigneurs de ce nom en 1344




DICTIONNAIRE HÉRALDIQUE

Par M. G. d. L. T., écuyer

(M. Denys-François Gastelier de La Tour)

À Paris chez M. Lacombe, 1774

« Diapré se dit de diverses broderies figurées sur le champ de l’écu, sur une pièce honorable ou sur les partitions. »

« Selon du Cange, ce mot vient de latin diasprum, mot de la basse latinité, qui a signifié anciennement une étoffe précieuse et de broderie, dont le nom s’est étendu ensuite dans l’art du Blason, aux dessins brodés à fantaisie. »

Paillé manque.




LE BLASON

Dictionnaire et remarques par le Comte Amédée de Foras — (Grenoble 1883 — Vol. in-4o de XX — 500 pages).

« Diapré. — Est une espèce de damasquinure ou de broderie sans dessin fixe, qui se met sur le champ ou une pièce du blason.

Il se fait d’un seul émail en Angleterre et en Allemagne, où il est assez répandu. Varnier : porte d’or diapré de gueules à la bande d’azur chargée de trois taus de sables. »

« 1re Remarque. — Rien n’empêche que l’on diapre un écu de fleurs en arabesques ; c’est une broderie. Mais il est difficile d’admettre comme diapré l’écu du chevalier de la Table-Ronde qui, au dire de Palliot, portait d’or diapré d’aiglettes et de lyons (sic) de gueules, membrés et armés (sic) de sable. Or chacun de ces animaux est entouré d’un annelet et dans l’interstice, entre quatre grands annelets, se loge un petit annelet. Comment cela a-t-il pu jamais constituer un diapré ? Qui pourrait deviner cette forme de diapré (A) Ce n’est pas la seule méprise de Palliot. Ayant remarqué dans les écus du Nord de l’Europe un trait que les dessinateurs mettent en orle, comme simple ornement (on ne le blasonne pas) pour le prétendu diapré (ils en recouvrent souvent un champ plein), il a encadré ses diaprés d’un trait, ce qui suivant la figure, dénature les blasons (B). »

« 2e Remarque. — Mais il y a de plus graves reproches à lui faire ; je ne conteste pas que depuis que les hérauts d’armes ont mis à la mode le mot diapré, quelques nouveaux anoblis n’aient reçu un diapré, tels que l’entendaient ces hérauts d’armes. Mais ceux-ci l’ont pris en Allemagne et ils n’ont pas remarqué que c’est un simple ornement qu’ils (les Allemands, évidemment) ne blasonnent pas. »

Suivent six exemples de blasons diaprés[12] donnés par Palliot et pour lesquels les Wappenbücher, dans aucun cas, ne font mention de diapré.

« L’exemple ci-dessus (Varnier) pourrait être un vrai diapré, tel que l’ont créé — sans s’en douter peut-être — des hérauts d’armes mal avisés. Cet exemple est pris sur des patentes de confirmation de noblesse du XVe siècle. (C).

« Un archéologue très distingué me demandait, il y a peu de temps, comment dans quelques sceaux antiques on voyait des figures couvertes de traits diversement combinés, bien antérieurement à l’époque admise pour l’introduction des hachures. C’est l’origine du diapré, c’est-à-dire un simple ornement n’impliquant aucune idée de couleur correspondante (D). »

« Où ai-je donc lu que l’on peut ajouter le diapré parmi les couleurs du blason ? (E) »

« N’approfondissons pas. » (F).


« Paillé. — Voir Diapré. »


(A). — On ne voit pas pourquoi il ne serait pas loisible de damasquiner sur du métal ou de broder sur une étoffe aussi bien des animaux que des fleurs. On n’a jamais songé, que nous sachions, à établir des catégories de figures pouvant ou ne pouvant pas entrer dans la composition des broderies.

Dans la préface de son livre, M. de Foras dit que pendant plus de trente ans il a fait du Blason en théorie et en pratique, par la plume et par le pinceau, qu’il a lu et analysé tous les ouvrages spéciaux qu’il a pu se procurer pour arriver à condenser ses observations en un seul, volumineux et d’un grand luxe. Il a surtout compilé les anciens traités de Vulson, de Palliot et de Menestrier qui résument tous leurs devanciers.

En première ligne, il met Palliot (1608-1698), et en seconde ligne, le Père Menestrier (1631-1705), savant jésuite, qui a écrit plusieurs ouvrages sur le Blason.

Mais il faut rendre à chacun ce qui lui est dû. L’inspirateur de Palliot fut son parent et ami, Louvan Gelliot, avocat au Parlement de Dijon, qui, en 1635, publia l’Indice armorial ou sommaire explication des mots usitez au blason des armoiries. Palliot donna, en 1661, une seconde édition de ce livre augmentée de texte et enrichie de plus de 6.000 écussons.

Or, voici ce que dit Gelliot : « Diapré, figuré et tracé à fantaisie d’un compartiment de fleurs qui ne soit que d’un émail. D’autres en lieu de fleurs y mettent des animaux. »

« Yvain le Avoustre, Chevalier de la Table Ronde, portoit : d’or diapré d’aiglettes et lyons de gueules membrez et armez de sable. »

Ces animaux, au nombre de neuf, sont entourés d’annelets qui se touchent et remplissent complètement l’écu. Celui-ci, tel qu’il est représenté, sans hachures[13], indiquant les couleurs des émaux, doit se blasonner simplement : De Paillé ou De Diapré plain.

Le poète anglo-normand Wace, inventeur de la fable des Chevaliers de la Table Ronde, vivait à l’époque de la première et de la seconde croisade.

La définition de Palliot est : « Diapré, figuré et tracé à fantaisie d’un compartiment de fleurs ou autres broderies qui ne sont que d’un émail, ainsi que l’on voit en beaucoup d’escus allemans et autres nations septentrionales, soit sur le champ, soit sur les pièces. »

(B). — C’est évident, mais Rietstap nous fera bien mieux connaître le prétendu Diapré étranger.

(C). — Après avoir méconnu le vrai et beau Diapré qui couvre entièrement l’écu d’un chevalier, comme l’Hermine celui de Bretagne, l’auteur a parfaitement conscience, cependant, qu’il nous présente un piètre diapré, semblable à un parasite, rouget et maigrelet, déparant ce qui doit briller du plus pur et du plus vif éclat.

(D). — Le Diapré peut revendiquer une plus noble origine qu’un simple guillochis, puisqu’il vient des Croisades. Mais, il n’est pas question de celui-là, laissé complètement de côté par l’auteur, et remplacé par un autre, que Rietstap nous expliquera parfaitement.

Ce fut seulement vers la fin du XVIe siècle que l’on eut recours aux hachures (traits ou points, suivant des directions et des combinaisons conventionnelles) pour indiquer la couleur des émaux dans la gravure des blasons. L’usage n’en devint général, certain et fixe, que dans la première moitié du XVIIe, on peut même dire, que sous le règne de Louis XIV. Les hachures, que l’on trouve sur les sceaux avant cette époque, n’indiquent donc rien sous ce rapport, ayant été mises simplement comme ornement ou pour faire ressortir les pièces sur le fond.

Dans le chartrier de la Mancellière, nous avons trouvé des parchemins de 1321 et de 1334, portant de petits scels des barons de la Roche-Tesson sur lesquels les fasces de Paillé sont striées diagonalement, de gauche à droite et de droite à gauche, comme si, de nos jours, on s’avisait de vouloir représenter à la fois le pourpre et le sinople, ce qui ferait une bigarrure de couleurs, répondant bien à la définition du Diapré par le Père Menestrier. C’est un ornement beaucoup moins compliqué que les chaînes de médaillons, ornés d’animaux, qu’il était impossible de reproduire convenablement sur d’aussi petits sceaux. Les traits sont donc ici la conséquence et non l’origine du vrai Diapré.

(E). — Aux cinq couleurs primordiales du Blason : gueules, azur, sinople, sable et pourpre, Bachelin-Deflorenne, dans La Science des Armoiries (1880), ajoute cinq couleurs secondaires : Le tanné, l’orangé, le diapré, la sanguine et la carnation, comme ayant été en usage en divers pays d’Europe.

Nous voilà loin, assurément, de la règle versifiée :

Le Blason, composé de différents émaux,
N’a que quatre couleurs, deux pannes, deux métaux.

Mais, en sus de ces quatre couleurs fondamentales, seules vraiment héraldiques : le gueules, l’azur, le sinople et le sable, M. de Foras mentionne encore davantage de couleurs accessoires, plus ou moins techniques : le pourpre, la carnation, la couleur au naturel, la couleur de plaisance, l’orange, le tanné, le gris (ces trois du Blason anglais), et la sanguine. Seul le Diapré se trouve éliminé.

Nous avons vu que le Diapré était bien un émail, mais une panne dont les blasonneurs ont fait une couleur diaprée.

(F). — Il fallait approfondir au contraire, la chose en valait la peine ; la réflexion eût conduit sur le chemin de la vérité.




LE BLASON HÉRALDIQUE

Manuel nouveau de l’art héraldique, de la science du blason et de la polychromie féodale d’après les règles du moyen-âge, par P. B. GHEUSI (Norbert Lorédan). — Paris — 1892 — Vol. grand in-8o de XXVIII — 376 pages.

« Diapré. — S’applique à des figures chargées d’arabesques fantaisistes dont l’Art Héraldique pur se désintéresse absolument.

« On trouve aussi paillé, dans la même acception ; mais ce sont autant d’ornements arbitraires que le Blason ne saurait avoir la prétention de fixer.

« Les exemples que nous en donnons sont des sacrifices à la curiosité ou des concessions indulgentes aux blasonneurs de la décadence.

« Clere : D’argent, à la fasce d’azur, diaprée d’or.

« Houdetot : D’argent, à la bande d’azur, resarcelée et diaprée d’or de trois médaillons circulaires, celui du milieu chargé d’un lion et les autres d’une aigle du même.

« Houdetot (ancien) : D’argent, à une bande d’azur, diaprée d’or. »

C’est là une véritable diffamation héraldique facile, du reste, à réfuter par un raisonnement ad hominem.

P. B. Gheusi dit lui-même excellemment à la page 10 de son livre que : « Le Blason ne devait naître, vivre et mourir qu’avec le moyen-âge, et plus spécialement avec les Croisades. » Il ne saurait donc être question de sa décadence à cette époque.

Or les trois seuls exemples de Diapré que cet héraldiste donne par indulgence sont les écussons, — blasonnés d’une façon toute moderne, il est vrai, mais à qui la faute ? — de deux familles féodales dont l’une, sans parler de l’autre, a été sûrement représentée à la première croisade par deux de ses membres. L’authenticité de l’écu de Clere, gravé dans le texte, n’est pas d’ailleurs établie. Celui de Houdetot (ancien) est certainement apocryphe puisque son blason primitif était comme nous l’avons vu : d’argent à six porcelets de sable. Les diaprés, en forme d’arabesques, de la fasce et de la bande de ces deux écus, semblent donc bien avoir été dessinés de fantaisie pour répondre à la définition indiquée et sans que l’on se soit donné la peine de remonter aux sources.

Seul, l’écusson nouveau, relativement, de Houdetot, est bien figuré, parce qu’on en a rencontré le blason détaillé. Mais, qu’y trouver à critiquer ? il est irréprochable. L’auteur ne dit-il pas dans son traité que le Lion est le quadrupède héraldique par excellence ; que l’Aigle est le plus héraldique de tous les oiseaux, comme le Lion parmi les mammifères ? Nous ajouterons que le Lion est l’emblème de la force et du courage indomptable, et l’Aigle, le symbole de la victoire.

On s’imagine donc difficilement, en dehors des blasons du même genre, des armes plus nobles et plus héraldiques que celles de la famille de Houdetot.




ARMORIAL GÉNÉRAL

Précédé d’un Dictionnaire des Termes du Blason, par J. B. Rietstap [Gouda (Hollande). — G. B. Van Goor Zonen — 2e édition — 2 Vol. in-8o de XLII — 1152 et VIII — 1316 pages].


« Diapré. — Arabesques ou lignes diversifiées dont on avait coutume autrefois de charger les grandes surfaces unies dans les armoiries, surtout le champ, mais également les pièces héraldiques. Ces ornements sont arbitraires et ne forment pas une partie intégrante des armoiries, bien que dans plusieurs cas l’ignorance des dessinateurs les ait fait prendre pour tels. C’était surtout dans les sceaux et les vitraux qu’on introduisit le diapré en forme de rosettes, de treillis, d’animaux, de feuillages, etc., afin de varier la monotonie ses grandes pièces héraldiques ou de l’espace du sceau autour de l’écusson. Le moyen-âge nous en a légué les exemples les plus brillants. En appliquant cette ornementation, il faut prendre garde soigneusement que le diapré, soit par la faiblesse de sa couleur, soit par le délié de ses contours, occupe toujours une place subordonnée par rapport aux meubles véritables de l’écu. »

Paillé manque.

Et à la planche VII, on trouve huit exemples de soi-disant beaux diaprés anciens avec cette explication :

« Les figures I-8 donnent quelques beaux spécimens du diapré, que l’on rencontre surtout dans les sceaux. Les anciens artistes ne souffraient pas les espaces vides, ni dans l’écu, ni au-dehors, et s’efforçaient à les diversifier par des feuillages, des rosettes, des lignes en sens divers, dont le choix était arbitraire et dépendait du goût. Cette ornementation n’ayant aucune valeur réelle, pouvait être changée d’un moment à l’autre, et comme elle ne formait pas une partie intégrante des armes, elle pouvait être négligée tout à fait. Dans les représentations coloriées, ce diapré était exécuté dans la même couleur que le fond sur lequel il était appliqué, mais, afin de le faire ressortir, les nuances différaient ; le diapré était d’une teinte plus claire sur un fond plus foncé, ou plus foncée sur un fond plus clair. »

Six des écus représentés ont le champ diapré. Pour cinq d’entre eux, on dirait un carrelage[14] en miniature plus ou moins compliqué. Le sixième diapré est formé de branchages. Le contour de ce dernier écusson accuse le temps de la Renaissance. Les dessins et les carreaux du diapré des familles anglaises de Vere et de Warren sont de petits chefs-d’œuvre de patience de la part des artistes qui les ont exécutés ; nous nous garderons bien de dire de bon goût au point de vue de l’art héraldique.

Les deux autres écus ont, au contraire, le champ plain, et, ce sont les pièces honorables, une bande et deux fasces, qui sont diaprées sobrement d’arabesques ou de rinceaux formés de feuillages ou de tiges fleuries. Cette circonstance, d’après l’auteur (diapré des figures au lieu du diapré du champ), donne la preuve que ces écus datent d’un temps relativement moderne !

L’article et les dessins de Rietstap sont d’une grande clarté. Ils font connaître au mieux ce diapré étranger qui n’a rien d’héraldique puisqu’il ne doit pas être blasonné. Ce n’est que du remplissage. On conçoit ce diapré sur les anciens vitraux qui avaient beaucoup de plombs et où une grande surface unie aurait pu jurer avec le reste. On le comprend aussi sur les sceaux autour de l’écusson ; mais, sur le champ de l’écu ou sur des pièces honorables, c’est tout différent : Quel embrouillamini, malgré les précautions observées !

La première loi héraldique étant qu’on ne peut mettre couleur sur couleur ni métal sur métal, que penser de ce peinturlurage tudesque et britannique qui consiste à appliquer une couleur sur la même couleur de nuance différente !


CONCLUSION


Il ne faut pas confondre le Paillé du moyen-âge avec le Diapré moderne et encore moins avec le Diapré anglais et allemand qui n’a rien d’héraldique.

Le Paillé était une panne ou étoffe de soie très précieuse, dite sarrasinoise, et rapportée des Croisades.

On peut citer comme modèle de Paillé, celui des plus riches et des plus puissants barons féodaux Normands[15]. Il était de sinople diapré de lionceaux et d’aiglettes, emblèmes du courage, de la force et de la victoire, entourés de cercles d’or, reliés entr’eux et aux flancs de l’écu, de façon à former comme une chaîne de médaillons ou plutôt un collier, qui rappelle le Torque, signe antique de l’autorité, d’une haute dignité, et, plus tard, d’une action d’éclat.

Ces armes magnifiques, complétées par l’Hermine[16], révèlent, à première vue, la valeur et la splendeur des hauts seigneurs qui les portaient. Aussi, très choqué de voir le Paillé rabaissé par l’ignorance absolue des héraldistes à son sujet, sommes-nous heureux d’avoir pu découvrir sa glorieuse origine.



  1. La Roche-Tesson en La Colombe, canton de Percy, arrondissement de Saint-Lo (Manche).
  2. Il y a erreur de blason. Pour qu’un écu soit fascé, il faut un nombre pair de fasces. Si, alors, il y en avait réellement sept, il aurait fallu dire : d’hermine à trois fasces de paillé.
  3. Henneville, canton d’Octeville, arrondissement de Cherbourg (Manche).
  4. Aussi, dans son Histoire du chateau et des sires de Saint-Sauveur-le-Vicomte (1867, p. 301), M. Léopold Delisle, Membre de l’Institut, observe très bien que « les armes des Tesson sont, suivant les anciens héraldistes, fascé d’hermines et de paille, ou, comme portent les armoriaux plus modernes, fascé de diapré et d’hermines. »
  5. L’Epinay-Tesson, canton d’Isigny, arrondissement de Bayeux (Calvados).
  6. Annuaire du Conseil Héraldique de France de 1893 — p. 215-216.
  7. Dans son Dictionnaire Héraldique publié en 1861, par l’abbé Migne, éditeur de la Bibliothèque universelle du clergé, Charles Grandmaison, archiviste paléographe, passe sous silence le Paillé et le Diapré et donne à tort au mot de Pal l’étymologie que nous attribuons justement à celui de Paillé.
  8. Littré pour l’étymologie n’a point fait de différence entre le paillé du Blason, qu’il ne pouvait connaître que bien imparfaitement puisque les héraldistes eux-mêmes le connaissaient si mal, et le participe passé du verbe pailler, dérivé de paille, palea.
  9. De nos jours, le mot de panne sert à désigner une sorte d’étoffe toute spéciale se rapprochant de la peluche, et, quand il n’est pas autrement qualifié, il s’entend toujours de la panne de soie.
  10. La baronnie de La Roche-Tesson en La Colombe remontait au duc Rollon et s’étendait aux paroisses de Montabot, Percy, Chevry, Lorbehaye, Maupertuis et Le Chefresne.
  11. Lonlay-le-Tesson, canton de la Ferté-Macé, arrondissement de Domfront (Orne).
  12. Sax, Grafeneck, Magdebourg, Mengershausen, Augsbourg, Prague.
  13. Gelliot n’a point fait usage des hachures dans ses exemples. Lorsqu’il s’en sert, tout à fait par exception, pour mieux faire comprendre ses figures, c’est au hasard et sans qu’elles se rapportent au blason des couleurs.

    On a attribué l’invention des hachures héraldiques au Père Sylvestre Petra Santa, jésuite, né à Rome, et mort en 1637. Mais le Père Menestrier dit que l’on en voit aussi la pratique en quelques endroits avant le père Petra Santa. Vulson, qui les a employées, en 1639 et 1644, a voulu se faire passer comme en étant l’inventeur.

  14. Diapré, bigarré, a-t-on dit. Or, l’une des étymologies du verbe bigarrer, celle de Diez, est bi-garrer pour bi-carrer, de carrer, disposer, arranger en forme de carrés, d’échiquier. C’est bien ce qui a été fait sur le champ des cinq écus en question.
    Mais celle de Ménage, pour laquelle penche Littré, est bis variare.
  15. À la bataille du Val-des-Dunes où il joua un rôle décisif (10 août 1047), Raoul Tesson était à la tête de cent quarante chevaliers, ses fidèles vavasseurs (Robert Wace, Le Roman de Rou).

    Qui sont ceux-ci, dit le roi de France au duc Guillaume, en les apercevant ? Moult sont tous de riche appareil, sagement et bien ils se contiennent. Une chose pense bien de voir, c’est que la force et la victoire seront à ceux qu’ils iront aider avec le tranchant de leur bonne épée. Je vois bien que ces gens-là ne seront pas des vaincus. — Sire, dit Guillaume, Raoul Tesson a nom le sire qui les commande ; il est moult prud’homme et nous sera d’un grand secours s’il nous aide. Plaise à Dieu qu’il le veuille !

    (C’est son neveu, Robert Tesson, qui fut tué à la bataille de Hastings (1066), en faisant des prodiges de valeur ; mais son fils, Raoul II, s’y distingua aussi beaucoup).

    Au milieu de son armée, le roi de France, Henri Ier, avait fait dresser son étendard sur lequel resplendissait l’aigle d’or (Là fu l’eigle qui resplent). C’était une réminiscence des aigles romaines. Les troupes de Guillaume-le-Bâtard étaient rangées sous l’étendard à lion d’or, portant la croix de Normandie.

    Dans les Étymologies difficiles, M. Édouard Le Héricher cite, à la page 147, le mot de tesson avec la signification de crâne et de tête, sens qui convient bien, on l’avouera, au surnom dudit Raoul Tesson I, fils de Raoul d’Anjou et d’Alpaïde. — Tesson pour teston, de testa, crâne, tête, dans Ausone (voir le Dictionnaire latin-français de Quicherat). — Cassiodore dit : « testam capitis », que M. Le Héricher traduit : le tesson de la tête.

    « La famille des Tesson est peut-être, après celle de nos Ducs, celle qui jouit de la plus haute importance dans nos contrées au moyen-âge. »

    (Recherches historiques sur l’ancien pays de Cinglais par Vaultier, Doyen de la Faculté des Lettres de l’Académie royale de Caen — 1836, page 78).

  16. Par allusion à sa blancheur, l’Hermine est le signe allégorique d’une vie sans tache. Dans les armoiries de Bretagne, l’Hermine est le corps des deux devises qui en sont l’âme : À ma vie et Potiùs mori quàm fœdari, celle-ci n’étant d’ailleurs que la paraphrase de la première.
    Alfred de TESSON,
    Capitaine de Frégate en retraite.