Louis-Michaud (p. 36-45).

iv

Mirastel et ses Habitants



Voici venue l’heure de peindre le site où M. Le Tellier, sa famille et son secrétaire venaient d’arriver ; l’heure aussi d’esquisser le portrait de ceux qu’il amenait avec lui et de ceux qu’il retrouvait ; l’heure enfin de révéler pourquoi Mirastel avait à recevoir ses hôtes annuels dans un temps si prématuré.

À qui l’observe du midi — par exemple au touriste naviguant sur le lac du Bourget — le Colombier semble un piton formidable, un kopje isolé. On le prendrait alors pour un frère géant de ces buttes qui parsèment la contrée de leurs brusques rotondités et que les autochtones appellent des mollards. C’est une illusion. Le Colombier n’a rien d’un piton, Ce que vous regardez comme tel, c’est la croupe d’une longue, longue chaîne où se termine le Jura. Le Colombier vient de très loin dans le nord, et il a soulevé son échine tortueuse pendant des lieues et des lieues avant de s’arrêter ici, dans un effondrement échelonné de mamelons et de ravines, — descente magnifique de forêts courtes et trapues, succession de gorges abruptes et de landes onduleuses, sorte d’abside à quelque surhumaine cathédrale, d’où rayonnent les contreforts de roc et de verdure comme des arcs-boutants qui seraient des montagnes.

Le versant oriental du Colombier meurt au niveau du Rhône qui, de ses méandres, en festonne le contour. Le versant de l’ouest ne plonge point si bas, et forme en s’étalant l’agréable plateau du Valromey. Quant à la croupe, elle borne un vaste marécage traversé par le Rhône.

Or, au pied de cette croupe, sur le chemin de grande communication qui épouse sa courbe, la contourne et va de Genève à Lyon en passant par les lieux hantés du Sarvant, — se rencontrent des villages et des châteaux alternés.

Les communes sont bâties au bord de la route et se nomment Culoz, Béon, Luvrieu, Talissieu, Ameyzieu et Artemare. Entre elles, mais plus haut, sur le flanc de la montagne, les manoirs se dressent dans leur beauté diverse et plus ou moins seigneuriale : Montverrand, féodal, — Luyrieu, un décombre, — Châteaufroid, néo-moyenâgeux, — Mirastel, Louis XIII, — et Machuraz, d’un quinzième renaissant mêlé d’une Renaissance ressuscitée.

De tous ces châteaux, Mirastel seul nous intéresse.

Il est facilement reconnaissable. Du chemin de fer, qui longe la route à quelque distance, on le voit se détacher sur le fond vert assombri de la montagne, entre Machuraz, qui a des murs blancs sous des tuiles rouges, et Châteaufroid, dont les deux tourelles portent gothiquement des cônes d’ardoises bleues. Il est en briques — des briques devenues roses, dont la chaude clarté l’ensoleille toujours — et flanqué de quatre tours d’angle. Trois sont encore coiffées de leurs vieux toits d’ardoises grises, en forme de ballons pointus comme des casques sarrasins ; mais la quatrième supporte une coupole d’observatoire. Le jardin de Mirastel, penché sur le dévers comme sur un pupitre, l’entoure d’un moutonnement de frondaisons. Sa terrasse, plantée d’arbres, lui fait de sa muraille un socle rocailleux. Il domine ses deux voisins, et lui-même est dominé par les hameaux montagnards d’Ouche et de Chavornay, qui, vers la gauche, se superposent derrière lui, jalonnant la voie pierreuse des sommets.

Deux chaussées carrossables montent en lacets au portail de Mirastel. L’une vient de Talissieu, l’autre d’Ameyzieu. Toutes deux viennent donc de la route. Mais, au milieu du vague triangle que dessine leur fourche, un sentier de chèvres escalade la rampe roide et vous mène directement de la route au seuil de l’enclos.

Comment ce castel, dans la fraîcheur de son âge, a-t-il échappé aussi totalement à la haine de Richelieu ? Pourquoi n’est-il pas, comme tant d’autres, une ruine qu’on prend de loin pour un rocher, parmi tous ces rochers que le soir assimile à des bastilles démantelées ? — La légende veut qu’alors il abritât non quelque hobereau batailleur, mais un doux gentilhomme inoffensif, sans doute affligé d’insomnie, et qui, passant ses journées à lire dans des livres et ses nuits à lire dans le ciel, aimait à recenser les constellations du haut d’une tour élevée.

De là serait venu le nom de Mirastel, qui veut dire Mire-étoiles ou Observateur-des-astres.

À la vérité, quand feu M. Arquedouve acheta cette résidence, la tour du nord-ouest n’avait jamais eu de couverture : elle s’achevait en plate-forme. Et l’on dénicha dans les combles — sous l’apparence d’un amas de cuivres découpés et gravés, embellis de figures allégoriques — force antiques machines d’astronomie, telles que sphères zodiacales et équinoxiales, horizons azimutaux, quadrants, sextants, globes célestes, astrolabes, gnomons et autres vieilleries renouvelées des Chaldéens, auxquelles il convient d’adjoindre un de ces interminables télescopes dont Képler améliorait l’agencement à l’époque où Mirastel était flambant neuf.

M. Arquedouve, riche industriel lyonnais, acquit le domaine en 1874, onze ans après son mariage et sur les instances de son épouse, qui raffolait du paysage et ne rêvait qu’astronomie. Cette femme supérieure, émule des Hypathie, des Mme Lepaute et des Mme du Châtelet, voulut aménager un observatoire sur la plate-forme de la tour ; — et les travaux étaient finis, lorsqu’un double malheur vint frapper Mme Arquedouve.

Une amaurose assez inexpliquée la priva pour toujours de la vue, et son mari décéda, laissant la pauvre aveugle avec deux filles, Augustine et Lucie, âgées de dix et de huit ans.

De ce jour, Mme Arquedouve ne quitta plus Mirastel. Malgré son infirmité, l’énergie et l’habitude firent d’elle une éducatrice remarquable et une maîtresse de maison accomplie. Elle vaquait chez elle aux besognes les plus différentes, avec une adresse incroyable. Mais, sortie de son parc, elle rentrait dans les ténèbres ; et c’était grand’pitié, par les belles nuits scintillantes, de la voir lever ses yeux trépassés vers la splendeur d’un ciel qu’ils ne pouvaient sonder, mais dont elle écoutait la silencieuse harmonie.

Son idéal était d’avoir un gendre qui fût astronome. Elle le réalisa. Quatre ans après le mariage de sa fille aînée avec le docteur Calixte Monbardeau, établi à Artemare, la cadette épousait Jean Le Tellier, alors attaché à l’Observatoire de Marseille.

Ce fut à M. Le Tellier que profita l’installation de la tour. Une bonne lunette équatoriale s’y trouvait qui lui permit de poursuivre à Mirastel, durant la chaude saison, quelques-uns de ses travaux.

Et maintenant M. Le Tellier était directeur de l’Observatoire de Paris. Et maintenant Mme Arquedouve était quatre fois grand’mère. — Mais, hélas ! une avanie déplorable l’avait encore accablée.

Suzanne Monbardeau, l’aînée de ses petits-enfants, s’était laissé séduire par un nommé Front, de Belley, — un don Juan rustaud, dépourvu de tout sentiment. Il l’avait enlevée ; et, M. Monbardeau ne voulant plus entendre parler de sa fille, la triste Suzanne vivait avec son amant, dans un modeste cottage à l’écart de la petite ville, et ne fréquentait plus, de toute sa famille, que son frère Henri. Encore devait-il, pour la rencontrer, se cacher à la fois de Front et de leurs parents. — Bien de la misère, comme on voit.

Suzanne, au mois d’avril 1912, avait trente ans, et son frère vingt-neuf. Sujet hors ligne, docteur et biologiste, attaché à l’Institut Pasteur, célèbre aujourd’hui par son admirable traitement de l’artério-sclérose, Henri Monbardeau venait d’épouser une charmante jeune fille du pays, Fabienne d’Arvière ; et le nouveau couple se reposait à Artemare d’un voyage de noces quelque peu fatigant, lorsque les Le Tellier reçurent l’hospitalité de Mme Arquedouve.

Leur cousin Maxime Le Tellier, lui, courait alors sur ses vingt-six ans. Reçu au Borda, aspirant, puis enseigne, il avait depuis peu quitté la marine de guerre pour s’occuper d’océanographie avec le Prince de Monaco. Averti que toute sa famille allait se réunir en Bugey, il avait fait coïncider avec cette assemblée le mois d’indépendance auquel il avait droit.

Et voici, dans la séduction de ses dix-huit ans et la grâce de sa beauté blonde, Marie-Thérèse Le Tellier, sa sœur, dont il faudrait décrire en vers de grand poète la chevelure d’or aux reflets d’argent, le teint de corolle fraîche, le regard mouillé, tel que Greuze l’aimait, la taille ronde, fine, souple… Et gentille ! Et bonne ! il faut savoir comme !… Enfin ! cette enfant, on ne pouvait l’entendre parler sans adorer sa pensée ; et pourtant, l’aspect de sa forme était si troublant, que les jeunes hommes ne l’écoutaient pas, et qu’en voyant ses lèvres merveilleuses, ils ne pensaient qu’aux baisers de plus tard et non aux paroles d’aujourd’hui.

Suzanne et Henri Monbardeau, Maxime et Marie-Thérèse Le Tellier avaient vécu le meilleur de leur enfance à Mirastel et à Artemare, en été. Là, Fabienne d’Arvière s’était mêlée à leurs jeux d’adolescents ; là aussi un pauvre petit orphelin, que M. Le Tellier faisait instruire, avait passé en leur compagnie beaucoup de belles vacances, avant de devenir le secrétaire fidèle de son protecteur.

Artemare et Mirastel ! Que de souvenirs ! Les jeunes Monbardeau idolâtraient la tante Le Tellier ; les petits Le Tellier ne juraient que par la tante Monbardeau ; et c’était, pendant la saison du soleil, un perpétuel va-et-vient entre le château de Mme Arquedouve et la villa du docteur. On vivait dans les deux. On déjeunait ici ou là. Souvent même on y couchait. On y prenait pension, quelquefois plusieurs jours de suite.

Mme Arquedouve présidait guillerettement aux réjouissances du château. Et elle était tant vivelette, cette menue damerette aux bandeaux lisses presque bleus, en sa robe d’alpaga noir d’une coupe monastique, avec une petite pèlerine, avec aussi un col et des manchettes de lingerie, — elle était, cette fluette damoisette, tellement alerte et remuante, qu’on oubliait qu’elle fût aveugle, et que sans doute elle l’oubliait aussi, par moments.

La faute de Suzanne, hélas ! avait jeté sur tout cela l’ombre pourpre de la honte… Mais, n’est-ce pas, on n’est pas tenu de rougir sans discontinuer parce qu’une fille de la maison est devenue la proie d’un suborneur…

Et ce fut au milieu d’une réunion assez joviale que M. Le Tellier fit son entrée à Mirastel, précédé de sa femme Lucie, de sa fille Marie-Thérèse, suivi de son fils Maxime et de son secrétaire M. Robert Collin.

Les Sarvants étaient alors dans toute leur gloire, et pendant le dîner la conversation ne roula que sur eux.

Dès la fin du repas, les quatre cousins s’échappèrent. Tous les ans, le même rite joyeux poussait les nouveaux arrivés à faire, au débotté, le tour de Mirastel.

On chercha, dans la nuit venue, la silhouette de l’antique demeure, avec ses girouettes de fer forgé pointant vers les étoiles ; on parcourut la ferme attenant au château, le parc incliné, la terrasse plantée de marronniers fleuris. Le ginkgo-biloba, l’arbre rarissime de qui les aïeux remontent au déluge, y fut salué comme un vieil oncle végétal. Puis le quatuor s’engagea sous la charmille centenaire qui mène au portail et dont le berceau ténébreux faisait parmi la nuit une nuit plus nocturne.

C’étaient quatre taches mouvantes, deux grandes, sombres, et deux petites, claires, glissant, avec un bruit de galets remués, sur le gravier tiré de la rivière. Et elles disaient des phrases où le nom de Suzanne revenait fréquemment…

Mais voici, jappant et frétillant, quelque chose de noir qui se précipite vers les promeneurs. C’est Floflo, un loulou de Poméranie au poil lustré de caresses, un ami d’enfance, lui aussi, et le contemporain de Marie-Thérèse, malgré que déjà ce soit un vieillard-chien… On le fête. On oublie un peu Suzanne. Et l’on poursuit la ronde sentimentale, au clair de la lune qui vient de jaillir d’une crête.

Fort bien. — Et les parents ?

Les parents ? Ils devisent dans le salon, avec Mme Arquedouve et Robert Collin. Et tandis que Mme Monbardeau, l’esprit tout aux Sarvants, s’inquiète à part soi de la sortie des « enfants », qu’elle traite d’imprudence, — l’aïeule, s’adressant à M. Le Tellier, lui demande :

— « Jean, pourquoi venez-vous si tôt à Mirastel ? »

Mais l’astronome ne répond pas tout de go. Il regarde sa femme d’un air gêné. Celle-ci, alors, toise le secrétaire avec beaucoup d’arrogance ; elle parcourt d’un regard malveillant le pauvre petit homme chétif qui est là, si maigre et si laid ; elle semble faire l’inventaire de ses désavantages physiques, de ses pommettes saillantes, de son front excessif, de sa vilaine barbe mousseuse ; et elle fixe, derrière les lunettes d’or, les grands beaux yeux immensément rêveurs, comme s’ils étaient aussi déshérités que le reste.

Robert Collin a compris. Il sent qu’il est de trop, se lève, bredouille : « Si vous permettez, je vais… hum ! je vais défaire mes bagages. » Puis se retire en essuyant ses besicles d’or.

Et Mme Monbardeau :

— « Quel brave garçon, ce Robert ! Comme tu le traites, Lucie ! »

— « Je n’aime pas les gêneurs », fait Mme Le Tellier sur un ton langoureux. « Ce monsieur toujours en tiers, c’est assommant !… Et encore, avec une tête pareille ! »

— « Luce ! Luce ! » gronde M. Le Tellier.

Or, le lecteur a de la chance. Les deux sœurs ne pouvaient rien dire qui les peignît plus au vif en moins de mots : l’une indulgente et bonne, franche et sans apprêt ; l’autre nonchalante et pleine d’âcreté, dure au prochain. Ajoutons que Mme Le Tellier se teignait les cheveux au henné ; qu’elle restait des heures étendue, sans raison valable ; que ses ongles paraissaient huilés à force de luire et d’être polis et repolis, — et nous l’aurons décrite très suffisamment.

Cependant Mme Arquedouve a répété sa question, et puisqu’on est en famille désormais :

— « Ma mère, » commence M. Le Tellier, « moi je retournerai à Paris dans une quinzaine. Mais je vous ai amené surtout Marie-Thérèse. »

— « Est-ce qu’elle est souffrante ? Ou quoi ?… » s’effare la grand’mère, qui pense à son autre petite-fille, Suzanne…

— « Non. Tranquillisez-vous. Mais vous savez que nous avons inauguré, le 12 avril, l’équatorial donné par M. Hatkins ?… — Qu’est-ce que tu as. Calixte ? »

Le docteur avait sursauté.

— « Rien », fait-il. « C’est ce nom de Hatkins… Continue, continue. »

— « Cette fête, ma mère, fut très brillante. D’illustres personnages, des mondains notoires et pas mal d’étrangers de marque y assistaient. Notre Marie-Thérèse, qui faisait là ses premières armes, obtint un succès fou… et depuis cet après-midi — que le diable emporte ! — j’ai reçu tant et tant de demandes en mariage, si pressantes, si flatteuses et même si… imprévues, que, nous refusant d’une part à la marier si jeune, et d’autre part ne sachant plus que répondre à l’avalanche infatigable de lettres et de visites que cette excellente raison ne suffisait point à rebuter, — nous avons pris le parti de fuir ! Ce n’était plus tenable ! Ici, nul ne viendra nous relancer. »

Mme Arquedouve prononça doucement :

— « Le duc d’Agnès, — vous savez : ce camarade de classe de Maxime, l’aviateur qui est venu à Mirastel l’année dernière, — est-ce qu’il a demandé Marie-Thérèse ? »

— « Non… »

— « C’est dommage. J’aurais aimé cela. »

— « Moi aussi », affirma Mme Le Tellier.

— « Elle aussi », conclut Mme Monbardeau.

— « Mon Dieu, » repartit l’astronome, déconcerté, « mon Dieu… le duc d’Agnès n’est pas un savant… Je ne verrais pas d’inconvénient, toutefois, à ce que… Mais il ne l’a pas demandée. »

— « En vérité, vous avez reçu tant de propositions ? » admira le docteur.

Et Mme Le Tellier, languissante :

— « Il y en avait d’impayables, figurez-vous. Un attorney de Chicago. Un officier de cavalerie espagnol. Un attaché d’ambassade hongrois. Et jusqu’à ce Turc : Abd-Ul-Kaddour ! »

— « Ah ! le Turc, c’est le bouquet ! » s’écria M. Le Tellier en éclatant de rire. « Un pacha, venu pour visiter Paris avec douze créatures de son harem !… Il les promenait sans relâche, hermétiquement voilées, au fond de trois landaus de louage ! »

— « Hatkins ne s’est pas mis sur les rangs ? » demanda M. Monbardeau, le visage sévère.

— « Non… Pourquoi ? »

— « Ouf ! je respire. »

— « Mais, mon cher ami, M. Hatkins ne connaît pas Marie-Thérèse… De plus, tout le monde sait qu’il garde un culte fervent au souvenir de sa femme… Enfin, M. Hatkins est le plus humble des philanthropes, et ne s’est pas montré, même une seconde, à l’inauguration. Il n’a jamais vu ma fille, j’en réponds. »

— « Tant mieux, tant mieux. »

— « Mais enfin… »

— « J’ai mes raisons. »

— « Puisque tu le connais, sais-tu qu’il va partir avec des amis pour faire le tour du monde ? »

— « Ça m’est bien égal ! »

À cette minute, les « enfants » rentraient, clignant les yeux aux lumières des lampes. — M. Monbardeau les interpella :

— « Hé ! Vous n’avez pas rencontré le Sarvant ? »

Et tous de rire, plus ou moins de bon cœur.

— « Êtes-vous contents ? » interrogea Mme Arquedouve

— « En doutez-vous, grand’mère ? On va reprendre dès demain la bonne vie d’autrefois ! » répondit Maxime.

— « Tu retrouveras ton laboratoire avec tes anciennes collections, ton aquarium ! »

— « Il va même resservir, cet aquarium. Je voudrais tenter ici quelques expériences utiles à mes travaux d’océanographie. Ce vieux Philibert me fournira de poissons tous les huit jours… Et puis, je compte aussi faire beaucoup d’aquarelle. »

— « Et des excursions, je suppose ! » s’écria Marie-Thérèse. « Tout cet hiver, je n’ai pensé qu’au moment où je pourrais toucher la croix du Grand-Colombier ! C’est si beau, là-haut ! »

— « Ah ! toujours l’intrépide ascensionniste ! » dit gaiement Mme Monbardeau. « Marie-Thérèse, viendras-tu bientôt nous demander le gîte et le couvert à Artemare ? »

— « Ma tante, j’y ai déjà songé ! »

— « Oh ! pas tout de suite ! » réclama la grand’mère, en flattant de sa main d’aveugle, mobile et vivace, la chevelure de sa petite-fille.

— « Quand cela te chantera », reprit la tante Monbardeau. « Inutile de prévenir ; ta chambre sera prête. Et la tienne aussi, Maxime. »

La modique 9-chevaux du médecin de campagne teufteufait sur la terrasse, devant le château. Les quatre Monbardeau s’y installèrent.

— « Adieu ! adieu ! — À demain ! — À bientôt ! »

Le clair de lune baignait le panorama superbe et montagneux.

L’auto dévalait promptement aux zigzags de la côte.

Appuyés au parapet, ceux de Mirastel criaient avec des rires :

— « Prenez garde au Sarvant ! »

La corne beugla au tournant de la route.

Il faisait si calme, qu’on entendit le ronron du moteur jusque dans Artemare, où il s’arrêta.