Le Monument de Marceline Desbordes-Valmore/21



À Marceline Desbordes-Valmore


Le corps abandonné, la tête renversée,
Tu te dresses pensive et tordant tes bras nus,
Dans la grave langueur de cette paix brisée
Qui suit les longs assauts vaillamment soutenus ;

Poursuit-il donc ton cœur qu’il caresse et qu’il lasse
Ce premier nom, jamais oublié, jamais dit,
Ce souvenir exquis, pénétrant et tenace
Comme le long parfum des fleurs de Saadi ?

Obsède-t-il toujours ton âme qu’il épie,
Le sévère mari que tu voulus chérir,
Qui but la coupe d’or en y cherchant la lie,
Et tortura ton cœur en l’espérant guérir ?

Crois-tu veiller encor ta « jalouse adorée »
Et t’acharner en vain dans ton sublime effort
Pour contraindre au bonheur la chère âme murée
Et l’emplir d’un amour plus puissant que la mort ?

Oublie ; autour de toi nous avons mis des roses,
Encensoirs de velours que balancent les vents ;
Oublie et rêve aux fleurs depuis cent ans écloses,
Aux fleurs de ton petit amoureux de neuf ans.

Sur quel roc âpre et vif, premières églantines,
Frais et charmant amour des rêves puérils,
Sur quels chemins fangeux, sur quels buissons d’épines
Les vents des mauvais jours vous balayèrent-ils ?

Ils ont pu lacérer vos fragiles pétales,
Mais les chemins d’exil en sont restés fleuris,
Et vous avez vaincu jusqu’aux bises brutales
Que parfument encor vos calices meurtris.


Fac-similé d’un autographe de Marceline Desbordes-Valmore.


Sans éteindre ton cœur, la destinée humaine
Trois fois a mis sa main glaciale sur toi,
T’enseignant la pitié sans t’apprendre la haine,
Te prenant le bonheur sans t’enlever la foi.

C’est pourquoi nous t’aimons, ô muse de souffrance,
Pour tes longues douleurs dont tu fis de l’amour,
Et qu’après tant de jours de nostalgique absence
Dans ta chère cité te voilà de retour.

En toi, muse d’exil, mélancolique et brave,
Faible enfant par l’amour cruel abandonné,
Elle se reconnait, la ville noble et grave,
La ville de tristesse au front découronné.

Tes malheurs ont été ceux de toutes les femmes,
Victimes de l’amour que Dieu donne et reprend,
Et nous voulons offrir en exemple à leurs âmes
Ce destin si banal et que tu fis si grand.

Ô femme qui viendras pleurer un soir près d’elle
Les pesants désespoirs de ton premier amour,
Qu’elle te fasse aimante, apaisée et fidèle
À l’époux qui viendra te consoler un jour ;

Que sa sérénité souveraine te donne
La haute et grave paix qu’achètent les combats,
Car elle sait comment un cœur blessé pardonne
Et se cicatrisant ne se referme pas ;

Car en elle, si douce en notre vie amère,
Chanta la poésie et fleurit la beauté ;
Elle fut l’amoureuse et l’épouse et la mère,
Toute la femme en sa triple divinité.

C’est toi que notre amour, femme, salue en elle,
Toi qu’il dresse debout sur son blanc piédestal,
Éternelle adorée et martyre éternelle,
Saignante poésie et vivant idéal.


Edouard d’Hooghe.