Le Mineur de Wielicszka (recueil)/La Piété filiale

Mégard et Cie (p. 74-84).

LA PIÉTÉ FILIALE.





M. Valmont et Euphrosine, sa femme, peu riches, mais doués tous deux de beaucoup de raison et d’un caractère excellent, avaient une fille nommée Juliette, qui faisait leur unique joie. Tous leurs soins ne tendaient qu’à lui donner une bonne éducation.

Juliette savait apprécier tout l’amour de ses parents, car elle éprouvait pour eux une extrême tendresse et comblait tous leurs souhaits. S’ils lui prescrivaient quelque chose qui ne lui fût pas agréable, elle s’en acquittait néanmoins avec beaucoup de bonne volonté et de plaisir.

Juliette tomba malade. Elle voyait combien sa mère paraissait inquiète ; elle remarquait aussi que son père n’avait plus sa bonne humeur habituelle. Ces marques de tendresse la touchèrent vivement, et elle remercia Dieu de lui avoir donné des parents aussi affectueux.

Mme Valmont rendit les soins les plus touchants à Juliette ; sans cesse elle se tenait auprès de son lit, la consolait, lui faisait des lectures, lui racontait des anecdotes et tâchait ainsi de lui faire passer agréablement le temps.

M. Valmont tenait aussi souvent société à sa fille. Il avait l’habitude d’aller voir tous les jours un de ses amis, chez lequel se réunissaient plusieurs autres personnes avec lesquelles il était lié ; il rangeait parmi les moments les plus agréables de son existence les heures qu’il passait dans cette société. Mais du jour où sa fille garda le lit, il ne sortit plus de chez lui et préféra la société de Juliette à toute autre.

Juliette sentait tout le prix d’une pareille tendresse ; elle avait un cœur excellent, et un bon cœur est toujours reconnaissant.

La malade se rétablit, et ses parents en éprouvèrent une grande joie. Elle leur exprima sa vive reconnaissance pour les tendres soins qu’ils lui avaient rendus durant sa maladie.

Un matin, Juliette pria ses parents de l’accompagner au jardin qui touchait à la maison ; il était petit, mais agréable ; le bosquet surtout, qui se trouvait au fond, se faisait remarquer par son élégance.

M. et Mme Valmont ne pouvaient deviner pourquoi Juliette désirait les conduire au jardin ; mais ne voulant pas la contrarier, ils la suivirent. Elle les fit entrer dans le bosquet ; et quelle fut leur surprise, lorsqu’ils y virent arrangé un autel de fleurs portant l’inscription suivante : Tribut de la reconnaissance filiale pour l’amour et les soins paternels ! Sur l’autel il yavait un couteau anglais pour M. Valmont, et pour Mme Valmont une paire de ciseaux avec un paquet d’aiguilles anglaises. Juliette avait joint à ces petits présents une lettre dans laquelle elle exprimait d’une manière touchante sa reconnaissance pour tous les soins que ses parents lui avaient donnés durant sa maladie. Les yeux de M. et de Mme Valmont se mouillèrent de larmes à la lecture de ce billet.

La bonne Juliette se jeta au cou de ses parents, et ses pleurs, qui coulaient en abondance, prouvaient toute l’émotion de son cœur.

— Chère fille ! s’écria M. Valmont, tu me tiens lieu de toutes richesses ; je possède en toi le plus grand trésor ; que Dieu te bénisse !

— Que Dieu entretienne ta piété filiale ajouta Mme Valmont, tout émue de cette scène attendrissante.

L’offrande de Juliette était d’autant plus louable qu’elle lui avait coûté un petit sacrifice. Depuis un an elle avait fait une économie de quelques écus qu’elle destinait à l’achat de beaux rubans. Elle allait en faire l’emplette, lorsqu’elle tomba malade. Pendant sa convalescence, elle se réjouissait d’avance du plaisir que lui ferait cette acquisition ; mais lorsqu’elle fut entièrement guérie, l’amour que lui avaient témoigné ses parents occupait sa pensée. Elle ne réfléchit pas longtemps, prit l’argent destiné pour ses rubans et acheta pour ses parents un couteau et des ciseaux, voulant leur prouver de toutes les manières sa reconnaissance.

M. et Mme Valmont surent apprécier les cadeaux de leur fille, et les conservèrent soigneusement comme un doux souvenir.

Juliette avait seize ans quand la guerre enleva à ses parents tout ce qu’ils possédaient. Ils se trouvaient dans un besoin pressant, et les premières demandes qu’ils se faisaient à leur réveil étaient le plus souvent :

— De quoi nous nourrirons-nous ? de quoi nous vêtirons-nous ?

Juliette sentait profondément la misère de ses parents ; elle prit la résolution d’entrer en service pour améliorer par là leur position.M. et Mme Valmont lui firent des remontrances à ce sujet.

— Tu veux nous quitter ? lui disait sa mère ; hélas ! tu ignores combien il te sera pénible de te livrer à des travaux auxquels tu n’es pas habituée ; tu ne les supporterais pas longtemps. Reste auprès de nous, Dieu nous aidera.

— Mes chers parents, reprit Juliette, Dieu sait combien il m’en coûte de me séparer de vous ! Mon plus grand bonheur serait de ne jamais vous quitter. Je vois la charge que je vous impose, il est de mon devoir d’y remédier. Dieu m’a donné de la force, une bonne santé, et je travaillerai volontiers, si je puis par là soulager votre existence ; le travail est dans la destinée de l’homme.

Toutes les observations de M. et de Mme Valmont furent inutiles. La bonne Juliette entra en service auprès d’une famille où elle remplit la charge de femme de chambre ; elle se trouvait dans une des meilleures maisons de la ville, non éloignée de l’endroit qu’elle habitait.

Son travail devint si fatigant qu’elle manqua d’y succomber ; mais, malgré toutes ses peines, elle ne perdit pas courage, remplit exactement ses devoirs sans murmurer, et soutint ses forces en pensant à ses parents. Elle ne dépensait presque rien de ses gages et les envoyait à chaque quartier chez elle. Sa maîtresse lui donnait souvent, le dimanche, quelque argent, en lui disant de le dépenser pour ses menus plaisirs. Mais Juliette lui donnait une autre destination. En vain ses compagnes l’engageaient-elles à venir danser dans un jardin où l’on se réunissait le dimanche et les jours de fête ; elle s’y refusait toujours, aimant cependant beaucoup la danse ; elle préférait se promener seule, et réservait son argent pour ses parents. Voilà quelle était la conduite de cette excellente fille.

L’hiver était arrivé ; plusieurs de ses compagnes avaient organisé une partie de promenade, et Juliette y fut invitée. Combien elle aurait désiré d’y aller ! Mais elle n’avait pas de toilette convenable. Elle avait reçu ses gages, et était tentée de s’acheter une belle robe ; mais le souvenir de ses parents et la pensée de faire à Dieu un sacrifice se présentèrent à son esprit ; elle renonça à la promenade, et leur envoya son argent.

Un an s’était écoulé, quand Juliette vint un jour chez une de ses amies, tenant un petit paquet sous le bras.

— Qu’as-tu là ? lui demanda cette dernière.

Juliette lui dit en confidence qu’elle avait le dessein de vendre ses habits du dimanche, la priant de l’aider dans cette circonstance.

L’amie de Juliette lui fit des objections et voulut savoir ce qui la déterminait à se défaire de ses plus beaux effets ; mais Juliette garda son secret. Elle trouva un acheteur, prit le produit de la vente qu’elle venait de faire, et courut en toute hâte chez ses parents, qui, ne pouvant payer leur loyer, se trouvaient dans un grand embarras ; car leur propriétaire les avait menacés de les chasser, s’ils ne payaient pas.

Juliette était toujours l’ange sauveur de ses pauvres parents ; sans elle le malheur les aurait accablés, car la misère était répandue sur toute la contrée qu’ils habitaient.

Aussi la piété filiale de Juliette fut récompensée. Elle épousa un honnête et brave négociant, qui la rendit très-heureuse. Elle fit venir ses parents auprès d’elle, et embellit leur vieillesse par son amour et sa bonté.

Quand ils n’existèrent plus, elle regretta sincèrement leur perte ; elle visita souvent leur tombe, et garda un doux souvenir de reconnaissance, en pensant au bonheur qu’elle leur devait.