Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède/Chapitre XXXIV

XXXIV

UN PETIT DOMAINE

Le lendemain Nils profita, pendant un arrêt, d’un moment où Akka en paissant s’était un peu éloignée des autres oies pour lui demander si ce que lui avait raconté Bataki était vrai. Akka ne put le nier. Le gamin fit alors promettre à la vieille oie de ne point laisser le jars blanc soupçonner ce secret. Brave et généreux comme il était, il aurait pu agir sans demander conseil à personne.

Après cette conversation Nils resta silencieux et renfrogné sur le dos du jars sans s’intéresser à rien. Il entendit les oies crier aux oisons qu’on entrait en Dalécarlie et qu’on pouvait distinguer le Städjan.

— Comme il est probable que je voyagerai toute ma vie avec les oies, j’aurai le temps de voir ce pays plus que je ne le désirerai, grommela Nils.

Il ne montra pas plus d’intérêt, lorsque les oies crièrent qu’on était en Vermland, et que le fleuve qu’on suivait vers le sud, était le Klarelf.

— J’ai déjà vu tant de fleuves, j’en ai assez, dit-il.

D’ailleurs, même s’il avait été curieux, il n’aurait pas trouvé beaucoup de choses à voir, car le nord du Vermland est rempli de grandes forêts monotones, à travers lesquelles serpente le Klarelf, étroit et tout en rapides. Çà et là une meule de charbon, un défrichement ou quelques maisons basses sans cheminées habitées par des Finnois. L’étendue des forêts pourrait faire croire qu’on est en Laponie.

Les oies sauvages suivirent le Klarelf jusqu’à la grande usine de Munkfors. Puis elles obliquèrent vers l’ouest ; elles n’avaient point encore atteint le lac Fryken quand le soir tomba ; elles descendirent au milieu d’un grand marais sur une hauteur. C’était certes un bon endroit pour des oies, mais le gamin aurait bien voulu trouver mieux pour lui-même. Pendant qu’il était dans l’air, il avait aperçu quelques maisons au pied de la hauteur ; il résolut de les chercher.

Ce fut plus long qu’il n’aurait cru. Mais enfin la forêt s’éclaircit, et il arriva sur une route. Un peu plus loin une belle allée de bouleaux montait de cette route vers une ferme, et Nils s’y engagea résolument.

Il entra d’abord dans une arrière-cour, grande comme le marché d’une petite ville et entourée de longues maisons rouges et basses. Après l’avoir traversée, il vit devant lui une seconde cour ; là, s’élevait le corps de logis, précédé d’une grande pelouse, flanqué d’une aile, avec un jardin touffu derrière. Le corps de logis lui-même était petit et modeste, mais la cour était bordée d’un cercle de sorbiers géants, si serrés qu’ils formaient comme des murs. Le ciel semblait un plafond bleu pâle, les sorbiers étaient jaunes, avec de belles grappes rouges. La pelouse devait être verte encore, mais comme il faisait ce soir-là un magnifique clair de lune, elle paraissait blanche et argentée.

Pas un être humain ne se montrait, et Nils put à son aise parcourir le domaine. Entré dans le jardin, il vit quelque chose qui le mit presque de bonne humeur. Il était monté dans un sorbier pour manger des baies, lorsqu’il aperçut les grappes rouges d’un groseillier. Il se laissa glisser le long du tronc. En regardant autour de lui, il remarqua que le jardin était rempli de groseilliers rouges et noirs, de groseilliers à maquereau, et de framboisiers. Il y avait des navets et des raves dans le potager, des graines aux plantes, des épis à tous les brins d’herbe. Et là, au milieu de l’allée — il ne se trompait pas — une belle grosse pomme brillait sous les rayons de la lune.

Nils s’assit sur le bord d’une pelouse, la grosse pomme devant lui, et se mit à en tailler des morceaux avec son couteau.

— Ce ne serait pas si dur d’être tomte, dit-il, si l’on pouvait partout se nourrir aussi facilement !

Tout à coup il entendit un léger frémissement au-dessus de sa tête et vit presque en même temps devant lui sur l’allée quelque chose qui ressemblait à une petite souche de bouleau. La souche se tordait, et deux points lumineux brillèrent comme deux charbons ardents au sommet. Nils remarqua bientôt que la souche avait aussi un bec crochu, et deux yeux ardents entourés de cercles de plumes. Alors il se calma.

— Cela fait plaisir de rencontrer enfin un être vivant ! dit-il. Peut-être, madame la chouette, voudriez-vous me dire comment s’appelle ce domaine et qui l’habite ?

La chouette était demeurée perchée, ce soir-là comme tous les autres, sur un échelon de la grande échelle appuyée contre le toit de la maison ; de là elle inspectait les allées et les pelouses, en quête de rats. À son grand étonnement aucune peau grise ne s’était encore montrée. Mais elle avait aperçu quelque chose qui ressemblait à un homme en miniature.

— Voilà, se dit-elle, ce qui effraie les rats. Qu’est-ce que cela peut bien être ?

— Ce n’est pas un écureuil, ni un petit chat, ni une belette ; un oiseau qui depuis si longtemps habite une maison de bourgeois devrait connaître tout ce qu’il y a au monde. Mais ceci passe mon entendement.

Elle avait fixé l’étrange créature qui remuait sur le sol au point que ses yeux semblaient lancer des flammes. Enfin la curiosité l’avait emporté sur la prudence et elle était descendue voir ce que c’était.

Tandis que le gamin parlait, elle se pencha en avant pour mieux l’examiner.

— Il n’a ni griffes ni piques, pensait-elle, mais qui me dira qu’il ne possède pas un dard empoisonné ou une autre arme encore plus dangereuse ? Je ferai bien de me tenir sur mes gardes.

— Le domaine s’appelle Mârbacka, répondit-elle, et il a été jadis habité par des bourgeois. Mais qui es-tu, toi ?

— Je songe à venir m’installer ici, dit le gamin sans répondre à la question de la chouette.

— Le domaine n’est pas grand’chose maintenant en comparaison de ce qu’il a été autrefois, dit la chouette, mais on peut toujours trouver à y vivre. Cela dépend surtout du genre de vie que tu veux mener et de ce que tu manges. Comptes-tu t’adonner à la chasse aux rats ?

— Dieu m’en garde, fit le gamin. Il y a plus de danger que les rats ne me dévorent, moi. Je ne pourrais certes pas leur faire beaucoup de mal.

— Ce n’est pas possible qu’il soit aussi inoffensif qu’il veut bien le faire croire, se dit la chouette. Essayons toujours !

Là-dessus elle s’éleva en l’air, puis fondit sur Nils Holgersson, et lui enfonça ses griffes dans les épaules, en cherchant du bec à lui crever les yeux. D’un bras, le gamin se couvrit le visage ; de l’autre il essaya de se dégager, en appelant au secours de toutes ses forces. Il se rendait compte qu’il était en péril de mort.

Or, précisément l’année où Nils Holgersson voyageait avec les oies sauvages, il y avait une personne qui ne cessait de penser à un livre qu’elle voulait écrire sur la Suède, un livre de lecture pour les enfants des écoles. Elle y avait pensé de la Noël jusqu’à l’automne, mais elle n’avait pas encore écrit une ligne, et finalement elle était si lasse qu’elle se disait :

— Tu n’en es pas capable. Assieds-toi à ton bureau, fais des contes et des histoires comme tu as l’habitude d’en faire, et laisse à un autre le soin d’écrire un livre qui soit instructif et sérieux et où, surtout, il n’y ait pas un mot qui ne soit vrai !

Il était presque entendu qu’elle abandonnerait l’entreprise, quoique avec regret, car elle aurait beaucoup aimé à écrire de belles choses sur la Suède. Elle eut un moment l’idée que son incapacité venait peut-être de ce qu’elle vivait dans une ville et ne voyait autour d’elle que des rues et des murs de maisons. Si elle s’installait à la campagne où elle verrait des forêts et des champs, peut-être le travail irait-il mieux.

Elle était du Vermland, et avait l’idée bien arrêtée de commencer son livre par cette province, et d’abord de décrire l’endroit où elle avait grandi. C’était un tout petit domaine, assez isolé du reste du monde, et où l’on avait gardé beaucoup de coutumes et d’usages anciens. Les enfants aimeraient peut-être à entendre raconter les travaux multiples qui, en son enfance, s’y succédaient d’un bout à l’autre de l’année. Elle voulait leur décrire comment on y avait célébré les fêtes : Noël, le jour de l’an, Pâques, la Saint-Jean ; comment étaient installés la cuisine, les magasins à provision, l’étable et l’écurie, l’aire et la maison de bain. Mais sa plume refusait d’obéir. Pourtant elle se rappelait toutes ces choses aussi nettement que si elle vivait encore dans le domaine. Mais si elle devait aller s’installer à la campagne, pourquoi ne ferait-elle pas une visite à cette vieille maison avant d’écrire ? Elle n’y avait pas été depuis plusieurs années, et n’était pas mécontente de trouver un prétexte pour y aller. Au fond, elle avait la nostalgie de cette terre partout où elle était dans le monde. Elle voyait bien d’autres endroits plus beaux, mais elle ne retrouvait nulle part cette sécurité et ce bien-être qu’elle avait connus dans sa maison d’enfance.

Cependant il n’était pas aussi facile d’y retourner qu’on pourrait croire, car le domaine avait été vendu à des gens qu’elle ne connaissait pas. Elle pensait certes qu’elle serait bien reçue par eux, mais il lui répugnait d’y venir en étrangère et d’être forcée de soutenir une conversation avec ces inconnus. Elle imagina donc d’y arriver un soir lorsque tout le monde aurait fini son travail et se tiendrait dans la maison.

Elle n’aurait pas cru que ce serait une sensation aussi étrange de rentrer. Pendant que la voiture la portait vers la vieille maison, elle se sentait rajeunir à chaque instant ; bientôt elle n’était plus une vieille femme aux cheveux déjà grisonnants, mais une gamine en jupes courtes, avec, dans le dos, une longue natte de cheveux couleur de lin. En reconnaissant chaque maison le long de la route, elle ne pouvait admettre que là-bas, à la maison, tout ne fût pas comme dans le passé. Père, mère, frères et sœurs l’attendaient sur le perron, la vieille gouvernante accourrait à la fenêtre de la cuisine pour la voir, Néron et Freya et deux ou trois autres chiens se précipiteraient et gambaderaient autour d’elle.

Plus elle approchait, plus elle se sentait heureuse. On était en automne, et voilà qu’allait s’ouvrir une période de besognes variées, mais la multitude même de ces besognes était cause qu’on ne s’ennuyait jamais. En route, elle avait vu les gens occupés à arracher les pommes de terre ; sans doute en était-il de même chez elle. Le premier travail qui l’attendrait serait par conséquent de râper les pommes de terre pour en fabriquer de la fécule. L’automne avait été très doux. Elle se demandait si on avait tout récolté dans le jardin. Les choux n’étaient sans doute pas encore coupés. Et le houblon, était-il ramassé ? Les pommes étaient-elles cueillies ?

Peut-être aussi était-ce le grand remue-ménage du nettoyage de la maison avant la foire d’automne, qui était une fête surtout pour les domestiques. Quel plaisir, la veille de la foire, de venir dans la cuisine, et de voir le plancher jonché de genévrier haché menu, les murs reblanchis et les cuivres étincelants sous la corniche du plafond !

Mais après la foire, on n’aurait pas de long répit. Il allait falloir se mettre au macquage du lin ; pendant la canicule on avait étendu le lin à rouir sur un champ. On l’avait ensuite mis dans la vieille étuve et on avait chauffé le grand four pour le sécher ; lorsqu’il serait suffisamment sec, un jour on réunirait toutes les femmes du voisinage. Elles s’installeraient dehors devant l’étuve et macqueraient le lin. Puis elles le battraient avec des écangs pour retirer les fibres fines et blanches des tiges. Les femmes seraient blanches de poussière, mais cela n’arrêterait point la gaieté et le bavardage qui retentiraient comme une tempête autour de l’étuve.

La préparation du lin achevée, on avait à assurer la cuisson du pain dur pour l’hiver, la tonte des moutons et le changement des domestiques. En novembre, viendraient les journées fatigantes où l’on abattait le bétail et où l’on faisait les provisions de saucisses, saucissons, petit salé, etc., et enfin, le coulage des chandelles. La couturière qui faisait des robes avec l’étoffe tissée à la maison viendrait ; on avait toujours deux semaines charmantes où tout le monde était réuni et occupé à la couture. Le cordonnier qui faisait les chaussures de toute la maisonnée travaillait en même temps dans la chambre des valets ; on ne se lassait pas de le regarder couper le cuir, poser des semelles et coudre.

Mais la grande hâte viendrait vers Noël ; à la Sainte-Lucie, la femme de chambre, vêtue de blanc, une couronne de verdure et de bougies sur les cheveux, venait éveiller tout le monde à cinq heures du matin en apportant du café ; on inaugurait ainsi deux semaines de préparatifs pendant lesquelles personne ne pouvait compter sur beaucoup de sommeil. Il s’agissait de brasser la bière de Noël, de cuire le pain et les gâteaux de Noël, de faire le grand nettoyage de Noël…

La voyageuse en était arrivée là, elle se voyait entourée de petits fours sur le point d’être enfournés et de boucs de Noël en pain d’épice, lorsque le cocher arrêta les chevaux au commencement de l’allée de bouleaux, comme elle le lui avait demandé. Elle sursauta, réveillée brusquement. C’était sinistre de se retrouver seule dans la soirée déjà avancée après qu’on s’était vue en rêve entourée de tous les siens. En descendant de la voiture pour monter à pied vers son ancienne maison, la visiteuse fut si angoissée par la différence entre le présent et le passé qu’elle aurait voulu retourner sur ses pas. « À quoi bon revenir ici ? Rien ne peut être comme autrefois », se disait-elle.

Mais puisqu’elle y était, elle pourrait tout de même revoir le vieux domaine ; elle continua son chemin, quoique plus triste à chaque pas.

Elle avait entendu dire que le domaine était très délabré ; il l’était en effet. Mais le soir, on n’en voyait rien : tout lui semblait comme par le passé. Voilà l’étang ; dans sa jeunesse il était plein de carassins que personne n’osait pêcher, son père désirant qu’on les laissât tranquilles ; devant le corps de logis, la cour était toujours semblable à une chambre close sans échappée de vue d’aucun côté, comme du temps de son père qui n’avait pas pu se décider à couper le moindre buisson.

Elle s’était arrêtée à l’ombre du grand érable près de la grille d’entrée, regardant tout. Et voilà, chose étrange, qu’un essaim de pigeons vint s’abattre autour d’elle.

Elle put à peine se persuader que c’étaient de vrais oiseaux, car les pigeons ne sont pas en mouvement après le coucher du soleil. Ce devait être le beau clair de lune qui les avait éveillés. Croyant qu’il faisait jour, ils avaient quitté le colombier, s’étaient sentis étourdis, et voyant un être humain, avaient volé vers lui comme pour chercher à se retrouver.

Or il y avait eu une foule de pigeons du temps de ses parents ; les pigeons étaient parmi les animaux que son père avait pris sous sa protection particulière. Il était de mauvaise humeur dès qu’il entendait parler de tuer un pigeon. Elle se sentit très heureuse d’être ainsi reçue par ces beaux oiseaux dans son ancienne maison. Qui lui disait que les pigeons n’étaient pas sortis dans la nuit à cause d’elle ? pour lui montrer qu’ils se souvenaient d’avoir jadis trouvé ici un bon refuge ? Ou peut-être son père lui envoyait-il ainsi un petit signe pour qu’elle ne se sentît pas triste et angoissée en revoyant son ancienne demeure ?

À cette pensée un regret nostalgique des temps d’autrefois lui fit monter les larmes aux yeux. La bonne vie qu’on avait menée dans cette vieille maison ! On avait eu des semaines de labeur, mais on avait eu aussi des fêtes ; on avait travaillé et peiné le jour, mais le soir on s’était réuni autour de la lampe pour lire Tegner et Runeberg, Mme Lenngren et Frederika Bremer. On avait cultivé du blé, mais aussi des roses et des jasmins ; on avait filé le lin, mais des chansons populaires avaient accompagné le rouet. On avait bûché la grammaire et l’histoire, mais on avait aussi joué du théâtre et composé des vers ; on s’était brûlé sur le fourneau en faisant la cuisine, mais on avait appris à jouer du clavecin, de la flûte, de la guitare, du violon et du piano. On avait planté des choux, des raves, des petits pois et des haricots dans le potager derrière la maison, mais on avait eu un autre jardin plein de pommes, de poires et de toutes sortes de fruits. On avait vécu isolé, mais à cause de cela même on avait eu la mémoire pleine de contes et de récits. On avait porté des vêtements tissés à la maison, mais on avait pu vivre sans soucis et indépendant.

« Nulle part au monde on n’a su mener une existence aussi douce que dans ces petits domaines seigneuriaux de mon enfance, pensa-t-elle. Il y avait une juste mesure de travail et de plaisir, et c’était la joie tous les jours. Comme j’aimerais y retourner ! Depuis que j’ai revu mon ancien foyer, il m’est pénible de le quitter. »

Puis s’adressant à l’essaim des pigeons : « Ne voulez-vous pas, dit-elle, aller dire à mon père que j’ai la nostalgie de la maison ? J’ai assez longtemps été ballottée d’un endroit à un autre. Demandez-lui s’il ne peut faire que je retourne bientôt à ma maison d’enfance. »

À peine eut-elle achevé ces mots que tout l’essaim des pigeons s’éleva en l’air et s’envola. Elle essaya de le suivre des yeux, mais il disparut très vite. On eût dit que toute la claire volée s’était évaporée dans l’air scintillant.

Les pigeons venaient justement de s’enfuir, lorsqu’elle entendit dans le jardin des cris perçants. Elle accourut, et vit quelque chose d’extraordinaire : un petit, petit bonhomme guère plus haut qu’un revers de main se débattait contre une chouette. Au premier abord sa stupeur la cloua sur place, mais les cris du petit Poucet se faisant de plus en plus plaintifs, elle intervint et sépara les combattants. La chouette s’envola sur un arbre, mais le petit homme demeura devant elle.

— Je vous remercie de m’avoir secouru, dit-il. Mais vous avez eu tort de laisser échapper la chouette, car elle me guette maintenant de la branche là-haut et m’empêche de partir.

— Certainement j’ai été une étourdie de la laisser s’envoler, avoua-t-elle. Mais ne pourrais-je pas t’accompagner jusqu’à l’endroit où tu demeures ?

Tout habituée qu’elle fût à composer des contes de fée, elle n’en était pas moins assez étonnée de se trouver ainsi en conversation avec un tomte. Cependant elle était peut-être moins surprise qu’on ne pourrait le croire ; ne s’était-elle pas attendue tout le temps à quelque aventure extraordinaire en parcourant sous le clair de lune les allées de son ancienne maison ?

— C’est que j’avais l’intention de passer ici toute la nuit, dit le petit homme. Si vous pouviez me montrer un abri sûr pour la nuit, je ne retournerais dans la forêt qu’au lever du jour.

— Te montrer un abri ? Tu n’habites donc pas ici ?

— Je comprends que vous me prenez pour un tomte, dit le petit homme, mais je suis un être humain comme vous ; seulement j’ai été changé en tomte.

— Voilà la chose la plus extraordinaire que j’aie jamais entendue ! Ne voudrais-tu pas me raconter comment cela t’est arrivé ?

Le gamin n’était pas fâché de confier à quelqu’un ses aventures ; à mesure qu’il racontait, son interlocutrice était de plus en plus ébahie, émerveillée et contente.

— Quelle chance étonnante de rencontrer quelqu’un qui a parcouru toute la Suède sur le dos d’une oie ! se disait-elle. Je n’ai qu’à écrire son histoire pour faire ce livre qui m’a tant préoccupée. Comme j’ai bien fait de revenir à la maison ! J’ai été aidée dès mon retour.

En ce moment une idée lui traversa la tête, qu’elle osa à peine formuler. Elle avait envoyé avec les pigeons un message à son père pour lui dire qu’elle avait la nostalgie de la maison, et l’instant d’après elle s’était vue aider pour une affaire qui lui avait donné tant de souci. Serait-ce là une réponse de son père à ce qu’elle avait demandé ?