Charles Louandre
Le Mariage forcé
Le Mariage forcé (Molière) : Notice de l’Éditeur, Texte établi par Charles LouandreCharpentier1 (p. 572-573).


NOTICE.


D’après quelques commentateurs, une aventure arrivée au comte de Grammont aurait fourni à Molière le sujet de cette pièce. « Ce seigneur, pendant son séjour à la cour d’Angleterre, dit Taillefer, avait aimé mademoiselle Hamilton. Leurs amours même avaient fait du bruit. Il repassait en France, sans avoir rien conclu avec elle. Les deux frères de la demoiselle le joignirent à Douvres, dans le dessein de faire avec lui le coup de pistolet. Du plus loin qu’ils l’aperçurent, ils lui crièrent : « Comte de Grammont, n’avez-vous rien oublié à Londres ? — Pardonnez-moi, répondit le comte qui devinait leur intention : j’ai oublié d’épouser votre sœur, et j’y retourne avec vous pour finir cette affaire. »

Bret, tout en admettant l’authenticité de l’anecdote, conteste qu’elle ait inspiré à Molière l’idée de sa comédie. Suivant ce commentateur, « c’est voir une ressemblance de trop loin, et le sujet de la pièce conduisoit naturellement l’auteur à la manière plaisante dont il la termine. Le Mariage de Panurge (liv. III, ch. xxxv) a fourni à Molière l’idée principale sur laquelle il a établi, non l’intrigue, car il n’y en a pas, mais le fond de sa comédie. Molière étoit plein de son Rabelais, et, comme la Fontaine, il s’est plu souvent à donner une nouvelle vie aux plaisanteries du curé de Meudon. »

Le Mariage forcé fut joué au Louvre, en trois actes, avec des intermèdes, sous le titre de Ballet du Roi, parce que Louis XIV y dansa, le 29 janvier 1664, et en un acte, avec quelques changements, sur le théâtre du Palais-Royal, le 15 février suivant.

« Cette petite pièce contient deux scènes, celles de Sganarelle avec les philosophes Pancrace et Marphurius, qui ne paraissent à beaucoup de lecteurs que deux pitoyables parades. Mais quiconque se reporte au fanatique aristotélisme du temps comprend bientôt que les coups de bâton donnés par Sganarelle ne sont pas là seulement pour nous faire rire. Molière se proposait un but bien plus important ; et il l’atteignit, car l’Université de Paris, frénétique champion des doctrines du philosophe de Stagyre, allait obtenir la confirmation d’un arrêt du parlement de Paris, en date du 4 septembre 1624, qui prononçait peine de mort contre ceux qui oseraient combattre le système des Pancrace et des Marphurius. Le ridicule que le Mariage forcé jeta sur ces principes contribua sans doute à lui faire suspendre ses poursuites. »

Au passage qu’on vient de lire, et que nous empruntons à M. Taschereau, on peut ajouter que l’attaque contre Pancrace et Marphurius se rattachait évidemment, dans l’esprit de Molière, à tout un ensemble d’observations philosophiques ; car les Précieuses, les Femmes savantes, Trissotin et Vadius, Pancrace et Marphurius, sont de la même lignée.