Le Mari embaumé/II/18. La chambre mystérieuse

E. Dentu (Tome 2p. 241-254).





XVIII

LA CHAMBRE MYSTÉRIEUSE


La descente était rude, mais chacun de nos trois compagnons avaient bon pied, bon œil et le poignet solide. Au bas de la rampe, il n’y avait qu’un petit ravin à traverser pour atteindre une poterne qui était ouverte, et au seuil de laquelle se tenait notre jolie Mélise.

— Ai-je assez prié Dieu et la Vierge pour en arriver là ! dit-elle. Voici donc mes trois bonnes épées réunies ! Demain, ceux qui croient avoir bataille gagnée en verront de belles !

— Où est votre père, ma fille ? demanda Estéban.

Mélise secoua sa tête charmante et répondit :

— Voilà deux jours que mon père n’a pas voulu boire un seul verre de vin ! Ne comptez pas sur lui et faites vos affaires vous-même.

— Mort de moi ! murmura Estéban, c’est assez notre habitude depuis longtemps, et, si nous nous reposons quelque jour, nous ne l’aurons pas volé. Où est madame la comtesse, ma mignonne ?

Mélise n’avait plus son gai sourire d’autrefois. À la question du More son visage se rembrunit davantage.

— M. le comte de Pardaillan, répondit-elle en donnant à sa voix une inflexion particulière et sans regarder Roger, fera bien de rejoindre sa mère tout de suite. Celle-là est bien changée depuis hier. Elle a grand besoin d’être consolée.

— Mélise, dit tout bas Roger, qui s’était approché d’elle, avez-vous donc quelque chose contre moi, mon cher amour ?

Une larme vint aux yeux de la jeune fille.

— J’aimais un page qui serait devenu mon mari, répondit-elle. Voilà huit jours, on m’a dit que vous étiez un grand seigneur, et je sais bien que je suis perdue.

— Mélise, ma bien-aimée Mélise ! voulut protester le jeune comte.

— Mort de mes os ! s’écria Estéban, il s’agit bien de pareilles fadaises 1 Fillette, parlez-nous de madame la comtesse, et que cette porte soit refermée solidement.

Ils étaient maintenant tous les quatre dans un étroit préau où l’on descendait par l’escalier tournant du donjon.

— Madame Éliane, répondit Mélise, pendant que les deux jeunes gens replaçaient les barres de la poterne, est arrivée ici bien affaiblie et bien souffrante, après un voyage terrible. Un espoir la soutenait ; elle croyait trouver au château un ordre de la reine dont elle parle sans cesse, et qui serait, à ce qu’il paraît, son salut. Depuis son arrivée, je l’ai peu quittée, et ce mot est sans cesse sur ses lèvres : l’ordre de la reine.

— Quel peut être cet ordre ? murmura Estéban.

— Je l’ignore. Une autre pensée venait bien souvent à la traverse de celle-ci dans l’esprit de madame Éliane : la pensée de son fils. Si elle a capitulé si vite, si elle a demandé seulement les heures de cette nuit avant d’ouvrir les portes du château aux gens du roi, c’est qu’elle craignait pour son fils, arrivant seul et cherchant à percer les lignes ennemies. Elle est payée pour craindre et pour savoir que rien ne coûte à l’avide ambition de ses adversaires. À Paris, au moment où elle est tombée dans le piège que lui tendaient le conseiller Renaud et M. le baron de Gondrin, elle se croyait sauvée, elle se croyait victorieuse ; elle avait pris ses mesures pour rappeler auprès d’elle ce fils qu’elle se sentait capable de protéger désormais. Sa plus cruelle frayeur est, maintenant, de l’avoir désigné aux coups des assassins.

Pendant que Mélise parlait, on avait monté l’escalier tournant qui conduisait à une porte communiquant avec le corridor principal du premier étage. Le corridor était désert. Le vent du dehors gémissant dans les jointures des hautes fenêtres, agitait le lumignon qui l’éclairait. Mélise s’arrêta devant une draperie fermée et dit à Roger :

— Monsieur le comte, vous allez voir votre mère et votre sœur.

Elle s’effaça pour lui livrer passage.

Un mot vint jusqu’aux lèvres de Roger, qui était très pâle ; mais il resta muet, souleva la draperie et entra. L’instant d’après, on entendit derrière la porte refermée un grand cri de joie.

Deux larmes jaillirent des yeux de Mélise qui murmura :

— Il ne m’a rien dit… pas un mot !

Le More lui toucha le bras.

— À nous deux, ma fille, prononça-t-il tout bas. Souvenez-vous de ce que vous m’avez promis.

— Suivez-moi, seigneur, répondit Mélise qui essuya ses beaux yeux et releva la tête vaillamment.

Avant d’obéir, le More se tourna vers Gaëtan qui restait muet depuis l’entrée au château.

— Vous, chevalier, dit-il, votre rôle n’est pas encore commencé. Vous serez l’homme de la dernière heure. En attendant, s’il vous plaît, l’épée à la main, et soyez sentinelle. Nul ne doit franchir cette porte.

Il montrait la draperie derrière laquelle venait de disparaître Roger.

— Tant que je serai debout, répliqua Gaëtan, nul ne la franchira.

Le More lui serra la main et s’éloigna, précédé de Mélise, qui avait adressé au chevalier un amical et mélancolique sourire.

— De par Dieu ! pensa Gaëtan, j’aime déjà ce Roger, mon ami d’une nuit, de tout mon cœur, mais s’il oubliait ces beaux yeux-là dans sa fortune nouvelle, ce serait à croiser l’épée contre lui pour lui rendre la mémoire !

Il était seul désormais dans la galerie.

Le More et sa gentille compagne n’avaient pas été bien loin. Ils s’étaient arrêtés à la porte la plus voisine de la draperie. Mélise l’avait ouverte, puis refermée à clef sur son compagnon introduit.

Une fois entrés, tous doux se trouvèrent dans une sorte d’antichambre obscure où pénétraient les lueurs d’une lampe allumée dans une pièce voisine et plus vaste. La cloison de cette antichambre, du côté droit, était mitoyenne avec l’oratoire de la comtesse, où Roger venait d’entrer.

Au centre de cette cloison se trouvait une porte, fermée en dedans, à l’aide d’un verrou. Les fentes de cette porte laissaient voir la lumière brillante qui éclairait l’oratoire où madame Éliane, Pola et Roger ou plutôt Renaud de Guezevern-Pardaillan étaient réunis.

Les sons passaient comme la lumière.

Aussi le premier mot de Mélise fut :

— Parlez très bas, si vous ne voulez point que votre présence soit connue.

Le More montra du doigt la chambre ouverte, l’autre chambre qui était éclairée par une seule lampe, et prononça très bas, en effet :

— C’est là ?

— C’est là, répéta Mélise.

Il y avait sur le visage de don Estéban une profonde et douloureuse émotion.

Mélise reprit :

— Seigneur, je vous ai introduit ici parce que j’ai en vous une confiance dont je ne saurais point donner l’explication, mais qui est sans bornes. Autrefois, quand j’étais heureuse, j’aurais risqué mon bonheur pour le salut de ma bienfaitrice ; maintenant je n’espère plus, et si je ne suis pas encore morte, c’est que madame la comtesse et ses deux enfants ont encore besoin de moi. Avez-vous des ordres à me donner ?

Estéban lui tendit la main et l’attira jusqu’à lui.

Je ne vous ai jamais rien dit, en effet, Mélise, murmura-t-il, qui ait pu produire en vous cette confiance extraordinaire. Hier encore, j’étais l’ennemi de celle que vous aimez, et je suis loin d’affirmer que je sois aujourd’hui son ami, mais Dieu a donné aux cœurs dévoués comme le vôtre un sens de divination. Quelque chose vous a révélé la nature de mon secret…

— Peut-être, l’interrompit la jeune fille.

Elle sentit son bras serré fortement par la main du More.

— Êtes-vous quelquefois entrée dans cette chambre ? demanda-t-il en montrant du doigt la porte ouverte.

— Jamais ! répondit-elle. Je suis venue souvent jusqu’ici. J’ai fait plus, j’ai prêté l’oreille.

— Et qu’avez-vous entendu ?

— Rien.

— La pensée d’en franchir le seuil ne vous est pas venue ?

— Si fait… mais c’eût été désobéir aux ordres de madame Éliane.

Estéban pencha ses lèvres au-dessus du front de Mélise et y mit un baiser. Mélise ajouta, parlant si bas qu’il eut peine à l’entendre :

— Je vous ai vu plus d’une fois en rêve, à côté de mon Roger et vos sourires se ressemblaient.

Il y eut un silence, pendant lequel on put ouïr les voix de madame Éliane et de ses deux enfants, réunis dans l’oratoire voisin. La lèvre du More était froide et tremblait.

— Votre père, Mélise, demanda-t-il encore, en sait-il plus long que vous ?

— Mon père, répondit la jeune fille, n’a jamais pénétré jusqu’ici.

— Et quelle idée vous êtes-vous formée de cette chambre mystérieuse ?

Mélise hésita.

— Elle doit contenir un mensonge, répliqua-t-elle enfin, puisque le conseiller Renaud de Saint-Venant et Mathieu Barnabi, le médecin, sont maîtres du secret. Mais, sur mon salut éternel, madame Éliane est une sainte ! — Ma fille, dit le More qui se redressa, vous m’avez servi et vous serez récompensée. Ne désespérez point. Cette nuit, notre sort à tous se joue, et le soleil de demain éclairera des choses auxquelles nul ne s’attend. Peut-être échangeons-nous ici de suprêmes paroles, peut-être ne me reverrez-vous plus en ce monde…

— Que voulez-vous dire, seigneur ? l’interrompit Mélise effrayée.

— Quoi qu’il arrive, prononça lentement le More au lieu de répondre, ne craignez rien pour madame la comtesse de Pardaillan. Il y eut en tout ceci un premier coupable qui a bien souffert déjà, mais qui, sans doute, ne souffrit point encore assez. Celui-là seul sera puni. Allez en paix, ma fille, vous ne pouvez plus rien désormais. Souvenez-vous de moi, et priez pour moi, quand vous serez la femme du comte de Pardaillan.

Mélise resta un instant sans voix ni souffle. Puis, d’un mouvement rapide, et avant que don Estéban pût la prévenir, elle prit sa main et la baisa.

— J’ai foi en vous, dit-elle, même quand vous promettez l’impossible.

L’instant d’après, le More était seul.

Il resta une minute les bras croisés sur la poitrine.

La voix de la comtesse, qui fut entendue dans le silence, le fit violemment tressaillir.

La comtesse disait :

— Mes enfants ! mes enfants !

Et il y eut un bruit de baisers.

La tête d’Estéban s’inclina.

— Je suis ici pour épier, pensa-t-il, pour savoir ! le doute est mon martyre. J’écoute, je regarde. Il m’est arrivé de voir le mal, puis le bien. Le doute est resté : cruel supplice ! Pendant ce long, pendant ce terrible voyage, que de craintes et que d’espoirs ! Et chose étrange ! dans la réalité, rien ! rien de ce que je craignais ! rien de ce que j’espérais ! J’avais peur de la pauvreté pour elle, elle est plus riche qu’une reine, j’avais espoir d’un deuil reconnaissant et fidèle, elle a oublié. Quand j’ai vu cela, quand j’ai vu la femme ambitieuse, ressuscitant son mari mort pour acquérir, puis pour conserver un immense héritage, mon cœur s’est soulevé. Un instant, j’ai cru voir un crime, mêlé à ce froid calcul. Mon indignation n’a pas augmenté. Le crime n’existait pas : que m’importe ? Pour moi le crime n’était pas là : le crime, c’est le calcul et son effrayante froideur…

— Quoique vous puissiez voir, quoique vous appreniez demain, car c’est demain, disait en ce moment madame Éliane, c’est aujourd’hui, hélas ! c’est dans quelques heures, oh ! mes enfants, n’accusez jamais votre mère ! Tout ce que votre mère a fait, c’était pour vous !

Le More eut un rire amer.

— Ses enfants ! murmura-t-il. Ses enfants ! Rien, rien pour l’amour de sa jeunesse ! Les enfants toujours, moi jamais !

Il s’interrompit et se demanda :

— Suis-je aussi jaloux de ses enfants, à présent ?

— Mère, dit Pola comme si elle eût arrêté une parole suspendue aux lèvres de madame Éliane, nous ne voulons pas que tu te justifies devant nous !

Estéban prêtait l’oreille, il attendait la voix de Roger.

Roger était chargé de savoir. C’était lui-même, le More, qui avait dit à Roger : « Rapportez-moi la vérité si vous voulez être heureux. »

La voix de Roger s’éleva :

— Madame, dit-il, ma mère adorée et respectée, si vous essayez de vous défendre, je vous fermerai la bouche avec mes baisers.

Les deux mains d’Estéban se tendirent, tremblantes vers la cloison.

— Bien, enfant ! murmura-t-il. Tu viens de parler comme un gentilhomme !

Pola s’écria :

— Mon frère, merci ! Oh ! comme je vais t’aimer !

Une larme coula sur la joue basanée du More.

Il se laissa tomber, faible, dans un fauteuil.

— Qu’ai-je fait ? pensa-t-il, tandis que sa main fiévreuse tourmentait son front. J’ai été dans le premier moment, un juge sévère, implacable ! J’ai cru à tout, même aux calomnies de mes plus mortels ennemis ! et j’ai servi leurs desseins ! et je me suis fait leur complice ! J’éprouvais une volupté terrible à me venger. De quoi ? à frapper, qui ? moi-même !

Car elle est mon cœur ! reprit il en se couvrant le visage de ses mains. Je me suis conduit comme si je haïssais. Fou, misérable fou ! Et j’aime, j’aime passionnément ! d’un amour rajeuni par l’absence, et plus ardent, oui, plus ardent mille fois qu’aux jours du bonheur !

Il se leva et marcha doucement vers la cloison qui le séparait de l’oratoire.

— Soyez bénis tous deux, disait en ce moment Éliane, mon fils et ma fille ! Roger, tu as le regard franc et vaillant de ton père ; s’il t’entendait, ton père t’approuverait, car j’étais une femme heureuse et bien-aimée !

Estéban mit son œil à la fente de la cloison.

Il vit un tableau triste, mais charmant. La lumière des lampes éclairait vivement un groupe, placé juste en face de lui : Éliane, assise dans un fauteuil, devant son prie-Dieu : Roger et sa sœur agenouillés à ses pieds, les mains dans ses mains et réunissant sous son regard leurs deux têtes souriantes : car la jeunesse s’obstine dans l’espoir, et ils étaient tout entiers à la félicité de l’heure présente.

Madame Éliane, au contraire, avait au front une pâleur désolée, ses yeux étaient fatigués de pleurer, mais comment dire cela ? Au-dessus de sa détresse surnageait une immense joie.

Toute son âme était dans ses yeux, reposés avec une sorte d’extase sur son fils et sur sa fille.

Elle portait une robe de velours noir qui faisait ressortir la neigeuse blancheur de ses épaules, sur lesquelles tombaient en désordre les masses opulentes de sa chevelure.

Elle était belle à un point qui ne se peut dire : belle de tout son désespoir et de toute son allégresse.

Estéban la regarda longuement et, tandis qu’il la regardait son souffle s’embarrassait dans sa poitrine.

— J’étais une femme heureuse et bien-aimée ! répéta-t-il en lui-même. Elle a dit cela : que cela soit son salut !

Éliane en cet instant ouvrait la bouche pour parler. Le More se rejeta en arrière.

— Je ne veux rien savoir davantage, ajouta-t-il en s’éloignant. Si elle a péché, c’est affaire à Dieu de la juger. Moi, voici quinze ans, j’ai écrit, j’ai signé vis-à-vis d’elle la promesse de me tuer. J’ai manqué à ma promesse, et, au lieu de lui venir en aide, j’ai aiguisé l’arme qui la devait frapper. Elle a dit cela : « J’étais une femme heureuse et bien-aimée. » Mon devoir est tracé ; après quinze ans, je ferai honneur à mon seing, et ma mort lui sera plus profitable que ma vie !

Il entra d’un pas résolu dans la chambre ouverte, désignée par Mélise, et d’où sortait une pâle lueur.

Mais à peine fut-il sur le seuil qu’il recula, pris d’un serrement de cœur.

Cette chambre était un tombeau. Les murailles tendues de noir absorbaient les rayons faibles de la lampe, posée sur une sorte d’autel où était un christ d’ivoire, soutenu par une croix d’ébène. L’ameublement ressemblait aux tentures. Dans l’alcôve qui faisait face à la porte par où s’introduisait Estéban, il y avait deux lits : l’un vide et dont la couverture faite attendait son hôte habituel, l’autre contenant un corps dont le visage était couvert d’un voile noir.

L’émotion d’Estéban se glaça devant cet aspect. Un froid sourire vint à sa lèvre, tandis qu’il murmurait :

— Deuil fastueux et menteur. Une douleur sincère aurait-elle dormi quinze ans côte à côte avec cette supercherie ?

Il entra. Désormais, sa figure était sombre et dure. Il traversa la chambre d’un pas lent, et s’arrêta entre les deux lits.

— Que peut-elle dire à Dieu ? pensa-t-il en passant devant le crucifix.

Puis, regardant le corps couché, il ajouta :

— Me voici donc ! voici Pol de Guezevern arrivé au comble de ses vœux et devenu comte de Pardaillan ! Misère humaine ! j’ai passé ma jeunesse entière, ma jeunesse heureuse à souhaiter ce titre et ce nom… Mais, voyons, suis-je un simple mannequin ou suis-je un vrai cadavre ?

Il se pencha au-dessus du lit ; la lampe n’envoyait au masque noir qui sortait des couvertures que de vagues et insuffisants reflets. Aucun trait saillant ne repoussait la soie plate du voile. Estéban hésita, puis, avec une sorte d’horreur, il toucha le masque. Il sentit sous la soie quelque chose de rugueux et de dur qui n’était point un visage.

— Un mannequin ! dit-il. Une tromperie aussi effrontée que lugubre !

Il fit un pas pour s’éloigner ; mais il se ravisa et souleva le drap d’une main frémissante.

La parole s’arrêta dans sa gorge, et le sang se retira de son cœur. Quand ses lèvres s’agitèrent enfin, il exhala ces mots comme une plainte :

— Et c’est elle qui a fait cela ! Le corps d’un homme ! Qui est cet homme ?

Sa main, qui tremblait violemment, arracha le masque ; il demeura frappé de stupeur à la vue de l’effroyable mutilation opérée autrefois par le recruteur don Ramon. Le voile retomba, la couverture fut replacée et le More répéta, sans savoir qu’il parlait :

— Qui est cet homme ?

En ce moment, un bruit soudain se fit entendre dans l’oratoire où parlait une voix qui n’appartenait ni à la comtesse Éliane, ni à Roger, ni à Pola.

L’oratoire, de même que la première chambre où Estéban et Mélise s’étaient d’abord introduits, communiquait avec le réduit en deuil, qui avait en outre une troisième porte, ouverte entre les deux lits, au fond de l’alcôve.

Estéban, réveillé de cette sorte de torpeur où l’avait plongé ce qu’il venait de voir, s’élança vers l’issue qui donnait sur l’oratoire, mais cette issue, recouverte par une draperie noire comme tout le reste de l’appartement, était hermétiquement close. Son regard ne trouva aucune fissure par où se glisser.

Il repassa le seuil et revint dans la chambre d’entrée dont la cloison nue était en quelque sorte percée à jour.

Son premier regard lui montra la scène bien changée.

Pola de Pardaillan et son frère avaient quitté l’oratoire. La comtesse Éliane était seule avec un homme dont la vue mit un éclair dans l’œil d’Estéban.

C’était le rôdeur nocturne, le passant au manteau de couleur sombre, rencontré naguère dans l’unique rue du hameau de Pardaillan, l’homme qui avait essayé de se cacher dans l’ombre d’une porte, lors du passage de nos trois cavaliers et à qui le More avait dit :

— Bonsoir, monsieur le conseiller.

C’était l’ancien écuyer de madame la duchesse de Vendôme, le doux, le rose Renaud de Saint-Venant.