Le Maître d’École sous l’ancien régime

Le Maître d’École sous l’ancien régime
Revue pédagogique, premier semestre 190648 (p. 339-354).

Le Maître d’École
sous l’ancien régime.


Depuis une vingtaine d’années, de nombreux auteurs ont pris à tâche de retracer l’histoire de l’enseignement primaire dans nos anciennes provinces. Grâce à leurs recherches, on peut se rendre compte de l’état général de l’instruction populaire sous l’ancien régime. Cependant, malgré l’abondance des matériaux, on n’a pas encore tenté, croyons-nous, d’écrire une monographie un peu complète du maître d’école d’autrefois. Ce silence tient sans doute aux conditions essentiellement variables de l’existence de nos devanciers, conditions nées de l’absence d’unité de direction dans l’organisation de l’enseignement. Ici, le maître d’école dépendait de l’autorité civile, là de l’autorité ecclésiastique, ailleurs de l’abbaye ou du principal seigneur du lieu. Dans telle province, il vivait assez facilement grâce aux nombreuses gratifications dont il bénéficiait par l’usage ; dans telle autre, il végétait. Une pareille diversité était bien faite pour rebuter au premier abord ceux qui ont la douce habitude de tout renfermer en quelques formules.

En pareil sujet, l’écueil était de généraliser sans avoir réuni le plus grand nombre de documents possibles, Qu’on ne s’étonne donc pas de voir les citations s’accumuler dans les pages qui vont suivre : cette méthode était la seule rationnelle, la seule qui permit de faire revivre, d’une façon à peu près exacte, la physionomie originale du maître d’école sous l’ancien régime.

Maître d’école et instituteur. — Le mot d’instituteur, par lequel la loi désigne aujourd’hui les maîtres des écoles primaires, dérive de celui d’institution, autrefois synonyme d’éducation. Un chapitre des Essais de Montaigne est intitulé : De l’institution des enfants. Rabelais nous raconte « comment Gargantua fut institué par un sophiste ès lettres latines… » Descartes dira, au xviie siècle : « La bonne institution sert beaucoup pour corriger les défauts de la naissance ». Et La Chalotais au xviiie : « Si l’humanité est susceptible d’un certain point de perfection, c’est par l’institution qu’elle peut y arriver ».

C’est seulement depuis la Révolution que le mot d’instituteur est devenu officiel. Il ne pouvait l’être plus tôt : car le maître de jadis n’était pas réellement un éducateur, au sens pédagogique du mot. Son rôle se bornait à enseigner machinalement le catéchisme, la civilité, la lecture, l’écriture, un peu de calcul. L’explication du catéchisme, d’où l’éducation morale était censée découler, revenait au prêtre. La partie la plus noble comme la plus délicate de nos fonctions lui échappait. Aussi le désignait-on communément par les termes de maître d’école ou de magister, de régent, de recteur, d’écrivain ou de clerc. Encore ce dernier mot se rapportait-il surtout à ses fonctions à l’église paroissiale ; cela est si vrai que le xixe siècle ayant dédoublé l’instituteur-sacristain, le nom de clerc, en Normandie, est resté pour désigner l’employé du culte. La mention de clerc sur les anciens registres des fabriques n’implique donc pas nécessairement l’existence d’une école dans le village ; elle peut se rapporter exclusivement à des fonctions de chantre ou de sonneur de cloches.

Le Nord, et plus spécialement la Flandre, les diocèses de Reims et de Saint-Quentin, avaient leurs coutres, coustres ou custodes. Dans son Histoire de Roubaix, M. Leuridan donne la liste des coutres de cette ville depuis le milieu du xve siècle ; ils étaient chargés d’instruire la jeunesse et jouissaient d’une maison dite de la coutrerie sur un fonds appartenant à l’église, comme en Normandie les clercs jouissaient de la maison cléricale, ailleurs les régents ou recteurs de la maison rectorale.

Pour la première fois, nous rencontrons le mot d’instituteur dans les statuts synodaux publiés en 1697 par l’évêque d’Amiens : « Nous défendons à toutes personnes de remplir les fonctions d’instituteurs ou d’institutrices sans que nous les ayons examinées sur leur religion, leurs mœurs et leur capacité ». Condorcet lui donna entrée dans la langue officielle par son Rapport à l’Assemblée Législative des 20-21 avril 1792. Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/351 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/352 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/353 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/354 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/355 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/356 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/357 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/358 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/359 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/360 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/361 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/362 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/363 ces déclarations demeurèrent lettre morte[1]. De 1750 à 1765, à quatre reprises, le clergé revint à la charge et réclama l’application exacte des deux déclarations royales. Le roi répondit par de vagues promesses : en 1750, « je ferai examiner la demande du clergé ». En 1755, « Sa Majesté prendra les mesures qu’elle estimera les plus convenables pour y pourvoir ». En 1760, « le roi ordonnera pour cet article les ordres qu’il jugera nécessaires ». En 1765, « je favoriserai toujours l’instruction publique, et je me ferai un devoir de confirmer les établissements utiles qui se formeront par des contributions volontaires[2] ». Les habitants ne devaient donc compter que sur eux-mêmes pour assurer le traitement de leur maître d’école.

Là encore nous allons observer la plus grande diversité d’une province à l’autre. Le plus souvent, le maître était logé par la communauté, ou recevait une indemnité représentative de logement. Ses appointements comportaient : un traitement fixe payé par la communauté, les droits d’écolage payés par les parents des élèves, le casuel de l’église et divers revenus accessoires.

S’il cumulait les revenus, le maître cumulait aussi les fonctions, et l’examen de son budget nous initiera en même temps à ses multiples occupations journalières.

Traitement fixe. — Le traitement fixe était généralement déterminé par le conseil des paroissiens, et prélevé sur le Trésor de la fabrique, alors le seul budget communal. Son montant variait très sensiblement d’une paroisse à l’autre. En Haute-Normandie, il excédait rarement 200 l. par an, soit environ 500 francs de notre monnaie[3]. Parfois, au lieu d’être payé par la fabrique, le traitement fixe était prélevé sur les paroissiens à raison de tant par feu, ou, ce qui était plus équitable, à raison de tant par acre de terre, ou encore au marc la livre de la taille royale.

Une coutume analogue existait en Bourgogne. M. Charmasse cite des paroisses où l’on payait 40 sous par laboureur et 20 sous par manouvrier, ou 1 l. 10 s. par laboureur et 10 s. par veuve Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/462 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/463 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/464 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/465 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/466 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/467 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/468 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/469 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/470 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/471 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/472 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/473 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/474 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/475 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/476 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/477 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/478

« On les regarde {les maîtres d’école) comme de vils mercenaires auxquels chaque communauté donne un gage comme au dernier des valets… Quoique vivant très sobrement, ils ont à peine leur subsistance. Ils n’ont aucune part des biens communaux et ne jouissent d’aucuns privilèges locaux. Ils sont regardés comme des étrangers et non comme des citoyens et n’ont point entrée aux assemblées des communes. Comme gens errants et sans aveu, ils n’y ont aucune voix délibérative[4]… »

L’égalité civile et politique, la Révolution nous l’a donnée comme à tous les autres citoyens. En même temps, elle a fait de l’instituteur un homme nouveau. En lui confiant la première éducation du futur citoyen, le législateur lui a imposé de lourdes responsabilités ; aussi l’a-t-il émancipé de la domination jalouse de l’Église pour le prendre sous sa protection. Il a relevé sa dignité morale au niveau de son rôle social. Ce dernier progrès, on le sait, restera l’honneur de la troisième République.

A. Lechevalier.
Instituteur à Cuverville-en-Caux.



  1. En 1722, Bossuet, évêque de Troyes, ordonne à tous les curés de faire en sorte qu’il y ait, dans chaque paroisse, même les succursales, un maître d’école ; d’exhorter les paroissiens et de solliciter la charité et la piété des seigneurs à contribuer à cette bonne œuvre qui les intéresse presque tous également. (Statuts synodaux pour le diocèse de Troyes, éd. 1729, statuts de 1722, p. 169.)
  2. Collection des procès-verbaux des assemblées du clergé de France, t. VIII, pièces justificatives, p. 74, 202, 203, 204, 306 et 488.
  3. L’Inventaire des Archives de la Seine-Inférieure fournit de nombreux exemples à l’appui : Ambourville, 1701, le clerc se contente de la somme de 19 l. 13 s. « à la considération que M. le curé s’est bien voulu donner la peine de luy enseigner le latin et lui donner sa nourriture » ; en 1786, le clerc reçoit 120 l, mais il paye 30 l. pour la maison qu’il occupera. — Ancretteville-sur-Mer, 1787, 120 l. par an, — Angerville-la-Martel, 1786, 130 l. par an. — Anglesqueville-la-Bras-Long, 1770, le curé dispose de 200 l. pour un clerc ou un vicaire qui tiendra les petites écoles. — Anquetierville, 1691, le trésor paye 33 l. par an. — Beaunay, 1680, 40 l. — Saint-Pierre-Bénouville, 1680, 50 l. ; en 1739, 30 l. — Betteville, 1767, 40 l. — Beuzeville-la-Grenier, 1762, 42 l. — Ecretteville-les-Baons, 1623, 16 l. — Saint-Martin-d’Ernemont, 30 l. — Grémonville, 1712, 50 l. ; en 1759, 200 l. — Hautot-Saint-Sulpice, 1773, 96 l. — Martainville-sur-Ry, 1779, 48 l., plus 31 l. pour faire le catéchisme le samedi, la prière matin et soir. — Montroty, 1763, 53 l. 2 s. — Ourville, 1693, 50 l. — Petit-Quevilly, 1626, 60 l. — Pommeréval, 1752, 50 l. — Préaux, 1762, 50 l. — Raimbertot, 1787, 40 l., etc.
  4. À citer dans le même sens ce témoignage du subdéléyué de Bourmont (1779) : « Les habitants de la campagne regardent les maîtres d’école comme des espèces de valets à gages et ils n’ont pour eux presque aucun égard. » (Schmidt, ouvrage cité, p. 23.)