Le Livre pour toi/J’ai traversé cette plaine



LXXXV


J’ai traversé cette plaine, à la fois aride et fertile, où le mistral fait pencher les saules et les mûriers, mais l’heure est venue de la quitter.

J’ai vu des villes aux remparts de pierre et des huttes de chaume, dans l’île que les chevaux sauvages parcourent en liberté.

J’ai vu, le soir, des fermes plates blotties dans le silence et, sous la lune, c’étaient des paysages d’argent qui dormaient.

J’ai vu des fenêtres d’or où luisait la lampe familière et j’ai passé.

Que mes pieds soient las, il n’importe, je dois errer.

Mais, comme les maîtres tout-puissants de l’empire voyageaient avec leurs richesses, j’ai emporté la statue que j’adore, et malgré la fatigue des routes, mes mains gardent ce fardeau précieux.

Aux carrefours où je m’arrête, elle se dresse, plus belle toujours, sur l’autel blanc du souvenir et pieusement, à ses pieds, vont expirer les fleurs rustiques et les humbles rameaux, que je moissonne en cheminant.