Le Folk-lore de l’Île-Maurice/Histoire de Petit-Jean Queue-de-Bœuf

Maisonneuve et Cie, éditeurs (Les Littératures populaires, tome XXVII) ((Texte créole et traduction française)p. 34-43).


IV

HISTOIRE
DE PETIT-JEAN QUEUE-DE-BŒUF


Séparateur




Il y avait une fois un petit garçon qui se nommait Petit-Jean.

Un jour qu’il était allé jouer, il trouva en jouant une sauterelle. Il dit à son père :

— Papa, papa, voyez cette sauterelle que j’ai trouvée pendant que je jouais.

Son père prend la sauterelle et lui donne une flèche.

Petit-Jean s’en va. Il rencontre sa mère et lui dit :

— Maman, maman ! regarde la flèche que j’ai eue avec papa, papa qui a pris ma sauterelle, une sauterelle que j’ai trouvée pendant que je jouais.

Sa mère prend la flèche et lui donne un coco.

Petit-Jean s’en va. Il arrive au bord de la rivière et rencontre une négresse qui buvait dans le creux de sa main. Il lui dit :

— Négresse, négresse ! Que tu es bête de boire dans ta main ! Voilà un coco ; casse-le et mange. Tu auras la noix pour puiser de l’eau.

La négresse prend le coco, le casse et le mange. Petit-Jean se met à pleurer et dit à la négresse :

— Négresse, négresse ! je ne sais pas ça ! Rends-moi mon coco, le coco que j’ai eu avec maman, maman qui a pris ma flèche, la flèche que j’ai eue avec papa, papa qui a pris ma sauterelle, une sauterelle que j’ai trouvée pendant que je jouais.

La négresse lui donne une poignée de lentilles.

Petit-Jean s’en va. Il arrive sur le grand chemin, il rencontre un pigeon qui mangeait de petites roches par terre, il lui dit :

— Pigeon, pigeon ! que tu es bête de manger de petites roches sur le grand chemin ! Voilà des lentilles, mange.

Il sème les lentilles devant le pigeon, le pigeon mange. Petit-Jean se met à pleurer et dit au pigeon :

— Pigeon ! pigeon ! je ne sais pas ça ! Rends-moi mes lentilles, les lentilles que j’ai eues avec la négresse, la négresse qui a pris mon coco, le coco que j’ai eu avec maman, maman qui a pris ma flèche, la flèche que j’ai eue avec papa, papa qui a pris ma sauterelle, une sauterelle que j’ai trouvée pendant que je jouais.

Le pigeon lui donne une plume.

Petit-Jean s’en va. Il arrive près de l’école et rencontre un écolier en train d’écrire sur son papier avec un petit morceau de bois ; il lui dit :

— Écolier, écolier ! comme tu es bête d’écrire sur ton papier avec un petit morceau de bois ! Voilà une plume, taille-la, fais ton devoir.

L’écolier prend la plume, la taille et fait son devoir. Petit-Jean se met à pleurer et dit à l’écolier :

— Écolier, écolier ! je ne sais pas ça ! Rends-moi ma plume, la plume que j’ai eue avec le pigeon, le pigeon qui a pris mes lentilles, les lentilles que j’ai eues avec la négresse, la négresse qui a pris mon coco, le coco que j’ai eu avec maman, maman qui a pris ma flèche, la flèche que j’ai eue avec papa, papa qui a pris ma sauterelle, une sauterelle que j’ai trouvée pendant que je jouais.

L’écolier lui donne un vieux cahier.

Petit-Jean s’en va. Il arrive devant une forge et voit le forgeron qui allumait son feu avec de la paille mouillée ; il lui dit :

— Forgeron, forgeron ! comme tu es bête d’allumer ton feu avec de la paille mouillée ! Voilà du papier sec, prends-le, allume ton feu.

Le forgeron prend le papier et allume son feu. Petit-Jean se met à pleurer et dit au forgeron :

— Forgeron, forgeron ! je ne sais pas ça ! Rends-moi mon papier, le papier que j’ai eu avec l’écolier, l’écolier qui a pris ma plume, la plume que j’ai eue avec le pigeon, le pigeon qui a pris mes lentilles, les lentilles que j’ai eues avec la négresse, la négresse qui a pris mon coco, le coco que j’ai eu avec maman, maman qui a pris ma flèche, la flèche que j’ai eue avec papa, papa qui a pris ma sauterelle, une sauterelle que j’ai trouvée pendant que je jouais.

Le forgeron lui donne une queue de bœuf.

Petit-Jean s’en va. Il arrive au bord de la mer ; il enterre la queue de bœuf dans le sable et en laisse un petit bout dehors. Il court à la maison du roi, se met à pleurer et lui dit :

— Mon roi, mon roi, donne-moi cinquante hommes pour que j’aille retirer mon bœuf qui s’est enterré dans le sable, mais qui a encore le bout de la queue dehors.

Le roi lui donne les cinquante hommes. Ils arrivent au bord de la mer et tirent sur la queue de bœuf, la queue de bœuf sort.

Petit-Jean retourne chez le roi, il se met à pleurer et dit :

— Mon roi, mon roi ! ces gens-là ont cassé la queue de mon bœuf ; mon bœuf est allé au fin fond du sable, mon bœuf est perdu !

Ce roi-là avait bon cœur : il fait présent d’une vache à Petit-Jean.

Ce jour-là, ce fut la dernière fois qu’au pays de Maurice je vis une sauterelle se changer en vache. [1]


  1. Notre portefeuille contient quatre contes coulés dans ce moule, et deux ou trois versions de chacun d’eux. Nous savons de plus qu’il existe plusieurs autres zistoires de la même facture.
    C’est donc une forme dont nous devons tenir compte. Lindor n’a cependant pas inventé le procédé ; les scies d’atelier sont plus vieilles encore que lui :

    Quand les poules vont aux champs,
    La première va par devant,
    La seconde suit la première,

    et tout le poulailler défile ; plus il est nombreux, plus la chose est spirituelle.

    Nous avons choisi pour spécimen du groupe : « Ptit Zean laquée beif, » dont le dénoûment du moins a quelque originalité, bien que ce dénoûment lui-même soit non une invention, mais une adaptation du conteur noir.