Le Folk-lore de l’Île-Maurice/Histoire de Petit-Jean

Maisonneuve et Cie, éditeurs (Les Littératures populaires, tome XXVII) ((Texte créole et traduction française)p. 146-153).

XIII

HISTOIRE DE PETIT JEAN

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Il y avait une demoiselle qui n’avait jamais voulu se marier. Il y avait un monsieur qui portait une plaque d’or au bas des reins pour cacher sa queue. Un jour il vint voir la demoiselle dans un superbe carrosse. La mère de la jeune fille lui demanda : « Qu’en dis-tu ? ma fille. — Eh bien ! c’est avec lui seul que je veux me marier. » On fit les noces et les mariés partirent.

Petit Jean voulut suivre sa sœur ; sa sœur lui dit : « Pourquoi veux-tu me suivre ? Est-ce un galeux comme toi qui montera dans ma voiture ? » Le nouveau marié, qui était un loup, dit à sa femme : « Laissez donc venir Petit Jean. « 

Quand on fut arrivé à la maison du loup, on fit à dîner pour Madame ; Monsieur alla dehors rejoindre ses amis.

Tous les soirs les amis venaient et disaient : « Mangeons ta femme ! mangeons ta femme ! — Laissez-la engraisser ! laissez-la engraisser ! » Petit Jean entendait tout leur tapage ; la gale l’empêchait de dormir et il passait les nuits à se gratter.

Un jour il dit à sa sœur : « Mais, ma sœur, avec qui vous êtes-vous mariée là ? Avec un loup qui vous mangera ! » La femme répondit : « Eh toi ! comment oses-tu parler ainsi ? » Alors Petit Jean lui dit : « Laisse-moi attacher une ficelle au bout de ton pied. Quand les loups danseront, je tirerai dessus, et tu écouteras. »

Le soir, les loups viennent danser. Petit Jean tire sur la ficelle. Madame s’assied et elle entend : « Mangeons-la ! mangeons-la ! — Laissez-la engraisser ! laissez-la engraisser ! » Madame eut grand peur.

Le lendemain elle dit : « Ah ! mon frère ! comment ferai-je pour retourner chez maman ? » Petit Jean lui répondit : « Tu m’as appelé galeux ! moi, je m’en vais chez nous ; pour toi, débrouille-toi. — Ah ! mon frère ! ne me laisse pas ici ! emmène-moi à la maison ! »

Voilà Petit Jean qui fait un panier. Le panier fini, il dit à son beau-frère : « Amusons-nous ! faisons un petit jeu. Mets dans le panier toutes sortes de bonnes choses : de bon manger, de bon poulet, de bon pain, de bon boire, de bon vin, de bonne liqueur, avec des couverts, de l’or, de l’argent, tout ce qu’il y a dans la maison. » Le loup aimait à rire : il remplit le panier. Petit Jean dit au loup : « Entre dans le panier avec ma sœur. » Le loup entre et Petit Jean se met à chanter : « Monte, panier ! Va chez maman ! Va chez papa ! » Le panier monte. Rendu en l’air le loup a peur et crie : « Petit Jean ! j’ai le vertige ! fais descendre le panier ! » Petit Jean, qui était resté en bas tenait le bout d’une corde attachée au panier. Il tire dessus et le panier descend. Puis il dit : « A mon tour d’aller me promener. » Il entre dans le panier près de sa sœur, donne au loup à tenir le bout de la corde et chante : « Monte panier ! monte panier ! va chez maman ! va chez papa ! » Le panier monte. Arrivé là-haut, Petit Jean coupe la corde. Alors le loup de crier : « Descends ! descends ! donne-moi ma femme ! » Mais Petit Jean s’en va.

Le loup les poursuit. Il court, il est furieux : sa queue sort. Il était tout près de chez sa belle-mère quand il s’en aperçoit ; il a honte, et retourne chez lui pour mettre sa queue en ordre sous sa plaque d’or.

Petit Jean est arrivé et raconte toute l’histoire. Le père de la jeune femme leur dit : « Venez, mes enfants ; quand il arrivera tout à l’heure, je l’arrangerai ! »

On dispose une petite case en paille. Le loup arrive et demande : « Mais, est-ce que Petit Jean n’est pas venu ici avec ma femme ? » Le père répond : « Mais non ! pas encore ; du reste, vous pouvez les attendre un peu. Entrez dans cette case : il y a une petite chambre pour vous. Faites comme vous voudrez. » Le loup est fatigué. Il entre, se jette sur le lit, s’endort et ronfle. Alors on met le feu à la case. La tête du loup fait « banme ! »

Le loup mort, ils prennent tout ce qu’il y avait dans le panier.