Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/26

Société des Écrivains Catholiques (p. 97-100).

XXVI.


M. Dessaulles prêche la charité à Mgr de Montréal.


Vous avez, M. Dessaulles, traîné l’Église du Christ dans la boue, et vous avez outragé son auguste Chef, de même que ses ministres sacrés. Mgr de Montréal a défendu la lecture de l’abominable pamphlet que j’ai réfuté et où se trouvent consignées les horreurs que je signale.

Cette manière d’agir du vénérable prélat vous édifie peu, et vous la qualifiez d’injurieuse et de violente. Cela se conçoit jusqu’à un certain point, mais ne prouve pas du tout que vos plaintes ont quelque fondement. Les Pharisiens gémissaient comme vous lorsqu’ils se voyaient acculés dans une impasse.

Vous êtes ainsi faits, vous qui ne savez que vomir de très-grossiers outrages à l’adresse de ce qu’il y a au monde de plus vénérable. Si l’on vous riposte et si l’on tente de mettre un frein à votre désinvolture, de suite vous criez au manque de charité, à la persécution. Vous vous arrogez le droit de tout salir, et vous ne voulez pas qu’on vous dérange dans vos allures. C’est ainsi que vous entendez la charité et la modération. Veuillez, M. Dessaulles, vous rappeler que cette charité et cette modération ne sont pas celles que prêche l’Évangile, qui défend même de saluer les hommes de votre espèce.

Comme le diable a toujours été et sera toujours le grand singe de Dieu, il inspire à ses organes de se couvrir, tant bien que mal, du manteau de la charité et de faire appel à certaines vertus défigurées, afin de recruter des approbateurs et des adeptes. Voilà ce qui explique pourquoi vous feignez d’être victime de la colère de Mgr de Montréal, qui a répondu à vos blasphèmes et à vos sottes injures, en défendant la lecture de votre pamphlet. La charité, bien entendue, exigeait qu’il fit cette défense.

Vous aimez à citer l’Écriture Sainte ; or, voici ce qu’elle dit du mode d’après lequel la correction doit être infligée aux ennemis de la vérité, sur qui la raison semble avoir perdu son empire :

« Flagellum equo, et camus asino et virga in donso imprudentium. » Le fouet est pour le cheval, le mors pour l’âne et la verge pour le dos de l’insensé.

Retenez bien ces paroles : la verge est pour le dos de l’insensé, c’est-à-dire de celui qui outrage la vérité d’une manière coupable ; de douceurs, de caresses, il n’en est pas du tout question. Immédiatement après, le Saint-Esprit ajoute : Ne respondeas stulto juxta stultitiam suam, ne efficiaris ei similis ; responde stulto juxta stultitiam suam, ne sibi sapiens esse videatur : ne répondez pas au fou selon sa folie, de peur que vous ne lui deveniez semblable ; répondez au fou selon sa folie, de peur qu’il ne s’imagine être sage.

Que signifient ces paroles qui semblent un peu contradictoires tout d’abord ? Le voici, d’après les commentaires les plus autorisés : « Lorsque vous aurez à répondre à l’insensé, ne vous abaissez point jusqu’à son niveau, en disant comme lui des choses sottes ; mais que vos réponses soient telles quelles fassent ressortir toute sa folie. Répondez en termes tels qu’il se voie déraisonnable, insensé dans toute la mesure où il l’est : juxta stultitiam suam. »

Vous voudrez bien avouer, M. Dessaulles, qu’il n’y a pas d’autre moyen de mettre en pratique ce qui est ici recommandé que d’appeler les choses par leur nom, dans la langue dont on se sert. Vous n’en voudrez donc pas à Mgr de Montréal ni à moi non plus, parce que nous avons apprécié votre œuvre à sa juste valeur.

« Ah ! Mgr, dites-vous, en vous adressant au vénérable prélat, et en lui reprochant sa manière d’agir à votre égard, Saint Frs. de Sales parlait tout autrement que cela aux âmes pieuses qu’il dirigeait. » Ne vous scandalisez pas pour si peu, brave homme que vous êtes. Les paroles de Saint Frs. de Sales ne prouvent rien dans le cas présent. Vous ne pourrez les invoquer que lorsque vous compterez parmi les âmes pieuses que dirige leur évêque. Lorsque d’impie que vous êtes, vous serez devenu une âme véritablement pieuse, soyez sûr que Mgr de Montréal ne vous dira plus de gros mots, pour la bonne raison que vous ne vous mettrez plus dans le cas de les mériter.

En attendant que cet heureux changement s’opère, je vous prierai de relire votre Saint Frs. de Sales. Vous en conseillez la lecture à Mgr de Montréal. Ce travail ne sera pas sans profit pour vous, et je puis affirmer que c’est vous qui en profiterez davantage, si vous voulez bien être docile à la grâce. Pour Mgr de Montréal, il y a longtemps qu’il connaît Saint Frs. de Sales ; on le devine rien qu’à sa manière d’agir à l’égard de ses persécuteurs.

Parlant des impies, et cela vous regarde tout particulièrement, M. Dessaulles, puisque vous niez l’Église, son infaillibilité et celle du Pape, Saint Frs. de Sales dit : « Il ne faut pas, sous prétexte de fuir le vice de la médisance, favoriser, flatter et nourrir les autres vices. Il faut dire rondement et franchement du mal de ces vices, et blâmer les choses blâmables. Il faut observer, en blâmant le vice, d’épargner le plus que vous pourrez les personnes en qui il se trouve… Mais, j’excepte, entre tous, les ennemis de l’Église et de Dieu, car, quant à ceux-là, il les faut décrier tant qu’on peut. »

Voilà ce que dit Saint Frs. de Sales. Si vous reconnaissez son autorité, lorsqu’il s’adresse aux âmes pieuses, vous devez pareillement la reconnaître quand il s’agit des hérétiques et des impies, parmi lesquels vous comptez.

Vous dites avoir annoté les œuvres de Saint Frs. de Sales. Quelles notes avez-vous mises à propos du texte que je viens de vous citer ? On serait curieux de le savoir et il n’y pas de mal à cela.