Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/17

Société des Écrivains Catholiques (p. 72-74).

XVII.


Élections. — Décrets des Conciles. — Mgr de Rimouski et Mgr Baillargeon.


Vous trouvez mauvais, M. Dessaulles, que les prêtres se mêlent d’élections, comme on dit chez vous, et en parlent en chaire. Soulevant cette question, vous énoncez, contre votre habitude, quelque chose de vrai, mais, la mauvaise nature reprenant son empire, vous tombez de suite dans les exagérations outrées.

Qu’il soit tombé du haut de la chaire, dans le temps des élections, des paroles peu mesurées, imprudentes, parfois inopportunes et même déplacées, tout le monde le conçoit et même l’avoue. Il y a des écrivains, des pamphlétaires, qui devraient prendre le temps de réfléchir, parce que rien ne les presse, et qui donnent dans bien d’autres écarts. Soyez donc indulgent, M. Dessaulles, si vous voulez qu’on le soit pour vous.

Pour remédier aux maux que vous signalez, et ces maux, on les avait vus avant vous, nos conciles provinciaux, qui n’innovent en rien, mais ne font que développer et appliquer aux cas particuliers les règles générales de l’Église, ont formulé d’importants décrets, qui ont été vus et révisés à Rome, et que nous sommes strictement obligés de respecter.

Ces décrets ne disent point que les prêtres ne doivent prendre aucune part à la politique ; c’est le contraire qu’ils affirment. Ils indiquent, de plus, quelles sont les qualités des candidats qu’il convient d’appuyer, de même que les défauts de ceux qu’il faut repousser. Par là même, ils autorisent les prêtres à se prononcer énergiquement en faveur de certains candidats et à mettre les gens en garde contre d’autres. Rien de plus clair. C’est ce que vous n’admettez point cependant. Mais la doctrine, que vous prêchez comme étant celle de l’Évangile, ne l’est pas le moins du monde ; loin de là, elle contredit formellement les enseignements de Jésus-Christ. Si votre doctrine était vraie, le troupeau du Seigneur se trouverait bien à la merci de loups ravissants, et ceux qui ont été chargés de veiller à la conservation de ce troupeau n’auraient pas la faculté de le défendre.

C’est donc à tort, et à grand tort, que vous avancez, à l’appui de votre manière d’envisager les choses, que nombre de conciles et nombre d’évêques ont défendu aux prêtres de surveiller et de diriger les élections. Je vous mets au défi de citer une seule autorité qui vaille, en faveur de vos dires.

Il est bien vrai que vous invoquez l’autorité de Mgr de Rimouski ; mais les paroles du vénérable prélat n’ont pas la signification qu’il vous plaît de leur donner. Mgr de Rimouski ne parle que des cas ordinaires où les candidats politiques, quoique différant d’opinion relativement à des questions d’un intérêt purement local et particulier, professent néanmoins le même respect et le même amour pour les principes qu’a toujours défendus l’Église. Il désire que son clergé ne se prononce alors ni contre l’un ni contre l’autre des candidats, vu que le débat n’intéresse aucunement la religion.

Cette doctrine est celle que tout le monde admet, mais n’est pas du tout celle que vous voudriez faire prévaloir, en la mettant à la charge d’un évêque. Elle en diffère essentiellement.

Il est pour le moins curieux de vous entendre faire grand bruit à propos de l’autorité doctrinale de Mgr de Rimouski, dont vous travestissez gauchement les paroles, lorsque d’autre part vous refusez de recevoir les enseignements des Papes et des conciles généraux. Si Mgr de Rimouski avait le malheur d’être ce que vous dites, c’est-à-dire de partager vos idées anti-chrétiennes il ne serait plus une autorité, car toute autorité enseignante vient du Pape, et celui qui en est revêtu doit redire fidèlement la doctrine de Rome, mère et maîtresse de toutes les Églises.

Vous insistez, de plus, sur ces paroles du défunt archevêque de Québec, Mgr Baillargeon : « Votez d’après votre conscience et non d’après celle d’un autre ; » et vous vous en faites une arme contre les prêtres qui repoussent la candidature de vos pareils et aussi contre les évêques qui défendent la lecture de vos journaux. Les paroles, que vous citez, comme étant de Mgr Baillargeon, ne peuvent réellement signifier que ceci : « Ne vous laissez pas diriger par des aveugles, encore moins par des impies, quand il s’agit de donner votre vote ; mais, si vous n’êtes pas capables de prendre par vous-mêmes une détermination qu’approuvent la raison et la conscience éclairée, consultez vos guides naturels, c’est-à-dire vos prêtres, et, après avoir reçu leurs avis, vous vous formerez une conscience que vous pourrez suivre sans craindre d’offenser Dieu. »

Tel est évidemment le sens de ces quelques mots, qui d’ailleurs n’ont pas besoin d’être expliqués, tant ils sont clairs par eux-mêmes. Mais pour vous, M. Dessaulles, qui saisissez d’autant moins les choses qu’elles sont plus intelligibles, vous faites jaillir de ces mots, en dépit du simple bon sens, tout un monde d’énormités. Il fallait s’y attendre, car vous avez depuis longtemps contracté l’habitude de cette façon d’agir ; c’est ainsi que vous procédiez, lorsque vous dogmatisiez au Pays. Tous vos écrits, soigneusement distillés et passés à l’alambic, ne donneraient pas au récipient, la millième partie d’une once de sens commun.