Société parisienne d’édition (1 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 7-10).

II


Dès le lendemain. Jekyll s’attacha fébrilement à rechercher la solution du fantastique problème qu’il s’était posé. Et, ne donnant plus à son dispensaire que le temps strictement nécessaire, écourtant ses visites à Maud en s’excusant sur ses travaux dont, même à Lanyon, il cachait Jalousement le but, pendant de longues semaines, nuit et jour, entre les vieux grimoires qu’il puisait dans sa bibliothèque et les cornues de son laboratoire, il travailla. Et il composait d’étranges mélanges que, progressivement, il expérimentait sur lui-même. Les uns exerçaient une influence déprimante sur ses facultés intellectuelles, d’autres, au contraire, les aiguisaient, mais aucun encore n’arrivait à réaliser le véritable dédoublement moral qu’il recherchait.

À force, cependant, d’opiniâtre persévérance, il sentit qu’il approchait du but. Il était parvenu à combiner un breuvage sous l’action passagère duquel il percevait et gardait encore le pouvoir d’analyser une sensible transformation de sa personnalité. Il s’acharna à le parfaire, sans négliger en même temps d’en rechercher l’antidote. Plusieurs jours, alors, il ne sortit même plus de son laboratoire, condamnant sa porte, se faisant simplement passer par Jack, le vieux domestique qui l’avait vu naître, quelques aliments dont il faisait, en hâte, ses repas.

Un soir, enfin, de tâtonnements en tâtonnements, il eut devant lui deux éprouvettes pleines chacune d’un liquide de coloration différente, et il ressentit l’intime certitude qu’il était arrivé au terme de ses efforts. Il lui restait à en acquérir la preuve, à tenter sur lui l’expérience décisive. Un instant il hésita ; les paroles de Lanyon : « dangereuse utopie », « folie criminelle », semblèrent retentir à ses oreilles, mais en même temps les mots tentateurs de Carew lui revinrent à l’esprit…

Dans une résolution subite, il vida la première éprouvette dans un verre, et, d’un trait, en absorba le contenu.

Tout sembla tourner autour de lui. Une épouvantable brûlure lui déchira les entrailles. Il tomba à terre, les membres tordus dans d’effroyables convulsions. Un instant il perdit connaissance. Quand il revint à lui, il lui sembla flotter dans l’inconnu. Puis, il se souvint. Il retrouvait toute sa personnalité. Il était bien Jekyll, le Dr Jekyll, mais avec une psychologie toute nouvelle, avec des instincts débridés. Dès le premier instant le souvenir de Dolorès fulgura dans son esprit, son image se présenta à lui, invisiblement attirante, et aucune voix, au fond de lui-même, ne s’élevait à cet instant pour lui dire de s’en détourner.


Dolorès alla à Jekyll…

Sa lucidité demeurait entière. Il eut le sentiment déjà triomphant d’une complète réussite.

Soudain, il posa par hasard son regard sur ses mains et eut un violent tressaillement. Elles s’étaient complètement métamorphosées, avaient pris un aspect squelettique. La peau parcheminée qui y adhérait était marbrée de hideuses taches verdâtres. Ses doigts s’étaient démesurément allongés, et les ongles crochus qui les terminaient maintenant paraissaient plutôt être d’affreuses griffes.

Il porta anxieusement à son visage ces extrémités informes : au toucher, il ne reconnaissait plus ses traits… alors qu’il ne voulait opérer que sur son être moral, était-il possible que son être physique ait subi une telle transformation ?

En hâte, il gagna la petite porte de son laboratoire, s’assura qu’il n’y avait personne dans la cour qui le séparait de son logement particulier, et gagna son cabinet. Une lampe brûlait sur le bureau. Il la prit, s’approcha de la glace, et demeura épouvanté. Ce n’était presque plus une face humaine, c’était un monstre qu’il voyait en face de lui. Déformé, le crâne se terminait en un cône sur lequel flottaient quelques cheveux. Les yeux étaient chassieux. Les oreilles, décollées, semblaient deux ailes de chauve-souris. La bouche, aux lèvres rongées comme par un liquide corrosif, laissait passer de longues dents noires. La peau, parcheminée comme celle des mains, portait les mêmes taches répugnantes. Et une expression hébétée et cruelle de bestialité flottait sur cet effroyable visage, tandis que la taille était ployée sous une énorme gibbosité.

Jekyll se considéra avec horreur.

— Oh ! rester ainsi, dit-il terrifié, sans reconnaître le son de sa propre voix.

Fébrilement, il retourna à son laboratoire, saisit l’éprouvette où se trouvait le liquide qui devait le rendre à son état normal. Il frissonna à la pensée qu’il s’était peut-être trompé : il n’osait le porter à ses lèvres dans la terreur de se retrouver ensuite tel qu’il était à ce moment. Enfin, brusquement, il se décida.

Il subit lu même commotion qu’auparavant, passa par la même crise de convulsions. Quand il revint à lui, il regarda anxieusement ses mains : elles avaient repris leur apparence primitive. Il courut à son cabinet, se précipita vers la glace, qui lui renvoya son image accoutumée.

Il était redevenu lui-même. Il avait retrouvé, en même temps que son aspect extérieur, son individualité morale. Son âme n’avait gardé aucune empreinte des instincts qui s’étaient impérieusement éveillés en lui sous son autre incarnation. Il était parvenu à séparer la graine de l’ivraie. Il triomphait.

Et il se retrouvait à ce moment tellement pareil à ce qu’il était avant ses expériences que, délivré, maintenant de l’obsession de ses recherches, il ne pensait déjà qu’à reprendre son travail au dispensaire dont il avait ces derniers jours confié provisoirement la direction à Lanyon et à aller dès le lendemain rendre visite à Maud qu’il avait beaucoup négligée depuis quelque temps.

Mais il songea aussi qu’il lui prendrait fantaisie bientôt d’expérimenter jusqu’au bout sa découverte, de vivre le nouveau personnage qu’il avait le pouvoir de créer. Il fallait que personne dans la maison ne pût s’étonner de voir à l’occasion cet être hideux, auquel il décida, pour ses gens, de donner une personnalité propre. Il s’appellerait M. Hyde.


Il composait d’étranges mélanges…

Il sonna son vieux domestique :

— Jack, lui dit-il, tu verras sans doute venir ici, un de ces jours, un grand ami à moi, M. Hyde. Le malheureux est complètement difforme. Je désire, au cas où je ne serais pas là, que tu le traites comme moi-même, que tu te mettes à ses ordres, et que cette maison soit tout entière à sa disposition.

Le vieillard s’inclina, et se retirait.

— Ah ! de plus, ajouta son maître, et pendant que j’y pense, tu feras installer dès demain un grand miroir dans mon laboratoire. J’en aurai besoin pour certaines expériences.


Un instant, il hésita.

Pendant les quelques jours qui suivirent, Jekyll, comme il se l’était promis, se consacra à ses occupations habituelles et se trouva heureux de passer de longs instants auprès de sa fiancée. Mais, un soir, il céda à une impulsion soudaine, et, s’enfermait dans son laboratoire. Il devint, en quelques minutes, sous son effroyable aspect, M. Hyde. Il endossa les vêtements qu’il avait eu soin d’acheter pour la circonstance, et, ouvrant une porte dérobée qui donnait directement sur lu rue, il s’enfonça dans la nuit.

Il se dirigea vers les quartiers où lord Carew l’avait entraîné quelques semaines auparavant ; il parcourut les ruelles louches où toute la plus crapuleuse débauche s’étalait au grand air. Des ivrognes chantaient à tue-tête. Des filles du plus bas étage hurlaient des propos grossiers et une flamme s’allumait dans ses yeux.


Ce n’était plus une face humaine…

Il avisa un de ces hôtels sordides qui abondaient dans ces parages, demanda une chambre. Une horrible mégère le conduisit à un ignoble taudis et son regard brilla de convoitise lorsque, pour en acquitter le prix infime, Hyde tira de sa poche une liasse de billets de banque. Il aurait pu aisément se procurer ailleurs un asile propre et convenable. Il semblait se délecter, au contraire, de l’abjection de ce repaire. Il repartit aussitôt, et à grands pas maintenant, vers l’établissement où il avait vu Dolorès. Elle était là, encore sur la scène. Comme il l’avait vu faire à John Utterson, il alla au tenancier, lui dit quelques mots à voix basse. L’homme le regarda, et, quelque cynique, quelque cuirassé qu’il fût devant tous les vices, il sembla hésiter. Mais quelques guinées glissées dans sa main le décidèrent. Il fit un signe affirmatif et bientôt Hyde, installé au fond d’une loge, une expression de convoitise bestiale sur la face, attendait impatiemment l’Espagnole.

Elle eut un mouvement de recul lorsqu’elle ouvrit la porte et qu’elle se vit en face du monstre qui l’avait fait appeler. Elle allait fuir. Mais déjà Hyde, grimaçant un sourire qui le rendait plus hideux encore, lui avait saisi le poignet, la retenait, la forçait à s’asseoir. Elle frissonna à ce contact, au frôlement de cette main horrible qui se glissait le long de son bras ; elle pensa défaillir lorsqu’elle sentit s’y appuyer cette bouche effroyable… Mais, de loin, les yeux du tenancier la fixaient impérieusement… Elle resta, elle but à la coupe que lui tendait Hyde, elle subit, en se raidissant contre sa répulsion, le voisinage de cet être de cauchemar. Et comme à certain moment ses yeux se portaient avec une singulière fixité sur une grosse bague qu’elle portait au doigt, il demanda :


Il se précipita vers sa glace…

— Qu’est-ce que ce curieux bijou ?

— Rien, dit-elle comme sortant d’un rêve. Il n’a pas d’intérêt pour vous.

— Mais encore ?

— C’est un vieil anneau de la Renaissance italienne ; il contient dans son chaton un poison foudroyant. Je le tiens de ma grand’mère qui était gitane, donc quelque peu sorcière, et qui m’en a bien souvent raconté l’histoire.

— Quelle histoire ? reprit Hyde en retirant la bague du doigt de la jeune femme afin de l’examiner de plus près.

— Un tragique drame de jalousie, de haine et d’amour dans lequel, il y a bien, bien des années, une parcelle de la poudre qui est cachée là-dedans a suffi à faire mourir, au milieu d’un festin, deux amants qui s’adoraient.

— Mais qui prouve, depuis le temps, que cette poudre que j’aperçois, en effet, à travers la transparence de la pierre, soit toujours le fameux poison ?


Il dit au tenancier quelques mots…

— Ma grand’mère a voulu s’en convaincre. Elle en a essayé l’effet sur un malheureux chien.

Il a été immédiat. Et J’ai conservé précieusement cette poudre, pensant qu’à certains moments de trop grande détresse il est bon d’avoir un moyen facile de s’évader de la vie.

Il ricana :

— Une belle fille comme toi ne songe pas à mourir. Je t’achète cet anneau. Tiens…

Elle allait protester. Mais la somme qu’il lui tendait était, pour elle, tellement considérable qu’elle ne pouvait la refuser.

— Et maintenant, partons conclut Hyde.

Il passa son bras sous celui de Dolorès, pencha vers elle son visage plus effrayant que jamais et l’entraîna comme une proie.


Pendant une semaine entière, Jekyll, sous le masque diabolique de son identité nouvelle, se laissa aller à toute la série des débauches auxquelles il avait jusqu’alors si complètement répugné. Oublieux de tout ce qui avait été l’objet naguère de ses généreuses aspirations, oublieux de son amour, il ne revint pas une fois pendant cette période à sa véritable personnalité. C’est sous l’aspect de Hyde qu’il habitait sa maison, affolant Jack par son masque repoussant, par ses excentricités et ses brutalités. Il dormait d’ailleurs presque tout le long de la journée, et, dès le soir venu, il sortait et, se glissant, sinistre, le long des murs, il allait vers tous les endroits où le poussaient ses passions déchaînées.


John Utterson prit Jekyll à part.

Il tenait Dolorès quasi prisonnière dans la misérable chambre qu’il avait louée, et la malheureuse, terrorisée par les menaces qu’il proférait avec une froide cruauté pour lui interdire de sortir, de retourner à son music-hall, n’osait se soustraire à sa domination en fuyant et devait se soumettre, frémissante d’horreur.

Puis il redevint, pour quelques jours aussi, le Dr Jekyll, et ce fut avec une vive allégresse que Jack le vit de nouveau au logis ; il ne manqua pas de parler de la visite qu’y avait faite M. Hyde :

— Je ne l’ai pas vu depuis hier, ajouta le vieux domestique, formulant in petto le vœu de ne le revoir jamais. Mais il fut vite désabusé :

— Il reviendra bien un jour prochain, dit Jekyll.

Il reprit pendant cette courte période ses occupations, alléguant auprès de Maud et de Lanlyon une absence inopinée qu’il avait dû faire, puis ce furent de nouvelles alternatives pendant lesquelles, Hyde la nuit, il redevenait Jekyll le jour, mais un Jekyll déprimé chez qui s’émoussaient l’activité et les brillantes qualités de naguère, et qui demeurait de plus en plus à l’écart de ses amis et de Maud.

Il ne perdait cependant pas le sens des réalités. Il réfléchit, quelque intime conviction qu’il eût du contraire, qu’un accident pouvait se produire dans l’affreuse existence en partie double qu’il menait, qu’il devait envisager malgré tout la terrible hypothèse où, par quelque caprice de la nature, de Hyde il ne pourrait plus redevenir lui-même. Et pour se garder contre toute éventualité, il se préoccupa de parer tout au moins aux conséquences matérielles qu’entraînerait pour lui une pareille catastrophe. Il convoqua donc un jour son notaire, ses deux amis le Dr Lanyon et John Utterson, et rédigea comme suit ses dernières volontés :

« Si je venais à mourir ou à disparaître, je désire que dans un délai de trois mois révolus tous mes biens, de quelque nature qu’ils soient, passent à mon ami Edward Hyde qui réside dans ma maison. »

Lanyon et Utterson se regardèrent effarés en entendant la lecture de cet étrange testament sur lequel leur ami leur demandait d’apposer leurs signatures en qualité de témoins. Sur les instances de Jekyll, le premier s’exécuta, de mauvaise grâce, mais le second s’y refusa énergiquement. Pour obéir à son maître, ce fut Jack qui le suppléa.

— Mais qui donc, enfin, demanda Utterson, est ce Hyde que vous traitez avec une pareille largesse ? On parle déjà dans le quartier de cet individu bizarre et sinistre auquel vous donnez l’hospitalité.

— C’est là, repartit Jekyll, une question personnelle. Excusez-moi de ne pouvoir vous donner d’explications. Qu’il vous suffise de savoir que mon ami Hyde m’a jadis rendu un très grand service. Et s’il m’arrivait malheur, je compte que mes dernières volontés seraient respectées.

John Utterson n’insista pas. Mais, profitant de ce qu’il avait occasion de causer avec son ami, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps, et poussé par l’affection sincère qu’il avait vouée à Maud Carew depuis qu’il avait dû renoncer à son amour, il prit Jekyll à part :

— Avez-vous donc oublié Maud Carew ? lui demanda-t-il amicalement. Je l’ai vue bien souvent tous ces temps derniers. Elle ne formule pas une plainte, la pauvre petite, mais elle souffre atrocement de votre éloignement inexplicable. Elle me disait hier encore qu’il y a plus de quinze jours qu’elle ne vous a vu et ne pouvait retenir ses larmes. Allez la voir sans tarder, croyez-moi, pour elle comme pour vous. Vous me semblez avoir besoin en ce moment d’une douce et salutaire influence. Vous paraissez traverser une crise due probablement au surmenage, mais qui n’est pas, je vous assure, sans nous inquiéter, Lanyon aussi bien que moi.

Le jeune homme le remercia affectueusement :

— Mais je n’ai rien, ajouta-t-il, mon cher ami, rien qu’un peu de surmenage, comme vous l’avez remarqué. J’ai trop travaillé tous ces mois-ci et je m’en ressens probablement. Dites bien à Maud de ne pas s’inquiéter, que j’irai la voir très prochainement, et que rien de mes sentiments n’a changé.

En disant ces mots Jekyll sentait qu’il s’abusait lui-même. Quand ses amis l’eurent quitté, il tomba dans une profonde tristesse. Puis, brusquement, comme l’homme qui prétend aller chercher dans la boisson l’oubli de ses peines, il porta à ses lèvres la fiole fatale.

Et ce fut encore pendant quelques jours le déchaînement des pires instincts parmi lesquels grandissait peu à peu la cruauté dont il faisait Dolorès la victime. Il s’amusait maintenant à lui faire subir toutes sortes de privations. Elle était épuisée, malade de cette effroyable emprise contre laquelle elle n’avait pas la force de se débattre. Le moment vint enfin où, après quelques dernières brutalités, il jeta sur le palier ses quelques hardes et, lui montrant la porte, lui enjoignit de partir sur-le-champ :

— Mais où voulez-vous que j’aille maintenant, malade, sans ressources ? suppliait la malheureuse. Je ne peux pas me traîner…

— Eh ! que m’importe. J’ai assez de toi. Je ne veux plus te voir. Va-t-en.

Et comme elle faisait encore un geste implorant, d’une secousse il la poussa dehors. Elle tomba. Il ricana en voyant qu’elle s’était blessée au front, ferma la porte à double tour, enjamba son corps et s’en fut en chantonnant.

Mais le lendemain, redevenu lui-même, il sentit pour la première fois monter en lui un insurmontable dégoût de l’indigne existence qu’il menait dans son état second. Et ce fut pour lui la révélation brutale de l’erreur qu’il avait commise. Il avait voulu empêcher l’âme d’être souillée par la satisfaction des mauvais instincts. Et il n’était arrivé qu’à développer jusqu’au paroxysme, chez l’être infâme qu’il avait créé et qui était encore lui-même, ceux qui pouvaient sommeiller naguère au fond de sa nature. Bien plus, dans cet être se déchaînait une folie de perversité qui n’avait certes jamais été en lui. Il avait supprimé le contrôle de l’âme et de la volonté sur la satisfaction de l’instinct. Mais, contre ses prévisions, il ne pouvait pas, revenu à son état premier, ne pas se sentir déchu. Cela était d’ailleurs préférable ainsi. Ayant conscience du désastre, il pouvait essayer de l’enrayer. Il résolut de s’arrêter sur l’effroyable pente où il glissait. Maud seule pouvait le sauver.

Il lui fit la surprise de se présenter à l’improviste chez elle. Elle sembla défaillir de joie à le revoir, à l’entendre s’excuser tendrement d’une apparente négligence, l’assurer de ses sentiments plus vivaces que jamais. Ce fut une période heureuse pendant laquelle, sous l’influence de sa fiancée, Jekyll se sentait renaître.

Mais ce répit ne fut pas de longue durée. Un soir, après le dîner, les deux jeunes gens se trouvaient isolés dans un petit salon. Ils s’entretenaient gaiement, tendrement, d’une prochaine réalisation de leurs projets d’avenir. Brusquement, les yeux de Jekyll s’étaient fixés sur la nuque de sa fiancée qui avait un moment incliné la tête et brutalement, sauvagement, il saisit la jeune fille entre ses bras et l’attira à lui. Puis, hagard, tout à coup désespéré, affolé de honte, il se précipita vers la porte pour fuir, comme un misérable. Il osa cependant se retourner avant d’un franchir le seuil… Sa fiancée n’avait pas fait un mouvement ; elle le regardait, pétrifiée, la figure noyée de tristesse. Il baissa la tête, revint lentement vers elle, joignant les mains dans un geste d’imploration, la suppliant de lui pardonner une minute d’inexplicable égarement. Sans mot dire, elle lui tendit son front, le fit rasseoir auprès d’elle. Mais, quoi qu’ils fissent, une inexprimable angoisse était sur eux.