Le Diable aux champs/2/Scène 13

Calmann Lévy (p. 98-101).



SCÈNE XIII


Dans la salle à manger


MAURICE, DAMIEN, EUGÈNE, MYRTO, en amazone.

MAURICE, à Damien. — Madame de Noirac ? Non ! une belle dame que je ne connais pas.

DAMIEN, à Maurice. — Ni moi non plus. Elle demande à te parler.

MYRTO. — C’est là monsieur Maurice Arnaud ? J’ai un service à vous demander. Restez, messieurs, ce n’est pas un secret !

MAURICE. — Vous êtes mal ici, madame. L’odeur d’un dîner… il est vrai qu’au salon, je crains qu’on n’ait déjà fumé.

MYRTO. — Vous avez du monde au salon ? Eh bien, restons ici. C’est l’affaire d’un instant.

MAURICE. — Nous sommes à vos ordres.

MYRTO. — Je suis la comtesse de Myrto ; vous ne me connaissez pas.

MAURICE, — Nous ne sommes pas des gens du grand monde, madame ; nous n’avons pas même l’honneur de vous connaître de nom.

MYRTO. — Peu importe ! Je suis parente du marquis de Mireville que vous connaissez ?

MAURICE. — Oui, madame, un peu.

MYRTO. — Je suis venue avec l’intention d’acheter une propriété dans ce pays-ci… Je sais que la vôtre n’est pas à vendre. D’ailleurs, elle ne serait pas assez considérable pour moi. Mais, comme la décence ne me permet pas de loger à Mireville, et que c’est de ce côté-ci que je veux examiner, je suis venue sur un cheval et avec un laquais à Gérard, pour demeurer ici provisoirement.

MAURICE. — Ici, madame ? Comment donc…

MYRTO, étouffant de rire. — Oh ! monsieur ! dans votre village !

DAMIEN. — Mais c’est un village de paysans ; il n’y a pas d’hôtel, pas d’auberge convenable pour vous.

MYRTO. — Je le sais. Je me suis informée en chemin : mais on m’a dit qu’il y avait trois ou quatre petites maisons habitables dans l’endroit, parce qu’il est joli et qu’il y vient quelquefois des promeneurs, des étrangers, des malades. Tenez ! je suis au courant de tout. Il y a la maison du monsieur Jacques qui touche au parc de Noirac, une belle propriété ! La comtesse est de mes amies.

MAURICE. — Eh bien, madame, pourquoi n’allez-vous pas chez elle ?

MYRTO. — Non ! elle me retiendrait, et je veux la voir sans la gêner. On m’a dit que, outre cette maison-ci que vous habitez, vous en possédiez une autre dans le village.

MAURICE. — Il est vrai, madame, et elle est bien à votre service ; mais c’est une maison rustique, encore plus modeste que celle-ci.

MYRTO. — Et elle est meublée ?

MAURICE. — Avec fort peu de luxe !

MYRTO. — On m’a dit qu’elle était propre et qu’elle était libre. Combien voulez-vous me la louer ! Là, voyons, tout de suite ?

MAURICE. — Je vous l’offre gratis, madame, pour quelques jours, si elle vous convient.

MYRTO. — Gratis, monsieur ? Non, je n’accepte pas les choses ainsi. Est-ce un refus ?

MAURICE. — Au contraire. Vous paierez ce que vous voudrez.

MYRTO. — À la bonne heure. Et je peux m’y installer tout de suite ?

MAURICE. — À l’instant même.

MYRTO. — Puis-je avoir une femme pour me servir ?

MAURICE. — Si vous vous contentez d’une paysanne, vous en aurez trois pour une. Veuillez entrer au salon, je vais dire qu’on s’occupe…

MYRTO. — Non, rien ! donnez-moi le nom d’une de ces femmes.

MAURICE. — Marguerite, la maison à côté de celle où je vais vous conduire.

MYRTO. — Non, ne me conduisez pas. Le domestique qui m’accompagne connaît tout cela. Donnez-moi les clefs.

MAURICE. — C’est Marguerite qui les a. Mais elle est peut-être déjà couchée ?

MYRTO. — Elle se lèvera.

MAURICE. — Vous voulez attendre à sa porte, à cheval, par ce temps affreux ?

MYRTO. — Ah ! je m’en moque !… Je veux dire, je ne suis pas délicate et ne crains pas les rhumes de cerveau.

MAURICE. — Attendez au moins que l’un de nous aille en avant, avertir…

MYRTO. — Oh ! j’y serai avant vous. J’ai quatre jambes ! Bonsoir, monsieur, et grand merci. Si vous voulez venir me voir tous les trois demain matin, vous me ferez plaisir. Puisque vous êtes si obligeants, je vous consulterai sur l’emplette que je veux faire d’une propriété dans vos parages.

(Elle se lève. Tous trois la suivent en lui ouvrant les portes et en tenant un flambeau.)