Le Dernier Jour de Pompéi

Ô désastre ! ô terreur ! effrayante merveille !
Dans le sein des Enfers un volcan se réveille.
Par de sombres vapeurs les astres sont voilés ;
Les fleuves sont taris sous les rocs ébranlés ;
Les cités ont frémi sur leur base mouvante ;
Les lies sur les flots reculent d’épouvante ;
Renversant des Romains les orgueilleux travaux,
De la terre, soudain, sortent des monts nouveaux ;
Du Vésuve en fureur on voit tomber la cime.
Un tonnerre inconnu gronde au sein de Tabime ;
La montagne de feu se couronne d’éclairs ;
L’orage souterrain éclate dans les airs,
Lance des tourbillons de cendre et de fumée,
Et du gouffre jaillit une gerbe enflammée !


De la subite nuit troublant la profondeur,
Quel flambeau du soleil a remplacé l’ardeur ?
Son éclat réfléchi par le ciel et par l’onde
Suffira-t-il longtemps à la clarté du monde ?
Mais déjà sur ses bords le volcan se rougit ;

De son sein écumeux lave qui surgit
Sans cesse découlant des sources du cratère
D’un déluge de feu vient menacer la terre ;
Tantôt, reptile affreux, rampe autour d’un rocher,
Entraîne l’arbre en fleurs qu’elle vient de toucher ;
Tantôt, précipitant sa marche sourde et lente
Va tomber dans la mer en cascade sanglante.
Alors, torrent fougueux dans sa course arrêté,
Elle repousse au loin l’Océan révolté,
Et vers lui s’avançant comme une vague énorme,
Pour triompher des flots, semble avoir pris leur forme.


À l’ordre des Enfers les vents ont obéi :
Ils ont porté la cendre aux murs de Pompéi.
Lancés par le volcan, sur la ville imprudente
Les rochers retombaient comme une grêle ardente.
Chacun fuit, emportant de ce séjour d’horreur
L’objet que le premier a nommé sa terreur.
Pour un fils une mère abandonne sa fille ;
L’autre, n’osant choisir, meurt avec sa famille.
L’avare succombait sous une masse d’or.
Maudissant le fléau qui montrait son trésor.
Ici, de Phidias un successeur habile
Essayait d’emporter, malgré son bras débile.
Le chef-d’œuvre nouveau qu’il venait d’achever.
Et que tous ses efforts ne pouvaient soulever.
Plus loin, de Cicéron un affranchi fidèle
Du plus puissant des arts veut sauver un modèle :
Des talents de son maître il devine le prix.
Parmi tous ses trésors, il choisit ses écrits.
Et fuyant le portique au feuillage d’acanthe.
Où jadis retentit cette voix éloquente.
Il croit à Cicéron payer sa liberté
En gardant son génie à la postérité.



Au milieu des clameurs, des plaintes étouffées.
Hennissait un coursier qu’on chargeait de trophées.
Des acteurs s’échappaient du théâtre^ et l’un d’eux
Cachait encor sa peur sous son masque hideux.
Des femmes se couvraient de parures futiles ;
Un vieillard emportait ses Lares inutiles.
Un jeune homme, quittant ses palais opulents.
Couvert d’habits de deuil, emportait à pas lents.
Cédant moins au danger qu*à sa douleur amère.
L’urne qui renfermait les cendres de sa mère ;
Tandis qu’un orphelin, dès longtemps sans appui,
Malheureux de n’avoir à trembler que pour lui,
Et jaloux de cacher son effroi solitaire.
Aidait une inconnue à sauver son vieux père,
nusieurs disparaissaient sous la cendre engloutis :
Les uns, par la douleur, la cramie anéantis.
Voyaient sous les rochers leur demeure écrasée ;
D’autres, que poursuivait l’avalanche embrasée.
Cherchant à l’éviter par un dernier effort.
Recevaient à la fois et la tombe et la mort.


Prêtresse d’Apollon, dans ce commun délire,
Théora ne sauvait que son voile et sa lyre.
À délaisser l’autel et la divinité
La fille d’Arius a longtemps hésité.
Mais la voix de ses sœurs, au temple parvenue.
Cette voix qui la nomme et qu’elle a reconnue,
Enfin a triomphé de ses pieux combats.
Déjà, loin du portique, elle hâte ses pas.
D’où vient que tout à coup sa marche est suspendue ?
Dans l’enceinte sacrée elle rentre éperdue.
Quel effroi la ramène à l’abri de l’autel ?
Le temple a retenti des accents d’un mortel.

Le sanctuaire s’ouvre, et la voûte murmure.
C’est Paulus !… Un éclair a montré son armure.
C’est ce jeune vainqueur, le plus fier des guerriers.
Que la veille sa main couronna de lauriers ;
Théora, devançant la Muse de l’histoire.
Sur sa lyre a chanté sa dernière victoire.



« Fuis ! dit-elle en tremblant, Paulus, fuis de ces lieux ;
Ici, par ton aspect, n’irrite pas les dieux.
Vois, tous sont conjurés pour nous réduire en poudre,
Et le feu des enfers va rejoindre la foudre !


— Moi, te fuir quand le Ciel met tes jours en danger !
Viens, hâtons-nous, Pallas saura nous protéger ;
Le destin le permet, et pour moi tu peux vivre.
Viens, de tes chastes vœux le fléau te délivre !


« Que dis-tu, malheureux ! Quel dieu viens-tu braver ?
Cache-moi ton amour si tu veux me sauver.
« Sais-tu que d’Apollon la faveur est cruelle ?
Il nous défend l’amour que son fou nous révèle ;
Pour celle qu’il inspire il n’est point de secret :
Sa gloire est un exil, sa vie un long regret.
Malheur à qui reçut la science divine :
L’espoir est inconnu de Fâme qui devine ;
Aimer est son remords, savoir est son tourment,
Et l’inspiration devient son châtiment.
Fuis ! ou de ton amour tu me verras punie ;
Le plus jaloux des dieux est le dieu du Génie !


— Eh bien ! si lu le veux, sois fidele à sa loi ;
Que son courroux t’épargne, et ne frappe que moi.
Dans Rome^ à ses autels, je promets de te rendre,

Mais de tes jeunes sœurs ne te fais pas attendre :
Suis-moi ; viens arracher ta mère au désespoir !.. .
— Sans-toi, dît Théora, j’aurais pu les revoir !…

— Ai-je donc mérité ce reproche barbare ?
Qui te l’inspire ? ~ Helas ! le dieu quinons sépare !
— Si tes vœux sont à lui, pourquoi le redouter ?
Viens, fuyons I… — Non, dit-elle, ici je dois rester ;
 Rien ne peut me soustraire à la fureur suprême »
Le dieu lit dans mon cceur.. . U faut mourir. .. Je t’aime !

— Qu’entends-je !…Théora, tu m’aimes !… heureux jour !
Je rends grâce au fléau qui m’apprend ton amour !
Tu m’aimes !… de l’oubli je puis braver l’outrage.
Que Rome et ses guerriers accusent mon courage,
Qu’aux Germains, sans Paulus, le combat sent livré !
Avec toi, je préfere un trépas ignoré,
Et dédaignant l’orgueil d’une illustre mémoire,
Je te donne ma mort que réclamait la gloire ! »
A ces mots, affrontant un ordre solennel,
Paulus ose franchir les marches de l’autel ;
Et tombant à genoux dans sa profane ivresse.
Oubliant Apollon aux pieds de sa prêtresse.
De mourir avec elle implore la faveur.
Comme la piété, l’amour a sa ferveur.
Et plus d’un jeune amant, près d’une temme altière,
A vu le roi des dieux jaloux de sa prière !

Mais la terreur l’emporte, et l’amour prie en vain.
Cherchant à le soustraire au châtiment divin,
« Éloigne-toi, Paulus, dit la vierge inspirée,
Seule, je dois mourir dans l’enceinte sacrée :
Il ne faut pas qu’un jour, en decouvrant ces lieux,
Le soupçon des mortels fletrisse nos adieux.

Cet ordre est le dernier… Va, n’y sois pas rebelle ;
Obéis… près de toi, la mort serait trop belle !

Aux pleurs de Théora, se laissant attendir,
Paulus désespéré s’eloigna pour mourir.
Ô présage effrayant ! Par la foudre abattue,
À ses pieds d’Apollon vient tomber la statue.
De sa chute l’enceinte à peine retentit^
Qu’en un sable de feu l’idole s’engloutit.
Déjà redescendaient les nuages funèbres ;
Le temple du Soleil s’emplissait de ténèbres.
Paulus vers Théora se tournant au hasard
Lui demandait encore un impuissant regard ;
Théora de Paulus cherchait en vain les armes :
La cendre dans leurs yeux venait sécher les larmes ;
L’air embrasait leur sein ; ils n’osaient respirer ;
Leurs lèvres en parlant semblaient se déchirer.
Mais en vain du volcan le souffle les dévore
Ne pouvant plus se voir ils s’appellent encore ;
Et Paulus, affrontant le dieu prêt à punir
Vers la prêtresse encor cherchait à revenir.

« Théora^ disait-il, hâte-toi de descendre,
Viens ; déjà le parvis est caché sous la cendre
Les degres de l’autel seront lents à couvrir.
Malheureuse, après moi, tu vas longtemps souffrir !
Déjà mon front s’abat sous Fardente poussière !
Je succombe… ô douleur !… tu mourras la dernière !

— Rassure-toi… Je sens approcher le trépas,
Paulus… Adieu !…! dit-elle. — Il ne répondit pas.

Ce silence d’horreur, Théora sut l’entendre ;
Pour elle seule, hélas ! la mort se fit attendre.

L’écho redit encor plus d’un gémissement,
La tombe sur son front s’éleva lentement ;
Et la cendre, déjà pesant sur sa paupière.
Laissa passer longtemps ses deux mains en prière.
Mais enfin s’accomplit l’arrêt du sort fatal :
L’écho ne dit plus rien… et le sol fut égal.
Lorsqu’après deux mille ans, à l’oubli disputée,
L’antique Pompëi se vit ressuscitëe.
Parmi tous ses trésors que l’art sut réunir
Que le volcan sauveur gardait pour l’avenir,
On trouva dans l’enceinte où le temple s’élève.
Sur l’autel une lyre… et près du seuil un glaive.

Naples, mars 1837.