Le Corset - Fernand Butin/Opinions

À l'Étranger Le Corset - Fernand Butin Déformations


Opinions diverses
des Médecins et des Hygiénistes sur le Corset.
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Galien dans son livre sur les causes des maladies (chap. 7), attribue aux anciennes t'asciœ, certaines déviations :

« Dans le but, dit-il. d'augmenter le volume des régions des hanches et des flancs, par rapport au thorax, on met aux jeunes filles des bandes qu'on serre fortement sur les omoplates et tout autour de la poitrine, et comme la pression qui en résulte est souvent inégale, le thorax devient proéminent en avant, ou la région opposée devient gibbeuse. Il arrive encore quelquefois que le dos est, pour ainsi dire, brisé et entraîné de enté de sorte qu'une épaule est soulevée, saillante et en tout plus volumineuse, tandis que l'autre est affaissée, et aplatie. Tous ces vices de conformation du thorax sont dus à la négligence des nourrices qui ne savent pas appliquer un bandage exerçant une pression uniforme. »

Ce passage des œuvres de Galien est d'un haut intérêt, parce qu'il prouve que déjà, dans l'antiquité, les médecins se préoccupaient des inconvénients de cette partie du vêtement.

Ambroise Paré attribue au « corps » de son époque « l'abaissement et le rapprochement des côtes inférieures, leur chevauchement».

Winslow, Buffon et Sœmmering combattirent le corset avec énergie.

M. Debay rapporte que Cuvier conduisit un jour une jeune dame pâle et chétive au Jardin des Plantes. La dame s'étant arrêtée pour admirer une fleur au port gracieux, aux brillantes couleurs, le savant lui dit : « Naguère, madame, vous ressemblez à cette fleur, et demain cette fleur vous ressemblera. » En effet, le lendemain, Cuvier ramena la dame, qui poussa un cri en apercevant la jolie fleur de la veille, pâle, courbée, languissante; elle en demanda la cause et l'illustre professeur lui répondit : « Cette fleur est votre image, comme vous elle languit sous une cruelle étreinte », et il lui montra une ligature circulaire qu'on avait pratiquée sur la tige de la fleur : « Vous vous fanerez de même, ajouta-t-il, sous l'affreuse compression de votre corset; vous perdrez peu à peu les charmes de votre jeunesse, si vous n'avez pas assez d'empire sur la mode pour abandonner ce dangereux vêtement. »

M. Serres, professeur au Muséum, a écrit :

« Le corset refoule la masse intestinale en bas; l'utérus, organe flottant, est lui-même refoulé par les intestins et sans cesse déplacé. De là, les affections terribles de cet organe si fréquentes à Paris que bientôt les médecins n'y pourront plus suffire.

Le professeur Delpech poussa lui aussi un cri de détresse : « Que de maux dans un corset, que de morts dont il est cause ! »

Au siècle dernier, le Dr Platner fut partisan du corset. Le Dr Le Brand le conseilla même pour les enfants à condition qu'il puisse se changer de côté chaque jour :

« Avec cette précaution, dit il, le « corps » ne se moulera pas sur le corps de l'enfant, et n'en prendra pas la figure ; la baleine perdant le lendemain le mauvais pli qu'elle avait pris la veille. »

Il nous faudrait un volume pour citer toutes les opinions des médecins qui ont écrit sur cette question. Nous citerons cependant, à cause de leur haut intérêt, les avis de plusieurs des médecins et hygiénistes contemporains.

Commençons par rapporter l'avis de l'un des plus convaincus partisans du corset, le Dr Bouvier :

« Nous avons entendu naguère, dit-il, notre vénérable maître, M. le professeur Roux, s'écrier, avec l'accent d'une conviction profonde, que : « Tous les hommes devraient porter un suspensoir. » Ne peut on pas dire à aussi juste titre que : « Toutes les femmes adultes, pour peu qu'elles aient un embonpoint normal, devraient porter un corset, vrai suspensoir des glandes mammaires, non moins exposées à des secousses et à des tiraillements dangereux. » Le Dr Lutaud est, lui aussi, un champion du corset :

« C'est là un véritable soutien pour la femme, qui constitue, en quelque sorte, comme le dossier d'une chaise, contre lequel toute la partie supérieure du corps se repose. Le corset est un accessoire indispensable pour soutenir les jupes, jupons, tous les vêtements inférieurs de la femme, vêtements dont le poids total atteint sept, huit kilogs, davantage même depuis que le juponnage a pris tant d'importance. Comment maintenir toute cette masse si l'on n'avait le corset ? Ce ne pourrait être que par des cordons, qu'il faudrait forcément serrer beaucoup, ce qui ne manquerait pas de blesser la taille. »

Le Dr Félix Regnault pense que le corset est très bon comme ceinture :

« Il n'est pas mauvais de se serrer l'abdomen. En dehors de l'utilité de cette pratique en temps de famine, en dehors même de l'usage thérapeutique de la ceinture hypogastrique (ceinture de Glénard pour la gastroptose, l'enteroptose, etc..., etc...), ne voyons-nous pas les hommes habitués aux exercices physiques se ceindre la taille de la ceinture de gymnastique. Aussi est-ce avec raison, que M. Charles Blanc nous dit, dans l'Art de la parure et dans le vêtement, que les races agiles, les Basques, les Espagnols, les Corses et, en général, les peuples montagnards, se ceignent les reins et n'en sont que plus propres à la marche et aux fatigues.

Les Romains appelaient alte cinctus, ceint haut, l'homme courageux, prêt à l'action et distinctus l'indolent, l'énervé, le soldat sans cœur. « Méfiez-vous, disait Sylla en parlant de César, de ce jeune homme à la ceinture lâche ».

En contractant le volume des viscères, la ceinture les rend plus faciles à porter. Elle est à l'homme ce que la sangle est au cheval.

La ceinture hypogastrique semble donner un appui utile aux muscles abdominaux. C'est un usage général de serrer les muscles auxquels on veut donner le maximum de force; ainsi les portefaix mettent à leur poignet un anneau de cuir.

« Quelle que soit du reste l'explication qu'on veuille donner à ce fait, en tant que ceinture serrant modérément le ventre, le corset est donc utile. »

M. Hayem ne partage pas cet optimisme pour le corset qu'il accuse, lorsqu'il est trop serré, d'être la cause d'un nombre considérable d'affections, parmi lesquelles : le mal de Pott, le déjettement des côtes en dehors et leur enfoncement de la cinquième à la neuvième, l'étranglement et les tumeurs du foie, la péritonite chronique, etc.

M. le Dr Guiraud, professeur à la Faculté de médecine de Toulouse, reste, croyons nous, dans une très sage limite d'appréciation, très clairement notée dans son Manuel pratique d'Hygiène, 1900 :

« C'est principalement le corset chez les femmes, dit M. Guiraud, qui a été accusé de nombreux méfaits. Les reproches de toutes sortes qu'on lui a faits ont été peut-être un peu exagérés. Quelques-uns cependant paraissent mérités. Il est incontestable qu'il comprime l'estomac, abaisse le foie et est peut-être la cause de certains troubles de la digestion. Il s'oppose à la libre dilatation de la partie inférieure de la cage thoracique. C'est en partie à son usage qu'est due la prédominance de la respiration cesto-claviculaire chez la femme.

Toutefois, il ne faudrait pas aller trop loin; c'est l'abus des corsets, des corsets trop serrés, bien plus que l'usage, qui doit être incriminé, et un corset bien fait, ne montant pas trop haut, maintenant les organes sans les comprimer, soutenant les seins, tel que ceux que l'on porte actuellement, a plutôt des avantages que des inconvénients ».

M. Paul Langlois conclut d'une façon analogue dans son Traité d'hygiène publique et privée, 1900, où il s'exprime ainsi :

« Le corset survit à toutes les attaques et à toutes les dénonciations. Force est donc à l'hygiène de s'occuper de cet engin qu'elle pourrait appeler son ennemi.

Le véritable but du corset est de créer des formes artificielles, de simuler là où il n'y a pas, d'atténuer là où il y a trop Mais pour arriver à ce résultat, les femmes s'exposent à une série d'accidents.

Par la compression du thorax et le surcroît de travail qu'il impose aux parties supérieures du poumon, le corset peut devenir cause d'emphysème vésiculaire. Par la gêne de la circulation veineuse qui oblige le cœur gauche à des efforts anormaux, il peut être la raison de la dilatation cardiaque ; en tous cas, lorsqu'il y a hypertro phie cardiaque, le corset aggrave la situation.

En comprimant l'estomac, en abaissant le foie, en refoulant les intestins, les organes génitaux internes, le corset entrave les fonctions digestives et exerce une compression fâcheuse; surtout au moment de la congestion mensuelle.

Sur la question des seins, l'hygiène et l'usage du corset, ne se rencontrent pas davantage. Ce n'est certainement pas le corset qui les fait naître, quand il n'y en a pas, et lorsqu'il y en a, il les compromet en ne les laissant pas à leur place naturelle.

Pour être inoffensif le corset doit réduire ses proportions à celles d'une large ceinture destinée surtout à supporter les pièces de l'habillement : il doit s'adapter à la forme des parties qu'il soutiendra sans les comprimer, être doux et élastique, afin que les organes qu'il embrasse conservent leur libre exercice et fonctionnent librement ».

Il était tout naturel que nos modernes Doctoresses s'occupent de cette question du corset qui intéresse leur sexe.

Mme les Doctoresses Gaches-Sarraute et de Grinie-witch ont essayé de le perfectionner. Nous étudierons ces essais dans un chapitre spécial.

Mme Tylicka a choisi comme sujet de thèse en 1899 : Du Corset, ses méfaits au point de vue hygiénique et pathologique.

Cette thèse est un violent réquisitoire contre le corset; l'auteur propose la suppression radicale de cet objet et son remplacement « par une brassière de toile forte, ajustée à la taille, descendant seulement jusqu'à la ceinture, boutonnée devant et munie de deux baleines de chaque côté pour soutenir les seins. » Enfin Mme Tylicka conclut « qu'en cas de maigreur, la femme doit faire usage de bretelles. »

L'expérience a montré combien ces anathèmes et ces décrets de suppression sont vains et stériles.

La simple lecture de ces conclusions montre combien leur auteur est peu parisien je dirai même peu français. Nous savons tous qu'en France où les femmes ont la légitime coquetterie de l'esthétique de leur vêtement, la proposition de « leur faire porter des bretelles » court grand risque d'être mal accueillie.

Constatons que, cependant, le travail de Mme Tylicka est consciencieux et documenté; il témoigne d'un grand désir d'être utile et de bien faire.

En terminant, nous citerons l'opinion d'un maître en la matière, celle de M. Proust, professeur d'Hygiène à la Faculté de médecine, qui dit dans son Traité d'hygiène :

« Toute compression excessive, en gênant la circulation capillaire, produit, sur les parties du corps où elle s'exerce, des congestions dangereuses et des déformations souvent incurables. Il ne faut pas que la ceinture ou le corset portent jusqu'à l'exagération la finesse de la taille. Il y a une perversion de goût et, disons le, un coupable attentat contre soi-même dans cette application de certaines femmes et même de certains hommes à réduire à un étranglement ridicule et choquant la partie moyenne du corps. La femme mince est loin d'être la femme svelte. Le corset trop serré, trop raidi par des lames de baleine, détruit la gracieuse ondulation des lignes, rend la marche saccadée, plaque le visage de rougeurs malsaines et surtout, en contrariant le libre jeu des organes respiratoires, paraît être, pour certains auteurs, une cause de phtisie.

Loin de moi, cependant, la pensée de faire au corset un procès trop sévère. Il est indispensable pour assurer le développement régulier des formes, maintenir les jeunes personnes dans l'habitude de se tenir droites et de ne pas s'abandonner à une libarté d'allure très nuisible à la beauté. »

L'autorité de leur auteur donne à ces conclusions une grande valeur. Contrairement à l'opinion de Mme Tylicka, nous les trouvons très justes, très pratiques.
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De cette étude comparée des différentes opinions médicales sur le corset, il résulte clairement que, si presque tous les auteurs reconnaissent l'utilité d'une ceinture pour soutenir les vêtements inférieurs de la femme, tons sont unanimes à constater que le corset trop rigide et trop serré a pour effet de multiples altérations organiques et fonctionnelles. Dans les chapitres qui suivent, nous allons étudier en détail ces altérations.

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