II


Dans la forêt, Méléagant attendait avec plus de cent chevaliers. En voyant arriver Keu, il les fit cacher et vint au-devant du sénéchal :

— Chevalier, dit-il, qui êtes-vous, et cette dame, qui est-elle ?

— C’est la reine.

— Dame, dévoilez-vous afin que je vous voie.

La reine leva son voile et il connut bien que c’était elle. Alors il proposa à Keu d’aller dans une lande voisine, la plus belle du monde pour jouter, car la forêt était trop épaisse pour que deux chevaliers y pussent combattre loyalement. Et là, il saisit le palefroi de la reine par le frein.

— Dame, vous êtes prise !

— Vous ne l’aurez pas si aisément ! répliqua Keu.

Et tous deux, ayant pris du champ, fondirent l’un sur l’autre, la lance sous l’aisselle, à telle allure qu’ils bruyaient comme alérions. Or Keu avait fait folie, car il n’avait pas vérifié ses sangles, qui étaient usées auprès des boucles : elles rompirent au premier choc, et de même le poitrinal du cheval, de manière qu’il vola à terre, la selle entre les cuisses, et se meurtrit fort en tombant. Alors Méléagant le foula aux pieds de son destrier. Ainsi conquit-il la reine Guenièvre, ce glorieux, cet abat-quatre ! Et il l’emmena, en même temps que le sénéchal, tout pâmé, que deux sergents avaient couché dans une litière.

Mais le conte laisse à présent de parler de lui et revient à monseigneur Gauvain.