Roy & Geffroy (p. 272-280).


XI

LE RENÉGAT


Don Torribio Quiroga et don José Kalbris pressaient leurs chevaux afin de sortir le plus promptement possible de l’enceinte du présidio.

Le gouverneur était heureux du secours que le commandant de la province lui envoyait.

Il ne doutait pas qu’avec les vaqueros qui lui arrivaient, il lui fût facile d’obliger les Indiens à lever le siège du présidio ; il comptait même profiter de l’occasion pour donner aux Apaches, ces éternels ravageurs des frontières mexicaines, une si rude leçon, que de longtemps ils ne tenteraient d’envahir le territoire de la Confédération.


Le gouverneur gisait le crâne horriblement fracassé.

Ils arrivèrent à une barrière gardée par un poste considérable composé en partie de vaqueros et d’habitants bien armés.

— C’est par ici qu’il nous faut sortir, dit don Torribio au gouverneur.

— À vos ordres.

— La nuit est noire, continua le jeune homme, des bandes de vagabonds indiens se sont répandues dans tout le pays : nous allons probablement faire une ou deux lieues au-devant de nos hommes ; je crois qu’il n’est pas prudent que nous nous aventurions seuls.

— Ce que vous dites est on ne peut plus juste, répondit don José.

— Vous comprenez, vous êtes le gouverneur du présidio, reprit don Torribio avec un sourire indéfinissable ; si les Peaux-Rouges nous attaquaient et qu’ils vous fissent prisonnier, cela pourrait avoir pour la ville des conséquences on ne peut plus graves ; je ne parle pas de moi, dont la prise serait d’un mince avantage pour les Indiens, mais vous, c’est autre chose ; je vous engage à y réfléchir sérieusement avant que nous nous aventurions plus loin. Qu’en dites-vous ?

— Ma foi ! je dis que vous avez raison, colonel, et que ce serait une imprudence impardonnable.

— Ainsi…

— Ainsi, je crois que le mieux que nous ayons à faire est de prendre une escorte.

— Oui, appuya don Torribio, de cette façon nous serons tranquilles, n’est ce pas ? Combien prenons-nous d’hommes ?

— Oh ! une dizaine tout au plus.

— Bah ! prenons-en vingt, on ne sait pas qui on peut rencontrer sur la route à cette heure de nuit ; qui sait si nous ne tomberons pas au milieu d’une centaine d’Indiens ? Il faut pouvoir leur tenir tête.

— Va pour vingt, puisque vous le désirez, répondit don José d’un ton de bonne humeur, et soyez assez complaisant, puisque c’est ainsi, pour les choisir vous-même.

— Soyez tranquille, répondit don Torribio avec un sourire sardonique.

Alors il s’avança vers les défenseurs du poste, qui à l’arrivée du gouverneur s’étaient mis sous les armes, et sépara vingt cavaliers qui sur son ordre il vinrent immédiatement se ranger derrière lui.

— Maintenant, lorsque vous le voudrez, gouverneur, nous partirons.

— En route, alors, répondit celui-ci en piquant son cheval.

L’escorte s’ébranla en même temps. Don José Kalbris et don Torribio Quiroga marchaient à quelques pas en avant de ceux qui les accompagnaient.

Tout alla bien pendant trois quarts d’heure environ. Au bout de ce temps, le gouverneur, malgré l’attrayante causerie de don Torribio, dont la conversation était un feu roulant de reparties spirituelles et qui jamais ne s’était autant mis en frais pour plaire à don José, celui-ci commença à ressentir une vague inquiétude.

— Pardon ! colonel, dit-il a son compagnon en l’arrêtant subitement, mais ne trouvez-vous pas comme moi qu’il soit étrange que ceux au-devant desquels nous allons ne se présentent pas encore ?

— Pas le moins du monde, señor, répondit don Torribio, peut-être le capitaine qui les commande n’a-t-il pas osé s’engager avant mon retour dans des routes qu’il ne connaît pas.

— Cela est possible, dit au bout d’un instant le gouverneur.

— Je le crois probable, reprit Torribio, et en ce cas nous avons encore une lieue à peu près à faire avant de les rencontrer.

— Marchons donc alors.

Ils reprirent leur marche, mais cette fois elle était silencieuse ; nos deux personnages semblaient absorbés dans de profondes méditations.

Parfois, don Torribio relevait la tête et jetait autour de lui un regard investigateur.

Tout à coup le hennissement lointain d’un cheval traversa l’espace.

— Qu’est cela ? demanda don Torribio.

— Eh ! mais, répondit le gouverneur, ce sont probablement ceux que nous cherchons.

— Qui sait ? reprit l’autre : dans tous les cas, soyons prudents.

Et après avoir fait signe au gouverneur de l’attendre à l’endroit où il se trouvait, il piqua des deux et ne tarda pas à disparaître dans l’ombre.

Dès qu’il fut loin et seul, don Torribio descendit de cheval et appliquant son oreille sur le sol, il écouta :

— Demonios ! murmura-t-il en se relevant en toute hâte et en se remettant en selle. On nous poursuit, il n’y a pas un instant à perdre ; ce bandit de don Estevan m’aurait-il reconnu ?

— Eh bien ! lui demanda le gouverneur dès que don Torribio fut de retour, que se passe-t-il ?

— Rien, répondit don Torribio d’une voix brève, rien qui doive vous intéresser.

— Alors ?…

— Alors, repartit le jeune homme en lui posant la main gauche sur le bras et avec un accent terrible : Don José Kalbris, rendez-vous, vous êtes mon prisonnier !

— Que voulez-vous dire ? répondit le vieux soldat en tressaillant ; êtes-vous fou, don Torribio ?

— Ne m’appelez plus don Torribio, señor, dit le jeune homme d’une voix sombre. Je suis maintenant un misérable sans nom et sans patrie que la soif de la vengeance a poussé parmi les Apaches.

— Trahison ! s’écria le gouverneur. A moi, soldats ! défendez votre colonel !

— Ces hommes ne vous défendront pas, don José, ils me sont dévoués ; rendez-vous, vous dis-je !

— Non, je ne me rendrai pas ! reprit résolument le gouverneur ; don Torribio ou qui que vous soyez, vous êtes un lâche !

Et, faisant faire un écart à son cheval, il se débarrassa de l’étreinte du jeune homme et mit le sabre à la main.

Le galop rapide de plusieurs chevaux se fit entendre au loin.

— Ah ! ah ! dit le gouverneur en armant un pistolet, serait-ce un secours qui m’arrive ?

— Oui, répondit don Torribio froidement, mais il viendra trop tard.

Sur son ordre les vaqueros entourèrent le gouverneur, sur lequel il se précipitèrent tous à la fois.

De deux coups de pistolets don José en renversa deux.

Alors il y eut une mêlée terrible dans les ténèbres.

Don José, sachant que tout moyen de salut lui manquait, résolu à vendre chèrement sa vie, accomplissait des prodiges ; faisant cabrer son cheval à droite et à gauche, il parait les coups qui lui étaient portés et ripostait en frappant dans la masse confuse qui s’agitait autour de lui avec des hurlements sauvages.

Cependant le bruit des cavaliers qui arrivaient augmentait à chaque instant, le galop des chevaux résonnait avec un bruit semblable à celui du tonnerre.

Don Torribio vit qu’il fallait en finir, s’il ne voulait pas que sa proie lui échappât : d’un coup de pistolet il cassa la tête du cheval du gouverneur.

Don José roula sur le sol, mais se relevant vivement, il porta au renégat un coup de sabre que celui-ci para en faisant un bond de côté, et, appuyant le canon d’un pistolet sur sa tempe :

— Un homme comme moi ne se rend pas à des chiens comme vous, dit don José ; tenez, bêtes fauves, disputez-vous mon cadavre.

Et il se fit sauter la cervelle.

Au même instant plusieurs coups de feu retentirent et une troupe de cavaliers bondit comme un tourbillon sur les vaqueros.

Le major Barnum et Estevan guidaient les arrivants.

La lutte ne dura que quelques secondes. A un coup de sifflet de don Torribio, les vaqueros tournèrent bride et se mirent à fuir dans toutes les directions.

Ils eurent bientôt disparu dans les ténèbres.

Sept ou huit cadavres restèrent étendus sur le terrain.

— Que faire ? demanda le major Barnum.

— Nous sommes arrivés trop tard, répondit tristement Estevan, don José se sera fait tuer plutôt que de se laisser enlever.

— Oui, dit le major, c’était un brave soldat : mais comment rejoindre ces démons à présent, afin de savoir à quoi nous en tenir ?

— Ne nous occupons pas d’eux, major, ils sont déjà dans leur camp ; je me trompe fort, ou nous aurons bientôt le mot de l’énigme, laissez-moi faire.

Le mayordomo mit pied à terre et coupa avec son machete une branche de ces pins résineux qui croissent si abondamment dans ce pays ; il alluma du feu, et au bout de quelques minutes il eut une torche.

Alors à la lueur de la flamme rougeâtre et incertaine, il commença, suivi du major, à examiner les corps étendus sans vie sur la terre.

Leur recherche ne fut pas longue. Le gouverneur gisait, le crâne horriblement fracassé ; il tenait encore à la main l’arme fatale ; son visage avait conservé une expression de défi hautain et de courage indomptable.

— Le voilà ! dit don Estevan.

Le major ne put retenir une larme qui coula silencieusement sur son visage hâlé.

— Oui, murmura-t-il, il est mort en soldat, en faisant face à l’ennemi, mais, hélas ! il est tombé dans une embuscade, victime d’une trahison, tué par un homme de sa couleur. Mon vieil ami devait-il donc finir ainsi !

— Dieu l’a voulu, répondit philosophiquement le jeune homme.

— Oui, dit le major, à nous d’accomplir notre devoir comme il a accompli le sien.

Ils relevèrent le cadavre, le placèrent en travers sur un cheval, et la petite troupe regagna tristement le présidio.

Cependant don Torribio était en proie à un violent dépit ; son projet n’avait pas réussi. Ce n’était pas la mort du gouverneur de la colonie qu’il voulait, car cette mort, loin de lui être utile, lui était, au contraire, préjudiciable, en inspirant aux Mexicains le désir de la vengeance et en les engageant à résister jusqu’au dernier soupir, et à s’ensevelir sous les ruines du présidio plutôt que de se rendre à leurs féroces ennemis. Ce qu’il avait voulu, c’était s’emparer de don José, de le tenir prisonnier entre ses mains, et par ce moyen arriver à traiter avec les habitants.

Mais la résistance énergique du vieux soldat et le parti qu’il avait cris de se brûler la cervelle plutôt que de se rendre avaient dérangé tous ses plans. Aussi, pendant que ses compagnons se réjouissaient entre eux de ce qu’ils regardaient comme un succès, mais qui pour lui était une défaite, rentrait-il sombre et mécontent.

Manuela et doña Hermosa avaient profité de l’absence du chef pour quitter leur déguisement indien et reprendre leur costume.

Lorsque don Torribio arriva à son toldo, le sorcier, qui ne s’était pas éloigné depuis qu’il y avait introduit les deux femmes, s’avança vers lui.

— Que veux-tu ? lui demanda-t-il.

— Que mon père me pardonne, répondit respectueusement le sorcier ; deux femmes se sont cette nuit introduites dans le camp.

— Que m’importe cela ? interrompit le chef avec impatience.

— Ces femmes, quoique revêtues du costume indien, sont blanches, dit l’amantzin en appuyant sur ses paroles.

— Que me fait cela ? ce sont probablement des femmes de vaqueros.

— Non, répondit le sorcier en secouant la tête, leurs mains sont trop blanches et leurs pieds trop petits pour cela.

— Ah ! fit le chef que ces mots commençaient à intéresser, et qui les a faites prisonnières ?

— Personne, elles sont venues seules.

— Seules ?

— Oui, elles ont, disent-elles, d’importantes communications à faire à mon père.

— Ah ! fit le chef en lançant un regard profond au sorcier, et comment mon père sait-il cela ?

— C’est moi qui les ai protégées et les ai introduites dans le toldo de mon père.

— Elles sont donc là ?

— Oui, depuis près d’une heure.

Don Torribio prit quelques onces qu’il remit au sorcier.

— Je remercie mon frère de ce qu’il a fait, dit-il avec agitation, il a bien agi.

L’amantzin s’inclina avec une grimace de singe.

Le jeune homme s’élança vers le toldo, dont il souleva vivement le rideau ; il ne put retenir un cri de joie et d’étonnement en reconnaissant doña Hermosa.

Celle-ci sourit.

— Que signifie cela ? dit-il à part lui.

Et il s’inclina gracieusement devant la jeune fille.

Doña Hermosa ne put s’empêcher d’admirer le jeune homme : son riche costume militaire lui allait à ravir ; en faisant ressortir tous les mâles avantages de son visage et de sa taille, il lui donnait quelque chose de majestueux dont l’attrait était indéfinissable.

— Quel nom dois-je vous donner, caballero ? lui dit-elle en lui faisant signe de prendre place à ses côtés.

— Donnez-moi le nom qui vous conviendra le plus, señorita, répondit-il respectueusement : si vous vous adressez à l’Espagnol, nommez-moi don Torribio ; au contraire, si c’est à l’Indien que vous voulez parler, les Apaches ne me connaissent que sous le nom de Maudit ajouta-t-il avec tristesse.

— Pourquoi cette redoutable qualification ? dit-elle.

Il y eut un moment de silence.

Les deux interlocuteurs s’examinaient avec soin.

Doña Hermosa cherchait une transition pour arriver à parler du but de sa visite. Lui, il se demandait intérieurement quelle raison avait pu déterminer la jeune fille à se rendre auprès de lui.

Ce fut don Torribio qui, le premier, reprit la parole.

— Est-ce bien moi que vous cherchiez en venant ici, señorita ? dit-il.

— Et qui donc ? répondit-elle.

— Vous excuserez cette insistance de mauvais goût, reprit-il, mais ce qui m’arrive en ce moment me semble tellement extraordinaire, que j’ai peine encore, quoique je vous voie, quoique je vous entende, à ajouter foi à un si grand bonheur : tout cela me semble un rêve, je crains de me réveiller.

Cette espèce de madrigal fut prononcé avec l’accent qu’aurait employé don Torribio Quiroga en visite chez don Pedro de Luna, accent qui ajoutait encore à l’étrangeté de cette scène, tant il était en désaccord avec les objets intérieurs et le lieu dans lequel se trouvaient les deux interlocuteurs.

— Mon Dieu ! dit doña Hermosa du même ton léger que le jeune homme employait avec elle, je veux faire cesser votre peine, et me dépouiller à vos yeux de cette apparence de sorcière dont vous n’êtes pas loin de me croire douée.

— Vous n’en resterez pas moins une enchanteresse pour moi, interrompit-il avec un sourire.

— Vous êtes un flatteur ; dans toute cette affaire, s’il existe un sorcier, c’est le pauvre Estevan, qui, sachant que je voulais absolument vous voir, m’a dit en quel lieu je vous rencontrerais : ainsi, si vous avez un brevet de sorcier à accorder, donnez-le à Estevan, car lui seul y a droit.

— Je ne l’oublierai pas dans l’occasion, dit le jeune homme, sur le front duquel passa un nuage : mais revenons à vous, je vous prie, car vous seule m’intéressez ; après le bonheur de vous voir, bonheur dont je vous serai éternellement reconnaissant, m’est-il permis de vous demander à quelle circonstance extraordinaire je dois cette faveur dont je jouis et que je ne puis m’expliquer ?

— Oh ! à une cause bien simple, fit la jeune fille en lui lançant un regard acéré.

Le jeune homme s’inclina sans répondre, doña Hermosa continua :

— Une jeune fille de mon âge et surtout de mon rang, dit-elle d’une voix profondément accentuée, ne tente pas une démarche aussi… tranchons le mot, aussi singulière que celle que je fais en ce moment, sans y être poussée par des motifs graves.

— J’en suis convaincu.

— Quels motifs peuvent être assez graves pour déterminer une femme à mettre de côté la modestie instinctive de son sexe et à faire bon marché de sa réputation ? Il n’en est qu’un. Lorsque les intérêts de son cœur sont enjeu, lorsque son amour est intéressé à la question… Trouvez-vous que je parle clairement, don Torribio ? commencez-vous à me comprendre ?

— Oui, señorita, répondit-il avec émotion.

— La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, mon père vous reçut un peu brusquement peut-être, vous mon fiancé ; fou de jalousie, croyant notre mariage rompu, furieux contre mon père et contre moi, quelques minutes plus tard vous preniez congé et vous vous retiriez la rage et la haine dans le cœur.

— Ma cousine, je vous jure…

— Je suis femme, don Torribio ; nous autres femmes, nous possédons un instinct qui ne nous trompe jamais : croyez-vous donc que moi, qui allais vous épouser, je n’avais pas deviné l’amour que vous aviez pour moi ?

Le jeune homme la regarda avec une expression indéfinissable.

— Quelques jours plus tard, continua-t-elle, don Fernando Carril tombait dans un guet-apens et était laissé pour mort sur la place. Pourquoi avez-vous fait cela, don Torribio ?

— Je ne nierai pas, señorita, que j’ai cherché à me venger de celui que je considérais comme un rival : mais, je vous le jure, je n’avais pas ordonné sa mort.

— Je le savais, dit-elle avec une expression adorable ; il est inutile de vous disculper.

Don Torribio la regardait sans comprendre,

Elle continua en souriant :

— Celui que vous croyiez votre rival ne l’était pas ; à peine aviez-vous quitté l’hacienda que j’avouais à mon père que je n’aimais que vous, et que jamais je ne consentirais à en épouser un autre.

— Il serait possible ! s’écria le jeune homme en se levant avec impétuosité : oh ! si je l’avais su !

— Rassurez-vous, le mal que vous avez fait est en partie réparé : don Fernando, enlevé par mes ordres des mains de Pablito, est en ce moment à l’hacienda de las Norias, d’où il ne tardera pas à partir pour Mexico ; mon père, qui n’a jamais rien su me refuser, m’a permis d’aller rejoindre celui que je préfère.

Et elle lança au jeune homme un regard chargé d’une indicible expression d’amour.

Don Torribio était confondu ; une foule de sentiments opposés se combattaient dans son cœur ; il n’osait croire aux paroles de la jeune fille ; un doute lui restait, doute cruel : si elle se jouait de lui ?

— Eh quoi ! dit-il, vous m’aimeriez encore ?

— Ma présence n’est-elle pas assez significative ? répondit-elle. Pourquoi serais-je venue ici ? quelle raison pouvait m’y obliger ?

— C’est vrai, s’écria-t-il en tombant à ses genoux ; pardonnez-moi, señorita, je suis fou, je ne sais ce que je dis, oh ! c’est trop de bonheur !

Un sourire de triomphe éclaira Je visage de la jeune fille.

— Si je ne vous aimais pas, dit-elle, ne pouvais-je pas épouser don Fernando, puisque maintenant il est près de nous à l’hacienda ?

— Oui, oui, vous avez raison, cent fois, mille fois raison ! O femmes ! créatures adorables, qui peut jamais sonder vos cœurs ?

Doña Hermosa réprima un sourire sardonique : elle avait abattu le lion à ses pieds ; cet homme si fort était vaincu ; elle était sûre désormais de sa vengeance.

— Que répondrai-je à mon père ? dit-elle.

Le jeune homme se releva, ses yeux lancèrent des éclairs, son front s’éclaira, et, d’une voix profonde :

— Señorita, répondit-il avec une expression de bonheur inexprimable, dites à votre père que ma vie entière ne suffira pas pour payer le doux instant que je viens de passer près de vous. Dès que le présidio de San-Lucar sera pris, j’aurai l’honneur de me présenter à l’hacienda de don Pedro de Luna.