Le Passe-Temps du 13 août 1893 (p. 4-6).

LE BOUVREUIL



PETIT RÉCIT ÉLÉGIAQUE


L’aube en riant sortait de sa couche irisée,
Couronnant les coteaux de son éclat vermeil,
Et faisait aux rameaux tout baignés de rosée,
Pendre, en gouttes d’argent, les baisers du soleil.

Jouant dans les feuilles, une brise sonore
Secouait en passant des parfums dans les airs,
Et, sous les frais taillis qu’illuminait l’aurore,
Les oiseaux à l’envi modulaient leurs concerts.

Tout respirait l’amour, la joie et l’harmonie ;
Comme un sourire, au ciel, brillait chaque rayon ;
C’était le beau printemps… Une extase infinie
Semblait verser son charme à la création…


Et l’élégant bouvreuil, à l’aile nuancée,
Pour achever son nid, espoir du lendemain,
Tressait avec ardeur la laine délaissée
Par la blanche brebis aux ronces du chemin.

L’ouragan peut venir ! attache, attache encore
Ce nid, ce frêle nid qu’échaufferont tes feux,
Pauvre oiseau ! car, avant le retour de l’aurore,
Il faut que ta compagne y dépose ses œufs…

Ses œufs, d’où sortira ta petite couvée,
Ton bonheur, ton amour, ton unique trésor…
Il se hâte, et bientôt la tâche est achevée,
Et le bouvreuil joyeux veut reprendre l’essor…

Mais, hélas ! l’imprudent, plein d’une ardeur si tendre,
S’était lié les pieds en attachant son nid !
Longtemps sa voix plaintive au loin se fit entendre,
Puis, tout devint muet lorsque le jour finit…

Plus tard, quand dépouillé de son épais feuillage,
Le grand chêne étendait ses longs rameaux mouvants,

En traversant le bois, les enfants du village
Retrouvèrent l’oiseau, triste jouet des vents.


C’est ainsi, pauvres cœurs confiants et sincères,
Qu’aux pièges de l’amour vous laissant abuser,
Vous-mêmes vous forgez ces entraves amères
Où vos jeunes espoirs et vos tendres chimères
Sentent leurs ailes d’or se prendre et se briser !


Gabriel Monavon.