Le Blocus des côtes anglaises

Le Blocus des côtes anglaises
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 26 (p. 207-216).
LE BLOCUS DES CÔTES ANGLAISES

Je n’examinerai ici cette affaire importante qu’au point de vue militaire. La question est la suivante :

Quels sont les moyens, — d’une manière générale, — dont disposent les Allemands pour bloquer l’Angleterre, et quelle peut être, au juste, l’efficacité de ces moyens ?

Les sous-marins ne sont pas les seuls engins avec lesquels nos adversaires communs pourraient entreprendre d’intercepter les arrivages en Angleterre. Les sous-marins eux-mêmes n’ont pas seulement à leur disposition la torpille automobile. Ils ont aussi le canon et surtout la mine automatique, la mine que l’on mouille sournoisement dans une passe fréquentée.

Les journaux officieux allemands, Gazette de Cologne en tête, n’ont pas manqué de nous rappeler cette faculté de leurs submersibles, car il s’en faut que la presse d’outre-Rhin s’abstienne de dire ce que les autorités maritimes comptent faire.

En tout cas, à côté des sous-marins, il y a les flottilles de torpilleurs, qui peuvent agir sur le littoral Ouest de l’Angleterre. Les « Zeppelins, » eux aussi, prendront leur part de l’opération, une part accessoire, sans doute, mais point négligeable. Enfin, il y a les croiseurs rapides. Ceci peut surprendre. Je montrerai tout à l’heure qu’il ne faut pas absolument faire fi de ce moyen d’action, même après les combats qui semblent avoir mis hors de cause les divisions légères allemandes.

C’est évidemment, tout de même, sur leurs sous-marins avec leurs torpilles automobiles, leurs canons, leurs mines, leurs bombes à main ou pétards destinés à percer les coques des vapeurs capturés, que nos acharnés ennemis comptent le plus.

Parlons donc de ces sous-marins.

On sait que les Allemands ne se sont engagés qu’avec prudence, avec timidité même, dans la voie de la construction des sous-marins. Ce n’est qu’en 1906 que, grâce à une retouche du programme initial de 1898, on voit apparaître dans le budget de l’Empire les fonds destinés à la mise sur cale de deux sous-marins, l’un au chantier de l’Etat de Dantzig, l’autre au chantier « . Germania » (maison Kriïpp), à Kiel. Ce sont de modestes unités de 180 tonneaux de déplacement en surface et de 240 tonneaux en plongée, qui chauffent au pétrole, marchent sous l’eau avec la vapeur accumulée, donnant 10 nœuds et 8 nœuds, et qui ne s’arment que de deux tubes lance-torpilles. Ces U1, et U2[1] sont des engins de défense des côtes. Ils ne se risqueront certainement pas dans la mer d’Irlande, ni dans la Manche.

On peut en dire autant, très probablement, des six exemplaires du type qui succède à celui de ces deux précurseurs. Les U1, U4, U5, V6, U7 et U8 construits au chantier « Germania » de 1908 à 1910, ne déplacent encore que 230-300 tonnes. Ils vont jusqu’à 12 nœuds en surface et ont 4 tubes, mais leur rayon d’action est encore faible. Ils ne rôderont, ceux-là, que dans la mer du Nord. On ne songeait pas, en 1908, au blocus de l’Angleterre.

En 1911-1912, les choses changent de face tout à coup. Le programme général de construction a subi de profondes modifications. On veut avoir, en 1917, 12 sous-marins, dont 54 toujours armés et 18 en réserve. Le peuple allemand s’est aigri peu à peu contre le peuple anglais. Ses dirigeans, qui veulent servir une haine dont ils ont, au moins, encouragé le développement, commencent à regarder avec complaisance l’engin dont l’amiral anglais Percy Scott, deux ans plus tard, dira nettement que, devant lui, surtout s’il sait combiner son action avec celle des aéroplanes, les cuirassés disparaîtront, balayés ou coulés. Et alors, brusquement, on demande au Reichstag pour les deux exercices 1911-1912, de quoi construire 34 sous-marins ou plutôt 34 submersibles, car, entre temps, on a réussi à se procurer, grâce à un habile, mais assez louche personnage de nationalité étrangère, les plans d’un ingénieur français bien conrui, M. L…

Mais 34 unités à la fois, c’est trop d’ambition. D’ailleurs, il faut tenir compte des progrès si rapides, des moteurs, des auxiliaires, de l’armement. En définitive, on n’exécute, à Dantzig, que 8 submersibles (10, d’après certains renseignemens) du nouveau type (U9…, U10),, à qui l’on donne des machines à quatre temps du constructeur Diesel (usines de Nürnberg-Augsburg), chargées de pousser à 13-9 nœuds, environ, des coques de 450-540 tonneaux. Les 26 unités restantes ne seront mises en chantiers qu’en 1912-1913 et, plus probablement, que de 1912 à 1914. Mais elles appartiendront à un type encore plus puissant (550-650 tonneaux) où, à côté des quatre tubes, on voit apparaître un ou deux canons de 50 millimètres[2].

Ce n’est cependant que 10 submersibles, de U11 à U26, que l’on réussit à lancer en 1912-1913. On a d’ailleurs des mécomptes du côté des moteurs. Aussi, les sous-marins de 1913-1914 seront-ils pourvus, les uns de machines à combustion interne construites en Suisse, à Winterthur, près de Zurich, les autres d’appareils à vapeur, comme quelques-uns des nôtres et des plus récens. Cette fois, c’est le chantier « Germania » qui semble monopoliser la construction de ces unités, dont la taille et le déplacement se sont encore accrus, passant de 650 tonneaux, en plongée, à 900 environ. La vitesse, aussi, a augmenté. Elle atteint, en surface, 17 ou 18 nœuds et peut aller, en plongée, à 12 nœuds. Quant au rayon d’action, faculté essentielle, dès qu’il s’agit d’entreprendre des opérations offensives et surtout de tenir un blocus pendant quelques jours au moins, on estime en général que les U9…, U16 peuvent faire un millier de milles marins (de 18 à 1 900 kilomètres), tandis que les U17…, U26 doivent pousser jusqu’à 1 600 ou 1 800 milles.

Ces derniers bâtimens sont, d’ailleurs, munis de tous les perfectionnemens : périscope de nuit doublant celui de jour, appareil de T. S. F., boussole gyroscopique, large provision d’air comprimé. Il ne semble pas qu’ils aient autant de torpilles automobiles que les nôtres. Peut-être n’en ont-ils pas plus de 6. Mais ils portent un certain nombre de mines automatiques qu’ils peuvent mouiller tout en restant en plongée. Or, ce sont là, expressément, des engins de blocus.

Voilà donc où en étaient les choses au moment où la guerre a éclaté. Où en sont-elles, maintenant ? — Nul doute que, résolus, dès le début des hostilités, à faire le plus large usage de l’arme nouvelle et entrevoyant déjà ce blocus des eaux anglaises auquel ils rattachent aujourd’hui tant de vaines espérances, les Allemands ne se soient efforcés d’augmenter rapidement le nombre de leurs sous-marins.

Or, les prévisions officielles de mises en chantiers pour 1914 et 1915 étaient de 12 unités. On devait tenir d’autant mieux à la réalisation de ces prévisions que l’on avait éprouvé, nous venons de le voir, des retards sensibles les trois années précédentes. Soyons donc assurés qu’à Dantzig, comme à Kiel, et probablement aussi bien dans les chantiers privés (Schichau, Germania, Howaldt) que dans ceux de l’État, on a mis sur cale, poussé activement, jour et nuit, achevé enfin cette douzaine de grands sous-marins de rayon d’action étendu qui conviennent parfaitement à l’objectif poursuivi[3].

Mais, d’autre part, on a fait des pertes. Celles-ci ne sont pas très faciles à évaluer. Un sous-marin disparaît, s’ensevelit définitivement sous les flots sans que l’adversaire qui le voit s’enfoncer soit certain de l’avoir coulé. De quelques-uns on n’entend plus parler. Il n’y a pourtant pas eu combat ou collision : un accident de mer les a fait sombrer obscurément. Tant y a que les calculs varient de six à dix unités perdues. N’acceptons que le premier de ces chiffres et, toute balance faite, admettons que l’Allemagne va disposer, au début de cette nouvelle période du conflit, d’une vingtaine d’unités, au maximum, susceptibles d’opérer, chacune pendant quelques jours, soit dans la Manche, soit dans la mer d’Irlande et aux atterrages atlantiques des Iles Britanniques.

Occupons-nous de la mer d’Irlande. Le canal du Nord est à 800 milles, au moins, d’Helgoland. Si nous accordons aux dernières unités allemandes 1 800, peut-être 2 000 milles, de rayon d’action, on voit combien est limité le champ de leur activité sur le théâtre d’opérations qui leur est dévolu à chacune d’elles. Cette difficulté apparaît si clairement à qui réfléchit un peu, que l’on s’est demandé où et comment ces sous-marins pouvaient bien se ravitailler en cours d’opérations. M. Lake, ingénieur naval à qui l’on doit des plans intéressans, exécutés surtout en Amérique, n’est pas éloigné de croire que, conformément à des propositions qu’il a faites, il y a quelques années déjà, les bateaux allemands sont disposés pour se ravitailler en combustible liquide, ou même en charbon, — celui-ci en sacs, le pétrole en caisses étanches, — au fond de l’eau, l’approvisionnement en question étant déposé à l’avance en des points déterminés en longitude et latitude, ou faciles à repérer au moyen d’amers naturels empruntés à une côte voisine.

Que l’on ne crie pas à l’invraisemblance ! Après tout ce que nous avons vu déjà, l’incrédulité systématique n’est plus de mise. En somme, une seule condition est ici indispensable, c’est que le dépôt soit fait par des fonds de 20 à 25 mètres, au maximum, les sous-marins ne pouvant guère descendre à 30 mètres sans risquer des avaries de coque résultant de la pression de l’eau. Pour le reste, c’est affaire de dispositifs spéciaux, de sas étanches, qu’il est aujourd’hui aussi aisé de réaliser que de concevoir, et aussi d’une habileté de manœuvre dont les officiers allemands ne sont point du tout incapables.

Ils ont d’ailleurs à leur disposition d’autres moyens et de moins « Jules-Verne. » Le dépôt dont il s’agit peut fort bien se trouver dans une anse discrète d’un des innombrables îlots déserts de la côte de Norvège, depuis si longtemps et si attentivement pratiquée par la marine impériale. Rien ne s’oppose même à ce que nos adversaires aient trouvé des points favorables dans les Shetland ou aux Féroê. On sait assez avec quelle minutie ils ont tout préparé pour le succès de leurs opérations et qu’au demeurant ils ont su s’assurer les connivences nécessaires.

Mieux encore, ou plus simplement : les sous-marins allemands peuvent se réapprovisionner à bord de vapeurs battant pavillon neutre, affrétés, en réalité, par des agens secrets du gouvernement impérial et qui suivront à des dates connues un itinéraire déterminé. Il est aisé de donner un « rendez-vous à la mer, » en dehors de la zone de surveillance des escadres anglaises à de vulgaires cargo-boats faisant régulièrement le trajet de Glasgow à Bergen, par exemple, et vice versa.

En dépit de ces précautions, il reste que la période de croisière dans la mer d’Irlande, la période « d’effet utile » de chacun des grands sous-marins allemands sera toujours fort courte. C’est là leur grande, leur irrémédiable faiblesse. Et comme on sent la nécessité de la continuité dans leur action pour obtenir l’intimidation recherchée, on se trouvera conduit à organiser de fréquentes relèves. Mais tout cela fait beaucoup d’allées et venues, de longs voyages trop souvent répétés et donc, des avaries, des réparations prolongées, bref, là encore, des causes de retard, d’amoindrissement de la période d’utilisation réelle.

C’est pour obvier à ces inconvéniens, autant que pour ménager les approvisionnemens en torpilles automobiles, engins coûteux, compliqués, d’une fabrication assez lente, d’un réglage délicat, que l’on compte faire un large usage des mines automatiques. Sans doute le résultat est, là, plus aléatoire. Quand on laisse tomber un chapelet de ces engins à l’entrée de la Mersey, on n’est point assuré que les vapeurs passeront dessus. Il y a de la place à droite et à gauche. Et puis, les Anglais, parfaitement prévenus et outillés, dragueront leurs chenaux sans relâche. Enfin, il faut compter avec les courans, avec les gros temps, qui déplacent les mines… Tout de même, grâce au nombre, les mines, pense-t-on, feront du mal. Et elles agiront toutes seules, en l’absence du sous-marin. Elles le représenteront. Ce sont décidément des armes aussi commodes qu’efficaces pour un blocus, disent les Allemands.

En ce qui touche l’attaque directe d’un paquebot par le sous-marin et puisque, pour ménager certains neutres, il faudra se résigner à ne point éventrer une fois pour toutes, avec une torpille, le malheureux bateau qui s’approche, inconscient du péril, le canon de 50 millimètres fera fort bien, point assez puissant pour ouvrir tout de suite une brèche dangereuse, mais qui lance un obus dont les effets peuvent impressionner équipages et passagers. Seulement, pour tirer, il faut émerger, se découvrir. Cela peut exposer à de fâcheuses surprises. Évidemment les paquebots vont s’armer. Qui sait ? Les modestes cargos en feront peut-être autant. Tels, autrefois, les « marchands » en se risquaient dans les mers de Chine, ou seulement dans l’Archipel, qu’en se ceinturant de caronades, de pierriers, d’espingoles. Et ainsi, sur mer comme sur terre, à force de progresser, si j’ose ainsi parler, nous reculons. Nous bouclons la boucle.

Quant aux bombes à main, ou plutôt aux pétards destinés à rompre par l’intérieur la membrure et le bordé, ce sont engins courtois, humains, qu’on n’emploiera qu’à l’égard des bâtimens privilégiés auxquels devra s’appliquer un traitement de laveur et dont l’équipage aura cinq minutes pour se sauver.

Je disais tout à l’heure que les sous-marins n’étaient pas les seuls moyens auxquels nos ennemis auraient recours pour faire le désert autour des côtes anglaises. Je citais les « Zeppelins » et les grands aéroplanes, les flottilles de bâtimens légers, les grands croiseurs même…

Quelques mots là-dessus.

Pour les appareils aériens, le doute ne me semble pas possible. On sait quelle importance le chef de l’Empire germain attache à l’action terrorisante de ses merveilleux dirigeables, — dont deux viennent de périr misérablement sur la côte occidentale du Jutland. C’est pour obtenir une certaine combinaison de leurs opérations avec celles des sous-marins qu’il est venu à Cùxhaven ces jours-ci, puis à Helgoland. Mais, dans l’état présent des choses, cette combinaison n’est pas aisée. Si, avec les grands sous-marins, on ne peut s’assurer l’essentiel bénéfice de la continuité de l’effet destructeur, que dire des Zeppelins, dont l’action a jusqu’ici et gardera longtemps encore un caractère si précaire ! Ces engins frappent comme la foudre, soit ! Mais la foudre est capricieuse et ses effets sont étroitement limités dans le temps. Tout ce que l’on pourra demander aux aéronefs, aussi bien qu’aux aéroplanes allemands, c’est une certaine simultanéité de leurs efforts avec ceux des submersibles. Encore faudra-t-il que, dans la phase qui commence, les circonstances atmosphériques se prêtent à leur mise en jeu. On vient de voir qu’il suffit d’une chute de neige inopportune pour les désemparer.

Peut-on attendre un meilleur résultat de l’emploi des flottilles de bâtimens légers, torpilleurs et petits croiseurs ? Il est incontestable que si, en même temps que les U17, — et les suivans, — agiraient dans la mer d’Irlande, une quarantaine de « destroyers » allemands se jetaient sur l’estuaire de la Tamise et de la Medway, l’effet moral d’une telle combinaison aurait quelque intensité. Que de bâtimens, et non des moindres, pourraient être ainsi coulés en quelques heures !

Mais, à la grande surprise de beaucoup de marins, ces grands torpilleurs allemands si bien construits, si rapides, si bien manœuvres, — car ils étaient soumis à un remarquable entraînement, — n’ont rien fait de saillant dans cette guerre. Du moins n’ont-ils pas su, ou pas pu agir isolément (j’entends par escadrilles isolées, car, à juste raison, les huit unités d’une escadrille agissent toujours de concert) et se sont-ils bornés à éclairer, flanquer, soutenir au combat les divisions de croiseurs, grands ou petits, auxquelles de sérieuses opérations ont été confiées. Faut-il croire que dans le concept général de la guerre navale dominant en Allemagne, c’est au rôle d’engins auxiliaires du combat d’escadre que l’on réduisait ces souples et solides flottilles ? Il se peut. Je reconnais d’ailleurs que c’est au début du conflit beaucoup plus qu’aujourd’hui, après six mois écoulés, que les torpilleurs allemands, réunis en grandes masses, auraient pu frapper des coups décisifs sur un adversaire que sa supériorité numérique ne défendait peut-être pas assez, à cette époque, des surprises funestes. Un « raid » de flottilles, si bien préparé fût-il, se heurterait maintenant à des organismes de surveillance et a des forces navales parfaitement disposés pour le repousser et le punir sévèrement. Mais il y a la brume, ne l’oublions pas, la brume, les temps bouchés qui ont déjà servi les Allemands, qui les peuvent servir encore…


Et les grands croiseurs ?

Les grands croiseurs ou « croiseurs de combat, » — il y en a encore cinq : Von der Tann, Moltke, Seydlitz, Derflinger, Lützow, six même, peut-être, si on a su pousser à fond, dans ces six derniers mois, l’achèvement de l’ersatz Hertha, — pourraient fort bien prendre leur part d’opérations d’ensemble ayant pour objet d’intercepter les arrivages et d’affamer l’Angleterre. Supposons-les réunis en escadre, comme ils l’étaient déjà lors du « raid » malheureux du 19 janvier (le Blücher remplaçant le Lützow indisponible) ; admettons qu’à la faveur de la brume, toujours, ils puissent franchir le grand barrage que forment là-bas, dans le haut de la mer du Nord, les trois « Homefleets, » leurs croiseurs et leurs petits éclaireurs ; établissons-les à quelque 500 milles des atterrages d’Irlande, entre les deux faisceaux de routes maritimes qui viennent de l’Ouest et du Sud-Ouest. Faisons-les ravitailler en combustible, à la mer, par des « neutres » bienveillans (les Allemands excellent, on le sait, à obtenir ce genre de services), ou, tout simplement, par leur prises, qu’ils couleront après en avoir vidé les soutes. On ne voit pas, en principe, ce qui les empêcherait de faire du mal, jusqu’au moment, du moins, où les cinq cuirassés neufs du type Queen Elizabeth[4] et les cinq croiseurs de combat qui les ont déjà battus les auraient rejoints et forcés d’accepter la bataille.

Mais là encore, ce qui parait simple tout d’abord ne laisse pas d’être compliqué quand on en vient à l’exécution. L’adversaire est sur ses gardes. Si nombreux sont ses coureurs, si étroites sont les mailles du réseau de leur surveillance que, même en pleine brume, il ne serait pas aisé de passer inaperçu. Bien pis, l’effectif des appareils aériens anglais s’élève si rapidement, l’audace et l’esprit d’entreprise des pilotes de ces aéroplanes et hydravions, — auxquels se joignent les nôtres, ceux de Dunkerque, — en font des adversaires si gênans, des observateurs, en tout cas, si attentifs et si avisés, qu’il devient fort malaisé d’organiser sans qu’ils s’en aperçoivent une expédition de quelque portée. Là, donc, et comme pour les coups de main des flottilles, il est bien tard, trop tard, probablement…)


Résumons-nous ; et pour bien fixer les traits caractéristiques du débat, représentons-nous un vapeur anglais partant de New-York à destination de Londres vers cette époque-ci. Tout va bien pour lui jusqu’au large de la Grande Sole, à 500 ou 600 milles à l’Ouest-Sud-Ouest de Land’s end. Là, il est chassé brusquement par un grand croiseur allemand. Il est tard, heureusement, et l’arrivée d’une nuit sombre lui permet d’échapper, par miracle, à la poursuite. Le voilà dans la Manche. Un peu au Nord des Casquets, tout d’un coup, une longue traînée blanche sur la mer grise lui révèle une torpille qui, — par miracle encore ! — est passée derrière sa poupe. Un sous-marin allemand est là !… A toute vapeur et le cap sur le périscope, que l’on entrevoit à peine, à 700 ou 800 mètres ! Plus rien. Mais à la hauteur de la Hague, voici qu’un torpilleur français s’approche : « Ne franchissez pas le détroit ! On se bat aux Dunes et à l’embouchure de la Tamise. Les flottilles allemandes y sont ! » Notre vapeur rebrousse chemin. Décidément il ira à Liverpool. Dans la mer d’Irlande, nouvelle alerte, nouveau sous-marin, auquel on se dérobe par des changemens de route précipités. On touche au port : voici le bateau-feu North-West. Hélas ! une explosion soudaine ébranle le bâtiment. C’est une mine automatique. Par une chance bien rare, c’est l’extrême avant seul qui a été frappé et la cloison étanche du premier compartiment n’a pas cédé. On remplit les water-ballasts arrière, on se redresse, on marche tout doucement et enfin, vers le soir, on s’amarre à Birkenhead. On est sauvé !…

Pas du tout. En pleine nuit, des bombes éclatent. L’une d’elles perce la coque après avoir traversé les ponts. Le vapeur coule. C’est le dernier coup d’un Zeppelin dont on a aperçu, un moment, le projecteur et qui, maintenant, s’éloigne impuni dans le sombre…

Voilà, certes, un tableau à faire pâmer d’aise nos ennemis ! Voilà ce qu’ils eussent voulu, ce qu’ils eussent dû faire, — questions d’humanité et de droit à part, bien entendu ! — pour intimider réellement les marins d’Angleterre, pour affamer la Grande-Bretagne, pour intercepter les arrivages des matières premières qui lui sont indispensables. Les Allemands sont loin de compte I De cette impressionnante mise en scène il ne reste, — qu’on me passe l’expression, — qu’un numéro, celui des sous- marins et, comme je l’ai dit plus haut, le succès en sera forcément médiocre. Un officier général de la marine impériale vient de le reconnaître, parait-il : « Nous n’avons pas le matériel nécessaire pour faire effectivement le blocus des eaux anglaises, » a-t-il dit avec mélancolie[5]

Il reste toutefois, je le répète, qu’il y aura des pertes, que les deux alliés supporteront avec une constance sereine. On me pardonnera de ne pas dire ici de quels moyens les états-majors des deux marines comptent user pour en réduire le plus possible la gravité et l’étendue. Soyons certains que ces moyens ont une réelle efficacité. Quant à celui, — le moyen décisif, radical, — que j’avais cru devoir préconiser ici, si j’ai pensé un instant, d’après une phrase mal traduite du discours de M. Winston Churchill, qu’on se décidait à l’employer, j’ai dû revenir de mon erreur. Il ne s’agit, toujours, que de serrer l’écrou de la vis de pression économique. Inclinons-nous, en reconnaissant que tous les chemins mènent à Rome. Ils sont seulement plus ou moins longs…


Contre-amiral DEOOUY.

  1. U, initiale de Unterseeboot, bateau sous-marin.
  2. Dans la nomenclature officielle de l’artillerie Krupp, le canon de 50 millimètres a une longueur de 2 mètres (40 calibres). Il est possible que le modèle affecté aux sous-marins soit moins long, s’il est vrai, comme on l’affirme, que la bouche à feu est montée sur plate-forme à éclipse. Pour le canon de 40 calibres, la vitesse initiale du projectile de 1k, 750 atteint 836 mètres.
  3. Le chantier « Germania » avait, en août 1914, cinq grands sous-marins en construction pour le compte de l’Autriche. L’Allemagne s’en est-elle emparée ? — Il y a quelques semaines, la presse quotidienne annonçait l’envoi à Pola de ces petits bâtimens, démontes et expédiés par tranches.
  4. Ce sont les derniers « Dreadnoughts, » cuirassés rapides (25 nœuds), portant 4 000 tonnes de pétrole et armés de S canons de 381 millimètres.
  5. Matin du 22 février, citation du Hamburger Fremdenblatt.