Éditions Prima (Collection gauloise ; no 39p. 36-39).

XII


Quelquefois, à minuit, en mettant les housses sur les fauteuils, les ouvreuses du théâtre de Marie-Louise — Malou — découvrent de drôles de choses : des jarretelles cassées, des boîtes de bonbons, des peignes de femme : on s’agite beaucoup, dans le petit théâtre de Malou.

Voici la lettre qu’on a trouvée, l’autre soir, sur le tapis d’une loge :

Madame Yvonne Vallier
à Monsieur Robert Launay.
« Mon cher ami,

« Je sais que vous n’aimez pas perdre votre temps, selon votre expression. Or, je vous en avertis : vous le perdez en ce moment : je n’irai point, malgré votre insistance cavalière, visiter votre garçonnière.

« Ça vous étonne, hein ? Vous étiez déjà, comme tous vos pareils, les petits jeunes gens modernes, si sûr de vous ! Vous m’aviez rencontrée au dancing. Je m’y trouvais par hasard. J’ai accepté votre invitation, parce que la Samba était entraînante, parce que je voulais me donner un peu d’exercice, peut-être aussi parce que vous apparaissiez jeune et gentil. Nous avons échangé quelques paroles : vous vouliez savoir qui j’étais. Il s’est trouvé que nous connaissions les mêmes personnes. Je vous ai invité chez moi. Nous nous sommes revus. Et vous m’avez fait la cour… oh ! à votre façon, à votre façon, péremptoire et maladroite, qui me choquait souvent et m’amusait quelquefois… rarement d’ailleurs.

« Vous vous disiez : voilà une femme mariée à un homme de 45 ans. Elle en a 35. C’est le bel âge pour commettre une bêtise. Elle est un peu grasse selon moi, qui préfère les modernes extra-plates. Elle a des jambes, des bras, des cheveux, des hanches et de la poitrine. Mais enfin, elle est tout de même bien. Je me ferai une raison. Je lui plais. Je suis jeune, je suis beau — ne protestez pas, vous le croyez, — je suis élégant — vous le croyez aussi, — je suis sportif, je suis irrésistible et mes pareils remportent tous les succès sur les scènes des boulevards,

« Malgré cela, je ne tombe pas dans vos bras ! La poule ne marche pas, comme vous dites en votre langage galant, respectueux et imagé ! Pourquoi ?

« Pourquoi ? Je vais vous l’écrire. Tâchez de comprendre et d’en tirer votre profit.

« Avez-vous remarqué mon mari ? Il n’est peut-être plus à la mode : il porte sa barbe et elle grisonne. Il n’a point la silhouette mince, une taille de guêpe et un derrière de femme, — quand les femmes avaient encore un derrière ! — Mais il y voit clair sans arborer des lunettes de vieillard ; et ses épaules sont larges. Il ignore les danses modernes. Mais il est gai, rieur, plein d’esprit. Il a de la conversation. Il m’amuse, à table. J’ai d’ailleurs plaisir quand je rentre avec lui, dans un restaurant et que je l’entends ordonner un menu de choix aux maîtres d’hôtel déférents.

« Je me sens, auprès de lui, — comment vous expliquer ? — protégée et considérée. Je suis aux côtés d’un monsieur qui n’a l’air ni d’un entreteneur, ni d’un gigolo… C’est mon mari, Voilà.

« Il boit sec, du vin de Bourgogne et fume des cigares qui sentent bon. Il m’amuse au lit, si vous voulez le savoir. Il est admirablement bâti, fort et musclé. Et il a, tout à la fois l’art savant des préparations et une vigueur dans… l’exécution que je vous souhaite, non pas quand vous aurez son âge, mais dès maintenant mon bon ami, dès maintenant. Je ne m’embête nullement entre ses bras. Ah ! vrai, je n’éprouve point le besoin de changer.

« À votre tour : faites votre examen, sans prétention : je vous y aiderai. Regardez dans la glace votre silhouette étriquée par le long pardessus trop collant ; la petite tache que vous avez sous les narines, à la place des moustaches et qui semble une malpropreté ; le sinistre et symbolique foulard rouge emprunté aux apaches et passé, du cou des artistes de music-hall au cou des greluchons contemporains ; votre col mou pour furonculose ; votre cigarette répandant une écœurante odeur de foin brûlé et donnant ainsi l’impression fâcheuse que vous fumez votre nourriture. Examinez votre triste figure aux énormes lunettes qui vous font ressembler à ces insectes grêles dont les yeux paraissent montés sur un pédoncule.

« Votre allure de jeune criquet s’apparente peut-être à celle des demoiselles maigres aux pattes de sauterelles qui sont représentées sur les illustrés et les catalogues. Voilà celles qu’il vous faut. Moi, je ne ferai pas votre affaire. Et, surtout, vous ne feriez pas la mienne.

« — Plaît-il ? — Vous pratiquez les sports ? Oui, je sais. J’ai des amies qui m’ont donné des renseignements. Le grand air, quand votre torpédo roule à 90, vous étourdit. La boxe vous éreinte. Vous buvez de l’eau claire, pour que votre petit cœur ne batte pas trop fort. Mais vous arrivez fatigué sur l’oreiller. Ça m’est éperdûment égal, à moi, femme, que vous leviez cinquante kilos, si vous baissez… les paupières à côté de moi pour dormir.

« Continuez votre entraînement, mon bon ami. Soyez champion de boxe, de natation, de course à pieds, roulez des hanches et laissez pousser vos boucles blondes ou brunes.

« Mais n’essayez pas de jouer avec moi au plus joli des jeux que jouent les amoureux : vous seriez battu, mon petit ami, battu dès la première manche. Vous n’êtes plus de force… pour les femmes de ma génération.

« Yvonne.