Le Banquet des Muses/Le magnanime. au lecteur

Mertens et fils (p. 24-33).


AU LECTEUR

LE MAGNANIME.


N’espere point, lecteur, que ma satyre offence
Le renom du prochain en ses nombreuses lois :
C’est un libre discoars des abus de la France
Qui demande audience au cabinet des roi



Ma muse a fait serment sur la lire d’Orphée
De ne rire qu’en gros de l’erreur des humains ;
Mais si quelque galleux sent sa rongne eschauffée,
Il luy sera permis y porter les deux mains.

Soit que tout roulle à l’advanture,
Soubz le bon plaisir de nature,
Ou que l’autheur de l’univers,
Par sa providenee profonde,
Tienne encor les ressorts divers
De toute la masse du monde.

Que l’inconsideré destin
Face au potiron du matin
Lever ses cornes incongneuës.
Et que le foudre quelquefois,.
Egalle les pins baize-nuës
Aux humbles genièvres des bois.

Qu’aux gens de bien soit importune
L’aveugle et marastre Fortune,
Que les astres impetueux
Créent des rois dans la poussière.
Et qu’ils facent les vertueux
Servir aux meschants de litiere.

Tout cela ne m’estonne point.
Toujours l’esprit en mesme poinct,
Toujours au montant de la gloire
Franc de toutes ambitions,
Et ma plus celebre victoire,
C’est de vaincre. mes passions.

Point d’eclipse, point de nuage,
Toujours un tranquille visage

A tous evenemens divers ;
Si Fortune gronde et menace
Au lieu de craindre ses revers.
Je lui crache contre la face.

Je reçoy de la droite main
La verge aussi bien que le pain,
Et si chez moy le malheur entre :
Foulant aux pieds le sort mutin,
Vainqueur je passe sur le ventre
A la fortune et au destin.

Destin qui tousjours soufle en poupe
Aux traistres, et les porte en croupe
Et qui conduit d’un pas certain
L’ignorant aux charges plus graves,
Car fortune est une putain
Qui ne redonne qu’aux esclaves.

Ce n’est pas pour vous beaux esprits
Les gardes d’honneur et de prix,
Vos reins ne sont pas assez larges
Pour porter ces pesants fardeaux,
Voulez-vous posseder les charges ?
Soyez flateurs, ou maquereaux.

Qui n’entend d’amour les mysteres,
Qui ne sçait porter carracteres,
Tourner à Dieu le dos vingt ans,
Servir au besoin de Bardache
Et plier aux vices du temps
Il n’est en la cour qu’un Gavache.

Mais un sot a vingt cinq carrats,
Pourveu qu’il jure à tour de bras,

Qu’il sçache dompter sa rotonde,
Qu’il soit gauffré tous les matins,
Et qu’en moustaches il abbonde
Il fera la nique aux Destins.

C’est en faveur de telles pestes
Que roullent les orbes celestes,
Le soleil ne luit que pour eux,
Et la nuict se leve la lune
Pour voir dormir ces paresseux
Entre les bras de la Fortune.

Certainement les dieux ont tort
Qu’ils ne tiennent tous d’un accord
Des cieux les barrieres decloses
Pour laisser entrer ces geants,
Et qu’ils ne font naistre des roses
Sous les pieds de ces faineants.

Un poëte de triquenique
Eust-il le nez en as de pique
Se fera de tous estimer
Pourveu qu’il ait l’humeur raillarde,
Et qu’ensemble il face rimer
Misericorde et hallebarde.

Vous les verrez pour faire un vers
Tordre la gueulle de travers,
S’egratigner toute la face,
Rouller les yeux, mordre les doigts,
Et faire plus laide grimace
Qu’un singe qui casse des noix.

Encor ces hiboux d’humeur noire
Fourmillent comme gueux en foire,

O ! que laquais iroient battant
Ces pœtastres inutiles
Si France foisonnoit autant
En Alexandres, qu’en Cheriles !

Si quelque cerveau mieux timbré
Beuvant le flot tant celebré
A les muses plus secourables,
Prophane, il perd ceste liqueur
En des rimes si execrables
Qu’un diable en auroit mal au cœur.

La cour fut jadis le lycée
Où vertu estoit exercée,
Rien ne servoit faire le beau,
Mentir, bouffonner et medire,
Seul avoit sa part au gasteau
Qui sçavoit mieux faire que dire.

Aujourd’huy un porte-poulet,
Marionnette de ballet,
Pourveu qu’il parle de vaillance,
De joustes, bagues, et tournois,
Se fera reverer en France
Comme un grand Oger le dannois.

Tel voudra pour ses armes seules
Des fleurs de lis en champ de gueulles
Qui ne tire sa parenté
Que de quelque planteur de saules,
Dont les ancestres n’ont porté
La fleur de lis qu’en leurs espaulles.

Tel est grimpé dedans les cieux,
Et va du pair avec les dieux,

Qui n’est pestry que de la lie
D’une roturiere maison,
Voire qui eût perdu la vie
S’il n’eût enfondré la prison.

Combien de pagnottes bravaches
Jettent les crocs de leurs moustaches
Sur la citadelle de Mets :
(poltrons dignes de nos Yambes !),
Qui ne se sont battus jamais
Que du coutelas à deux jambes.

Qui sçait la prime, et le piquet
Marcher en sutane et roquet
Et cajoller de bonne grace
Il luy faudra des pensions,
Et faire descendre sa race
Des Graches et des Phocions.

Jadis pour fuyr les offices,
Les Metelles et les Fabrices
Gardoient leurs champestres taudis
Mais chacun aux grandeurs aspire,
Mille Phaëtons estourdis
Briguent les resnes de l’empire.

Tel on a veu le col panché
Sous le faix d’un riche evesché
Qui n’avoit fait qu’un anagrame ;
L’autre emporta un cabinet
Pour avoir les yeux d’une dame
Déifiez en un sonnet.

Combien sans codes et digestes
Tiennent d’un Ciceron les gestes,

Ne crachent que tiltres et lois,
Tous gens de bal et de manege,
Qui ont eu le foüet plus de fois
A la cuisine qu’au college !

Grands juges ce n’est contre vous
Que la satyre est en courroux ;
Pour vous ô justes Aristides !
Nos dards ne sont poinct aiguisez,
Mais pour les sysamnes perfides
Qu’escorcher faisoit Cambisez.

Combien vestus de peaux de buffe,
Qui n’ont veu Cujas ny Rebuffe,
Bartole, Papon ny Bacquet,
Rompent d’affaire d’importance ?
Comme si de leur vain caquet
Dépendoit tout l’heur de la France !

Depuis le nom le Predican,
Que Themis fut mise à l’encan,
Qu’aux asnes on vid porter crosses,
Houlettes d’or bergers de bois,
Et trainer moines en carrosses
Tous maux ont pleu sur les françois.

Depuis qu’à la femme fragille
Fut permis lire l’Evangile,
Que saint Paul à veu les tizons,
Et qu’on voulut la foy divine
Prouver par humaines raisons
La France est tombée en ruyne.

Jadis les muses se plaisoient
Chez les rois qui les carressoient,

Mais, ô maudit siecle ou nous sommes !
Le vice est monté à tel poinct,
Qu’en la cour les plus sçavans hommes
Sont des saincts qu’on ne feste point.

Combien l’oysiveté consume
D’esprits au poil et à la plume,
Cachez en des antres profonds,
Incogneus de nostre monarque,
Cependant que quelques bouffons
Tiennent le timon de la barque !

Que sert de lire incessamment
Et de perdre inutilement
Tant de temps, d’huille, et de bougie,
Puis que sur le Louvre est escrit
Qu’une dragme d’effronterie
Vaut mieux que cent livres d’esprit !

Aussi au parvis de ce temple
Le plus souvent ne s’y contemple
Que cervelles de revollin,
Et que bruire ces Aristophanes
Comme en la porte d’un moulin
L’on n’entend braire que des asnes.

Chacun joüe au boute-hors,
L’un est dedans, l’autre est dehors,
L’un servant autruy s’y consomme,
L’autre approchant trop le soleil,
Croit si haut, qu’en fin on l’assomme
Dans les nuaux de son orgueil.

Aux uns dès le sueil de la porte
Des gouvernements on apporte :

Ainsi maints petits compagnons
S’y font a coup gens de menée ;
Mais pour flestrir ces champignons,
Il ne faut qu’une matinée.

Tandis les vieux routiers de Mars,
Qui suivent leur prince aux hazards,
Honteux, et les discours moins saffres,
Sont contraincts par un sort fatal
Faire monstre de leurs balaffres
Sur les degrez d’un hospital.

Aussi les rois porte-couronnes
Devroyent balancer les personnes
Qu’aux charges ils vont eslevant,
Mais les fleurs hastives se passent,
Et les grands estouffent souvent
Ceux-là que plus fort ils embrassent.

Les faveurs de nos rois sacrez
Ce sont des tournoyants degrez
Que pour monter il faut descendre,
Les sages s’esloignent exprés
De ce feu qui reduit en cendre
Ceux qui s’en approchent trop près.

Combien de gloutonnes sang-suës,
Du sang des innocens repuës
Viennent rendre gorge à la fin !
Les rois permettent qu’on se plonge
Dans leurs thresors : mais c’est afin
D’en pressurer apres l’esponge.

Ces crimes seroient esbloüys
Si l’hospital de Sainct Louys

N’en portoit à jamais les marques,
Qui fut basty des ducatons
Que le plus grand de nos monarques
Fit revomir à ces gloutons.

Les rivieres ont leurs levées,
Les mers leurs bornes eslevées,
L’avare seul est sans raison,
Mais en fin creve l’apostume,
Si les peres mangent l’oison
Les enfans en rendent la plume.

Ce sont ces publiques valleurs,
Partisans et monopoleurs
Qui causent tant de flux de bourses,
Car espuisant tant de ruisseaux,
Ils font des plus celebres sources
Tarir le credit et les eaux.