Lady Fauvette/Lady Fauvette/22

G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 213-216).

XXII

Il était sept heures du soir. Les fenêtres ouvertes laissaient pénétrer dans la chambre d’Alice un air tiède et doux, chargé de vagues parfums. Le soleil disparaissait tout rouge dans la mer ; au loin, les montagnes s’étageaient grandioses et sombres, jusque dans les nuages.

— Que c’est beau ! dit Alice, en montrant à son fiancé le splendide tableau qui se déroulait devant eux.

— Bien beau, ma chérie… Dans huit jours, quand mon petit lutin aimé sera guéri…

Alice l’interrompit brusquement :

— Ne parlez pas de demain… Écoutez, George. — Elle lui prit les deux mains. — Regardez-moi bien… Là ! vous savez si mon père m’aime, n’est-ce pas ?… Vous savez s’il sera désespéré, quand… enfin… quand je n’y serai plus ; eh bien ! promettez-moi, George, jurez-moi que vous l’aimerez, que vous le consolerez…, que vous serez pour lui comme un fils, un bon fils… Pensez qu’il n’avait que moi !

— Pourquoi toujours parler de mourir, mon enfant adorée ? À votre âge !… ajouta-t-il en essayant de sourire.

La jeune fille soupira :

— George, dites-moi que vous aimerez mon père.

Grenville sanglotait. Il promit, il jura tout ce qu’elle voulut… ; il promit d’être fort, de rester là jusqu’au bout, et de veiller sur Beaumont…

— Pensez qu’il sera seul au monde ! lui dit tout bas la jeune fille.

Il n’en pouvait plus ; il s’écria :

— Mais, vous me navrez… Pourquoi me faire tant souffrir ? Je vous aime, je vous sauverai ! Nous serons heureux, bien heureux, mon ange !

… La voix mystérieuse disait toujours :

« Trop tard, trop tard ! »

. . . . . . . . . . . . . . .

Le soleil était couché ; les oiseaux dormaient depuis longtemps. La mer, calme et unie comme un lac, roulait doucement ses grandes ondes bleues… Dans le lointain, une voix jeune chantait une vieille romance plaintive, qui arrivait en longues bouffées mélancoliques jusqu’aux oreilles d’Alice.

Une veilleuse éclairait faiblement la chambre de la jeune fille ; une chambre toute blanche, qu’on avait parée autant que possible ; un bouquet de fleurs riait sur la table, de longs rideaux de mousseline encadraient les fenêtres. Quelle baguette de fée avait donné à cet ensemble le même air chaste et gai, le même reflet de candeur paisible, d’insouciance rieuse qu’avait la chambre faille blanche et bois de rose de l’ancien hôtel Beaumont ?

Dame Gründen tricotait dans un coin ; sa vieille figure sereine, à moitié endormie, se dessinait sur le mur en une grande ombre active ; les longues brides de son bonnet rose volaient de droite à gauche sur ses épaules, et ses infatigables aiguilles à tricoter se choquaient régulièrement avec un petit bruit sec.

Dix heures sonnèrent. Le chien, couché au pied du lit, poussa un long gémissement.

— Paix, César, dit Beaumont, en le caressant, Minny dort.

L’animal se tut et reprit sa place ; mais il dressait les oreilles par moments et ébauchait un hurlement sourd, comme un bon chien qui entend l’ennemi.

Oh ! il savait bien, lui… Il entendait la visiteuse qui frappait à la porte, une visiteuse impitoyable qui ne s’en irait pas seule.

Il la voyait, défiant verrous et obstacles, entrer toute sombre et dure dans cette chambre silencieuse… Il entendait son pas léger, sa voix lugubre ; il sentait déjà, tout près de lui, son souffle glacé. Elle disait : « Viens !… » Et il ne voulait pas qu’elle entrât ; il voulait lui barrer le passage, défendre l’enfant !

Elle entra cependant…

Le chien alors poussa un grand cri.

— Taisez-vous ! fit Beaumont d’une voix impérieuse.

Alice se souleva sur ses oreillers :

— George, murmurèrent les lèvres pâlies.

Le jeune homme s’approcha du lit.

— George, je t’aime…

La jolie tête pâle retomba lentement sur l’oreiller…

Les grands yeux de velours se fermèrent à jamais… La visiteuse s’envola, emportant une petite âme toute blanche et pure… Un rêve idéal, une jeune fille évaporée.

Pauvre lady Fauvette !

FIN DE LADY FAUVETTE.