La vie de Rabban Hormizd et la fondation de son monastère d’al-Kôsh

BIBLIOGRAPHIE.


The life of Rabban Hormizd and the foundation of his monastery at Al-Kôsh, a metrical discourse by Waḥlê surnamed Sergius of Adhorbaijan ; the syriac text edited with glosses, etc., from a rare manuscript by E. A. Walus Budge, Keeper of the Department of Egyptian and Assyrian antiquities in the British Museum. — Semitische Studien, Ergänzungshefte zur Zeitschrift für Assyriologie, herausgegeben von Carl Bezold, Heft 2-3. Berlin, 1894, in-8o, VIII et 168 pages.

L’auteur du poème syriaque que publie M. Budge était, comme le savant éditeur nous l’apprend, un moine du couvent de Rabban Hormizd, nommé Sergis et originaire de l’Adherbaijân[1] ; mais il est muet sur le temps où il vivait. Ce poème se trouve avec une Vie d’Hormizd en prose dans un manuscrit conservé dans le monastère de ce saint nestorien. Lors de son voyage en Orient, M. Budge se procura une copie de ce manuscrit ; il a donné, dans le premier volume de son ouvrage intitulé The Book of the Governors, p. CLVII-CLXVII, une analyse accompagnée d’extraits syriaques, de La Vie en prose écrite par Simon, disciple de Mâr Iozadaq, un contemporain et un ami de Rabban Horzmid, qui vivait au viie siècle. Quand on compare le poème de Sergis avec cette analyse, il devient évident que Sergis avait sous les yeux La Vie en prose, dont il rapporte fidèlement les divers récits en les ornant d’un bizarre vêtement poétique, comme on le verra plus bas. C’est aussi la rédaction de Simon qui a dû servir de canevas à l’homélie d’Emmanuel de Beith-Garmaï et à une autre homélie de peu d’intérêt, composée par Adam d’Aqra[2].

Le poème de Sergis comprend, en dehors du prologue et de l’épilogue, vingt-deux chapitres ou chants, correspondant aux vingt-deux lettres de l’alphabet syriaque. D’étendue diverse, ces chants se composent de vers rimés de douze syllabes, se divisant en trois mesures de quatre pieds et accouplés deux par deux ; dans chaque chant, tous les vers se terminent par la lettre de l’alphabet à laquelle le chant correspond.

On trouve des compositions poétiques d’un genre analogue dans le Liber thesauri du P. Cardahi, mais ce qui fait le caractère particulier de l’œuvre de Sergis, c’est une recherche exagérée de mots inusités, de néologismes d’une singulière audace, de locutions détournées de leur sens usuel. L’auteur semble, à l’instar d’Abdischo de Nisibe dans son Livre du Paradis, vouloir disculper la langue syriaque du reproche de pauvreté, et montrer qu’elle peut rivaliser en richesse avec l’arabe. Il en arrive à composer de véritables rébus, dont on n’aurait la clef qu’en feuilletant les lexiques de Bar Ali et de Bar Bahloul, si un commentaire marginal n’épargnait au lecteur ce travail, en reproduisant les gloses explicatives de ces lexiques. C’est en effet à Bar Ali et à Bar Bahloul que Sergis doit souvent sa science linguistique, et tout porte à croire qu’il a écrit de sa propre main les gloses marginales qui éclairent le texte.

Quelques exemples montreront jusqu’à quel point peut aller l’artifice en pareil cas : le nom biblique Argob ܐ݂ܿܪܓܘܿܒ est employé dans le sens de « vision », v. 1168, parce que les lexiques y voyaient les mots « vision de l’élevé » רֳאִי נָבֹהּKédar ܩܸܕܵܪ, signifie « lieu obscur, enfer », v. 3193, parce qu’il est expliqué par ܚܫܘܟܐ dans BB. ; — ܦܠܘܡܥܝ = « introduit », v. 1982, parce qu’on lui attribuait ce sens dans le passage de Daniel, VIII, 13 ; — ܗܕܐܝܠ — « autel », v. 2387, sens et forme altérés des lexiques pour le הַרְאֵל d’Ézéchiel ; ܕܓܼܿܠ = « regarder », v.  2347, 3000 et 3034, sens que les lexiques donnent à ce mot dans le passage très douteux de Habbacouc, III, 5 ; — ܪܼܿܥܡܣܝܣ Ramsès, v. 3705, veut dire « effroi », suivant l’étymologie fantaisiste des lexiques[3] ; — ܩܝܼܣܵܘܣ « mauvais désir », v. 3720, avec la glose ܪܓܛܐ ܫܟܝܪܛܐ que l’on retrouve dans quelques manuscrits de Bar Bahloul. En fait c’est le grec κισσός que Bar Bahloul explique par une espèce de buisson ܙܢܐ ܕܣܲܢܝܐ. Un lecteur a compris mœurs dépravées et il a ajouté la glose reproduite par Sergis.

Après de tels exemples on est peu surpris que Sergis reproduise les mots estropiés par les lexiques, tels que : ܐܡܛܘܢ « bandage », v. 2434, comp. BB., 185, 6, tandis que ܐܡܩܛܘܢ, BB, 192, 23, est meilleur, si c’est le grec μικτόν « emplâtre », comme l’a supposé M. S. Fraenkel, Wiener Z., 1885, p. 185 ; — ܟܠܛܘܢܪ, v. 3147, avec le sens ܪܒܚܝܠܐ, d’après BA., no 4729 ; BB., donne plus exactement ܟܠܛܘܠܪܐ = καρτουλάριος, expliqué par « secrétaire intime » ; ܢܓܵܠ « vite », v. 1771 et 1856, est emprunté aux lexiques qui l’ont sans doute inséré à tort, car il semble corrompu de ܥܓܠ ; — ܩܘܪܕܝܠܝܣ « petit chien », v. 2710, comme dans BB., comme si c’était κυνίδιον, tandis que, en fait, c’est κροκόδειλος « crocodile ». On reconnaît facilement la source où puise Sergis, quand on compare avec les gloses de BA. et de BB. les notes 2 et 3 de la page 112, note 3 de la page 117, note 7 de la page 131, etc. Sergis est bien l’auteur de ces notes, car il insère dans un de ses vers, 1984, les mots : ܕܠܘܬ ܡܕܡ ܗܿܝ ܕܦܪܘܣܛܝ qui ne sont autre chose que la glose de BB. : ܕܦܪܘܣܛܝ ܗܿܝ ܕܠܘܬ « πρὸς τι a le sens de vers quelque chose ».

Les mots grecs que l’on trouve en quantité dans les lexiques forment une des richesses poétiques de Sergis.

Grâce à ses notes explicatives, cet auteur ne craint point l’embarras que pourrait causer au lecteur un double sens qu’il attribue à un même mot : ainsi ܐܸܬܚܠܸܠ, v. 2289, a le sens de « se réjouir » ; il est dérivé de ܚܠܘܠܐ « repas de noces » ; mais, v. 2397, il signifie « être détaché », d’après ܚܘܠܐ « ce qui est licite, libre ».

Dans le dernier chant figure toute une série d’adverbes de la manière, avec la terminaison ܐܝܬ accolée à quantité de noms, et notamment à des noms propres bibliques.

Si nous avons insisté, peut-être longuement, sur le caractère artificiel de cette composition, nous l’avons fait dans un double but. D’abord pour montrer qu’elle n’a pu être composée avant le xe siècle, à la fin duquel vivait Bar Bahloul ; elle appartient certainement à une époque où le syriaque n’était plus qu’une langue littéraire. Sa date est vraisemblablement plus basse encore : Sergis était originaire de l’Adherbaidjân, or il n’est pas fait mention de nestoriens dans ce pays, avant le xiie ou même peut-être le xiiie siècle. En second lieu, nous avons cherché à indiquer dans quelle mesure cette publication devait être utilisée pour les dictionnaires syriaques en cours de publication.

Abstraction faite des mots de pure fantaisie, le lexicographe recueillera dans cette publication d’utiles matériaux. Nombre de mots qui n’étaient connus que par les lexiques orientaux et que l’on pouvait tenir pour des termes vulgaires reçoivent une consécration littéraire. D’autres sont nouveaux, mais de bon aloi. Tel est peut-être ܓܼܿܘܚܵܐ tombeau », v. 1582[4] qui ne s’était rencontré que dans des inscriptions nabatéennes et que l’on croyait de source arabe. Tout récemment il a été constaté, sous la forme נמח, dans une inscription palmyrénienne publiée par M. Nœldeke, Z. für Assyriologie, IX, p. 264-267 ; comparer G. Hoffmann, ibid., p. 829 et suivantes. Également intéressants sont : ܣܸܕܠܐ « rang », v. 911 et 2367 ; ܡܣܬܕܠܝܢ « qui sont en rang », v. 3241 peut-être à comparer avec l’arabe سِدل « rangée de perles » ; — ܒܢܝ̈ ܐܡܢܐ[5] « confrères », v. 1658 ; — ܒܠܛ « surgir », v. 1890, 1903, 1922, 1953, à comparer dans ce sens avec ܦܠܛ ; — ܙܼܿܦܬܪܐ « offrande aux idoles », v. 2512, au lieu de ܙܼܿܘܬܪܐ ; mais la prononciation restait la même, l’orthographe ܙܦܬܪܐ avait pour but de conserver intacte la diphtongue de la syllabe zau et d’empêcher sa simplification en o.

Signalons, en dernier lieu, quelques particules qui n’étaient connues que par la grammaire de Barhebrœus ou le lexique de Bar Bahloul : ܒܐܵܒܵܕܝܵܐ « de même », v. 57, 1983, 2210, 2945, comparer notre Traité de gramm. syr., p. 286 ; — ܬܼܿܪ « chez », avec les suffixes ܬܼܿܪ̈ܝܟ, ܬܼܿܪ̈ܘܗܝ, v. 2173, 2327, 2344, 3901, 3087, 3218, 3257 ; BB., 1664, 19 ; Traité de gramm. syr., p. 278.

La nouvelle publication de M. Budge rendra, on le voit, de bons services aux études syriaques. La notation des voyelles facilite la lecture de ce texte ardu. Signalons en terminant quelques légères incorrections : p. 11, note 6, lire formé de αὐλητρίς, -ίδος, au lieu de λυρῳδεῖν, comparer BB., 64, 17 ; 960, 6 ; 963, 3 ; 1091. 4 ; — v. 378, ܘܫܕܝܬ au lieu de ܘܫܪܝܬv. 382, les mots ܐܒܘܢ ܙܗܝܐ appartiennent au vers suivant ; — v. 468, ܒܢܼ̈ܫܹܐ au lieu de ܒܢܼܫܵܐ ; — v. 608, ܡܿܢ au lieu de ܡܼܢ ; — v. 635, ܪܼܿܨܨܼܿܬ au lieu de ܪܼܿܨܸܨܬ ; — v. 672, ܢܘܼܪ̈ܵܢܵܝܹܐ au lieu de ܢܘܼܪ̈ܢܵܝܹܐ ; v. 1003, ܕܡܸܨܛܼܿܒ̈ܝܵܢܹܐ au lieu de ܕܡܸܨܛܼܿܒ̈ܝܼܢܹܐ ; — v. 1143, ܠܣܸܕܪܼ̈ܿܝ au lieu de ܠܼܿܣܕܪܼ̈ܿܝ ; p. 71, note 1, σκώληξ au lieu de σκύλαξ ; — v. 1522, ܦܼܝܪܘܿ = ܦܝܪܘܬܐ de πῦρ, au lieu de ܟܝܼܪܘܿ ; — p. 80, note 4, ܒܿܙܥܝܢ au lieu de ܒܿܙܥܝܢ ; — v. 1704, ܩܿܒܸܠ au lieu de ܩܿܩܸܠ ; — v. 1710, ܡܼܿܫܚܸ au lieu de ܡܸܫܟܿܙ ; comparer v. 1719 ; — v. 1799, ܐܬܡܚܡܚ au lieu de ܐܬܡܚܡܝ ; — v. 1869, ܠܥܘܘܩܒܐ au lieu de ܠܠܘܩܒܐ ; — v. 1879, ܘܠܡܥܒܕ̈ܝܗܐܢ au lieu de ܠܡܥܡܪ̈ܝܗܘܢ comp. v. 1887 ; — p. 91, ܐܒܥܘ au lieu de ܐܒܠܘ, comp. p. 92, note 3 ; — p. 98, notes 2 et 3, ajouter : c’est le grec κυνάνθρωπος, loup-garou dont les maléfices s’exerçaient pendant le mois de février, voir Journ. Asiat., 1892, 8e série, t. XIX, p. 156 ; comp. Budge, The Book of Gov., I, CLXV, l. 8 du texte ; le nom de la sorcière égyptienne qaqi, v. 2027, et The Book of Gov., I, clxv, l. 8 du texte, est le grec κακή ; « méchante » ; — v. 2046, ܐܥܵܬܐ « sujet de risée », au lieu de ܐܵܥܬܐ, voir Hoff., Auszüge, note 876 ; — v. 2155, ܠܐܪܟܘܢ au lieu de ܠܥܪܟܘܢ, comp. v. 2172 ; — v. 2178, ܘܩܸܪܚܵܘܬܗܐܢ « et leur dispute », au lieu de ܘܩܸܪܵܚܘܬܗܐܢ30 ; — p. 105, note 3, ܗܟܵܟܐ au lieu de ܥܟܵܟܐv. 2330, ܒܐܘܼܪܚܵܐ au lieu de ܒܐܘܼܪܵܚܐp. 116, note 7, la glose s’applique à ܫܵܡܝܼܪܐ du vers 2399 ; — v. 2453, ܘܠܡܘܬ ܠܐ au lieu de ܘܠܡܘܬܠܐ, comme le veut la mesure ; — v. 2509, ܛܘ܈ܥܚܼܿܗܘܢ au lieu de ܛܘ܈ܥܚܼܿܗܘܢ ; — v. 2516, ܫܠܵܡܐ au lieu de ܫܵܠܡܐv. 2605, ܕܥܬܝܩ̈ܬܢ au lieu de ܕܥܬܝܩ̈ܬܝܢ ; — p. 130, note 3, ματαιότης au lieu de μεταιότης ; — p. 131, note 8, πληροφορῆσαι au lieu de πληροφόρησον ; — v. 2791, ܕܵܘܝܵܐ au lieu de ܕܵܝܘܝܵܐ ; — v. 2912, ܟܬܵܒܵܝܗܘܢ au lieu de ܟܵܬܒܵܝܗܘܢ ; — v. 3000 et 3034, ܕܓܼܿܠ au lieu de ܕܓܵܠ, comp. v. 2347 ; — p. 150, note 2, ܨܸܝܕ au lieu de ܚܕ, comp. p. 105, note 3 ; — p. 154, note 1, ܫܘܼܚܵܪܐ au lieu de ܡܣܚܵܪܐ ; et note 2, ܕܢܿܦܚ au lieu de ܕܢܦܘ, comp. Hoff., Opusc. nest., 113, 12 ; — p. 157, note 6, ܣܕܪܐ au lieu de ܣܕܕܐ, comp. p. 44, note 1 ; — v. 3406, ܠܦܘܬ ܡܐ au lieu de ܠܦܘܬܡܐ ; — v. 3445, ܬܼܿܒܼܿܪܬ au lieu de ܬܼܿܒܪܼܿܬv. 3446, ܒܥܝܼ au lieu de ܒܠܝܼ.

Ce sont là des fautes peu importantes dans un texte aussi difficile. Ce volume, d’une belle exécution typographique, fait honneur à l’éditeur et à l’imprimeur[6].

Rubens Duval.
  1. Cette notice se trouve dans le prologue et l’épilogue du poème. Dans le prologue on lit : ܕܫܸܡ ܠܸܗ ܘܼ܁ܚܠܸܐ ܟܘܼܢܵܝܐ : ܡܪܝ ܣܼܿܪܓܝܼܣ ܐܼܿܕ܁ܘܪܒܼܿܝܓܵܝܵܐ « qui porte le nom (c’est une agréable dénomination) de Mâr Sergis, de l’Adherbaidjân. » M. Budge a compris que le nom de l’auteur était Wahlé et son surnom Sergius.
  2. Ces deux homélies se trouvent dans le Liber thesauri de arte poetica Syrorum, publié par le P. Gardahi, p. 102 et 142. M. G. Hoffmann a traduit la première dans ses Auszüge aus syrischen Acten persischer Märtyrer, p. 19 ; comp. ibid., p. 179. La différence du nom de l’idole, appelée Zakkai dans Emmanuel et Mat’yai dans Simon et Sergis, ne suffit pas pour indiquer une autre source.
  3. C’est également le sens qu’il a dans l’homélie d’Adam d’Aqra. Cardahi, Liber thesauri, p. 103, v. 14.
  4. Ce mot est écrit ܓܵܘܚܹܐ ; le mètre exigerait un mot de trois syllabes ; mais le sens de « tombeau » n’est pas douteux. M. G. Hoffmann m’écrit qu’il lit ܓܘܼ̈ܚܸܐ = ܓܘܼ̈ܢܚܸܐ « terreurs » ; le sens est moins satisfaisant et le vers reste boiteux.
  5. Il faut lire ܒܢܝ̈ ܐܡܢܗ au lieu de ܒܢܝ̈ ܐܒܢܗ dans Cardahi, Liber thesauri, 143, 4, d’en bas ; Hoffmann, Auszüge, note 153.
  6. Ce compte rendu a été remis à la rédaction du Journal asiatique au mois d’octobre dernier. L’abondance des matières a été cause qu’il n’a pas paru plus tôt.