Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 31-35).

VI

Infirmités morales et physiques.

Elle raille la maigreur de certaines femmes, par malheur son obésité lui cause un chagrin qu’elle oublie parfois de dissimuler ; le dépit l’inspire mal.

Mais ce n’est pas seulement son embonpoint qui la navre, la maturité arrive à grands pas avec son cortège hideux d’infirmités et de dégradations physiques.

Sa femme de chambre, sans s’inquiéter du préjudice qu’elle cause à sa maîtresse, raconte à toutes les commères du quartier que Marie Pigeonnier possède un magnifique râtelier qui ne lui a pas coûté moins de quarante louis, et qu’elle en a commandé un de rechange.

Où la contrebande va-t-elle se nicher ; la même femme de chambre assure encore que notre suave héroïne a des faux cheveux partout. On n’est pas Belge pour rien, sais-tu.

Je glisserai sur une particularité qui m’a été affirmée, mais dont je n’ai pu me procurer la preuve ; qu’on ne s’étonne pas si je me borne à la signaler.

Cela ne date pas de loin ; quatre ans au plus.

On la voyait partout avec une créature étrange et qui lui marquait un profond attachement.

Les méchantes langues racontaient à ce sujet des choses vraisemblables, d’autant qu’à la même époque Marie Pigeonnier affectait d’éviter la société masculine.

Cela ne serait pas bien grave, et loin de moi la pensée de lui en faire un crime.

Ce ne fut d’ailleurs, si toutefois cela a été, qu’une crise un peu prolongée ; une erreur, un égarement de quelques mois.

Elle est refroidie aujourd’hui, et puis comme elle a un vieux fond d’avarice, l’intérêt l’a emporté sur la… gourmandise.

Par exemple, je n’ai jamais rencontré un type aussi accompli d’avare-prodigue.

Non pas qu’elle jette l’argent par les fenêtres, au contraire, elle l’enferme dans un secrétaire orné d’une belle serrure de sûreté.

Alors, me direz-vous, de quelle manière se manifeste sa prodigalité ?

D’abord, c’est un vrai souillon et le désordre de sa garde-robe est une mine inépuisable qui fait la joie et la fortune de ses femmes de chambre.

Elle dépense beaucoup pour sa toilette, et voyez-la passer sur le boulevard, on dirait un torchon ; les cuisinières bourgeoises s’habillent mieux et avec plus de goût qu’elle ; je l’ai vue dernièrement à une première, elle avait l’air de ma concierge endimanchée. Autrefois elle se ficelait mieux.

Quelques bijoux de valeur, qu’elle sort rarement, la rehaussent aux yeux de ses habitués.

Cependant elle a eu ses heures de coquetterie, et je l’ai connue appelant à son secours pour charmer, et la dentelle, et les broderies, et la soie, et le velours.

Aujourd’hui les belles choses lui vont à peu près comme un habit de diplomate à un âne.

Une femme grasse est difficilement gracieuse, on en rencontre pourtant, mais cet oiseau est rare, et Marie Pigeonnier se ballonne à vue d’œil.

Ses intimes lui ont conseillé de faire de l’équitation ; mais depuis son aventure des 3,000 francs, elle ne peut se tenir en selle.

Son médecin lui a prescrit l’escrime. Hélas ! elle ne peut se fendre.

Si elle veut m’écouter, elle maigrira en une année à rendre des points à sa bonne camarade *** ; elle n’a pour cela qu’à suivre un régime peu compliqué, et en même temps peu dispendieux ; le voici : se purger tous les matins, excepté le dimanche ; déjeuner à deux heures de l’après-midi avec trois sous de lentilles ; boire un verre d’eau distillée ; faire une promenade de deux heures dans les égouts ; souper avant de se coucher avec des radis et du sel ; dormir sur un sac de noix ; à part cela ne se refuser aucune satisfaction.

Que le lecteur me pardonne cette plaisante divagation, si j’ai cédé à un mouvement de gaieté, c’est que vraiment je ne puis garder mon sérieux, quand, par la pensée je me représente Marie Pigeonnier se serrant dans son corset.

À présent, je reprends le ton grave qui convient à une biographie scrupuleusement écrite.

À nous la plume de Chateaubriand !