Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 107-109).

XX

En troisième classe

Afin de ne pas éveiller les soupçons, elle prit un billet de troisième classe ; la police allemande n’était pas assez fine pour venir l’y dénicher.

Elle quittait Berlin d’assez piteuse façon.

Le retour fut pénible.

Sa graisse, faisant coussin, amortissait, il est vrai, les cahotements du wagon ; mais habituée aux moelleux fauteuils et aux lits de plume, la planche lui rompait les membres.

Elle débarqua à Paris, brisée ; elle se dirigea péniblement jusqu’à l’hôtel le plus voisin de la gare, et là, d’un sommeil tourmenté et inquiet, elle dormit près de vingt-quatre heures.

En se réveillant elle se croyait encore dans le compartiment de troisième classe ; après avoir regardé autour d’elle, elle se souvînt.

La faim commençait à la tourmenter.

Elle se leva, et alors seulement, se rendit compte de l’impossibilité de sortir dans Paris, sous ses nippes de cuisinière.

Dans sa préoccupation d’échapper à la police berlinoise, elle avait pris une poignée de monnaie et s’était rapidement tirée des pieds.

Sauver d’abord sa peau, on aviserait ensuite.

Elle se résigna à s’habiller.

Il fallait bien descendre pour manger.

Les idées viendraient en digérant.

Elle descendit donc, et allait entrer dans la salle de restaurant, s’asseoir à la table d’hôte, quand le maître d’hôtel l’invita à passer à l’office où l’on servait le dîner des domestiques.

Furieuse, mais comprenant que toute protestation était inutile, elle paya sa chambre et sortit.

Elle alla dîner dans le premier bouillon qu’elle rencontra.

Comme une égarée, cherchant son chemin, elle erra à travers les rues, sans se décider à prendre une direction.

Elle coucherait encore une nuit à l’hôtel, le lendemain, elle irait au Temple, se nipper un peu moins misérablement, et elle attendrait des nouvelles et son argent d’Allemagne.

Cela ne pouvait manquer d’arriver dans les vingt-quatre heures.

Ayant ainsi arrêté son programme de rentrée à Paris, elle ne traîna pas inutilement dans les rues et rentra dans un hôtel, encore mal remise de son voyage en troisième classe.

Elle dormit plus paisiblement et le lendemain elle était tout à fait d’aplomb.