Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 89-92).

XVI

Une combinaison ingénieuse

Son associée, qui lui racontait les nouvelles qu’elle lisait dans les journaux allemands, lui apprit qu’on annonçait l’arrivée prochaine à Berlin d’un grand personnage français.

— Son nom ? demanda Marie.

— Je l’ai oublié. Mais attendez, la feuille où j’ai lu cette information est dans ma chambre, je vais aller vous la chercher.

Marie put lire bientôt le nom d’un des plus ardents bienfaiteurs de sa jeunesse.

Elle tenait sa combinaison.

Son cher Gustave ne pouvait avoir conservé d’elle que d’excellents souvenirs ; il serait enchanté de la retrouver en pays étranger et ne lui refuserait certes pas ses services.

Restait à étudier de quelle façon Gustave pourrait lui être utile à Berlin.

Elle consulta à ce sujet son associée ; la vieille allemande était vicieuse, mais manquait de malice.

La question l’embarrassa.

Peut-être lui venait-il de bonnes idées, mais elle craignait tellement de donner un conseil maladroit, qu’elle préféra garder le silence.

Pourtant elle reconnaissait qu’il y avait un bon parti à tirer de la présence de ce grand personnage à Berlin, surtout qu’il devait être reçu par…

Holà ! qu’allais-je faire ! Un mot de plus et ce que je raconte aurait l’air d’être arrivé, et le lecteur se souvient que, dans l’avant-propos, j’ai déclaré que tout ce que je racontais était de pure invention.

Évidemment, ce serait plus piquant, si c’était arrivé ; mais je n’écris ni des mémoires, ni de l’histoire, je ne fais que du roman.

Marie Pigeonnier avait une occasion inespérée de se relever à Berlin ; elle serait sotte de n’en point profiter.

Comment s’y prendrait-elle pour entortiller Gustave, sans le compromettre ?

Elle n’avait pas trop de temps pour prendre ses dispositions et préparer l’attaque ; Gustave était attendu dans les trois jours.

Marie ne dormait plus, entièrement absorbée par la recherche d’un plan ; elle mettait son esprit à la torture.

Enfin, elle s’arrêta à l’idée la plus simple et la seule pratique.

Rendre une visite à Gustave qui la recevrait avec enthousiasme ; on l’avait toujours traitée en artiste à Berlin, rien d’étonnant à ce qu’un grand personnage honore de sa protection une compatriote, femme de théâtre d’un certain renom.

Elle l’inviterait à une soirée intime, à laquelle serait conviée la meilleure société, que le nom de Gustave suffirait à engager à venir, et le salon de Marie Pigeonnier serait classé du coup.

Elle se procurerait facilement quelques élégantes ; en une heure la réputation de Marie Pigeonnier serait établie ; on ne parlerait plus dans les cercles, dans les salons, que de son amabilité, de sa grâce, de ses sourires, de son esprit,… surtout de son esprit, de son goût, de sa gaieté, de son tact, de sa parfaite distinction.

Il ne tenait qu’à Gustave de lui faire décerner par acclamation un brevet de femme de haut ton ; et il n’avait pour cela qu’à venir boire un verre de champagne chez elle. Il ne pouvait lui refuser cela.

Aussitôt que son plan fut bien arrêté, elle en fit part à l’Allemande, qui l’approuva fort, et elle la chargea d’organiser une belle réception ; Marie se réservant les invitations.

Une petite annonce dans un journal ferait savoir que Gustave viendrait à cette fête, et le tour serait joué.

La combinaison était certainement ingénieuse et ne présentait point de sérieuses difficultés d’exécution.