La vie dans la nature et dans l’homme/02

Librairie J.-B. Baillère & fils (p. 13-23).

II

Un seul fluide électrique.


Le fluide électrique est unique.

De ce fluide, deux courants contraires, différents d’intensité et de propriétés, l’un composant, toujours chargé d’oxygène[1], l’autre décomposant, toujours chargé d’hydrogène, traversent tous les corps et tous les espaces dans toutes les directions.

Dans tous les corps stables et dans tous ceux qui passent de l’état gazeux à l’état liquide, ou de celui-ci à l’état solide, le courant composant est le plus puissant.

Dans tous les corps qui marchent de l’état solide vers l’état liquide ou vers la volatilisation, le courant décomposant est le plus énergique.

L’action et l’intensité différentes de chacun des deux courants ont fait supposer l’existence de deux électricités, l’une positive, l’autre négative.

L’existence permanente de deux courants contraires, inhérents à tous les atomes, à tous les corps et à tous les espaces qu’ils sillonnent dans toutes les directions, l’intensité différente de chacun de ces courants, les actions décomposante de l’un, et recomposante de l’autre, et les propriétés différentes des deux gaz dont ils sont chargés, permettent d’expliquer les phénomènes produits par l’électricité, sans qu’il soit nécessaire d’admettre deux fluides, non plus que deux états différents, l’un statique, l’autre dynamique, d’un même fluide.

L’électricité n’existe jamais à l’état statique ; ce que nous considérons comme l’état statique est l’état dynamique normal, dont nous n’avons pas conscience, de même que nous n’avons pas conscience de la pression atmosphérique au degré normal et compatible avec l’exercice physiologique de toutes nos fonctions[2].

La pression, le frottement et la percussion augmentent l’intensité des courants, et, par suite, portent au-dessus de la normale la puissance de l’électricité par influence et par contact. Nous avons alors la notion de l’existence du fluide comme nous acquérons celle de la pression atmosphérique lors que celle-ci descend trop au-dessous de la normale.

C’est avec raison que Wollaston a attribué à l’oxydation le développement de l’électricité par le frottement. Cet acte mécanique agit en apportant sans cesse au contact des corps frottés l’oxygène atmosphérique, qui brûle plus activement l’hydrogène mis en liberté par le courant décomposant de ces corps, et, dès lors, provoque une plus grande activité de ce courant et de son antagoniste. Le frottement agit dans la circonstance absolument comme le courant d’air sur un foyer de combustion.

Il est vrai que Gray a démontré que le frottement développe de l’électricité dans le vide[3], et que Gay-Lussac a reconnu qu’il peut aussi en développer dans l’acide carbonique sec. Mais ces deux faits n’infirment nullement l’opinion de Wollaston, car le vide ne pouvant jamais être absolu, et l’acide carbonique contenant de l’oxygène (que, du reste, suivant notre théorie, le fluide peut extraire de tous les corps), ce dernier gaz ne peut, dans ces deux expériences, faire complétement défaut.

L’intensité des courants électriques tend toujours à se propager d’un corps à un autre corps, à travers l’espace, et le rayonnement ou échange continuel de fluide, qui existe ainsi entre tous les corps et tend à les mettre en équilibre d’électricité comme de température, constitue l’électrisation par influence ou par induction, dont l’action est en raison directe de la quantité d’électricité dont les corps sont chargés et en raison inverse du carré de la distance. C’est ce rayonnement, cet échange de fluide, cette électrisation par influence qui détermine l’endosmose et l’exosmose. Les gaz et les liquides ne traversent pas en nature les membranes ; ils sont décomposés, réduits à l’état de fluide d’un côté des membranes, et recomposés de l’autre côté.

C’est aussi ce rayonnement qui donne lieu au phénomène du pendule électrique. Lorsqu’un corps est électrisé, le rayonnement de son fluide électrise le milieu ambiant ; l’activité de ses courants se propage à ceux de ce milieu et des corps qu’il contient. Ces derniers courants, selon la direction du plus fort d’entre eux, tendent alors à porter vers le corps électrisé, ou à en éloigner tous les corps qu’ils trouvent sur leur passage.

Si ces derniers corps ne sont pas fixes, ils sont, dans le premier de ces deux cas, portés vers le corps électrisé, jusqu’au moment où le contact les met en équilibre de fluide avec celui-ci. À partir de ce moment, ils sont eux-mêmes électrisés, et ils influencent dans leur sphère d’action les courants atmosphériques qui, de tous côtés, se dirigent vers eux. Et c’est ainsi que la résultante de ces derniers ramène dans la verticale le pendule primitivement entraîné contre les lois de la pesanteur.

Il y a donc impulsion, entraînement par les courants, et non pas attraction par les corps électrisés.

Les corps ne s’attirent pas mutuellement, mais ils sont poussés, entraînés les uns vers les autres par les courants de l’atmosphère, avec d’autant plus d’énergie que leurs courants propres sont mieux combinés avec ceux de l’atmosphère. Cet entraîne ment constitue le vis à tergo[4].

Nous ne pensons pas qu’il existe, une véritable attraction entre les deux courants ; mais il nous semble probable que le vide relatif, que tend à produire la combustion de l’hydrogène par le courant centripète, provoque une plus grande activité des deux courants. Ceux-ci s’alimentent mutuellement : le courant décomposant livre au courant recomposant les éléments de son action que ce dernier lui restitue sous une nouvelle forme ; et de nouveau celle-ci sera soumise au mouvement décomposant.

Et, d’un autre côté, un corps à l’état gazeux occupant un espace beaucoup plus considérable que le même corps à l’état liquide ou solide, la diminution d’activité du courant décomposant peut, à son début, donner lieu à un vide relatif qui sollicite l’action du courant contraire.

La conductibilité électrique d’un corps est la propriété que possèdent ses atomes de s’influencer réciproquement, de mettre instantanément tous leurs courants moléculaires en équilibre d’électricité, d’orienter tous ces courants et de les combiner rayon à rayon avec ceux du milieu et des corps dont ils subissent l’approche ou le contact. Un corps est donc d’autant meilleur conducteur que cette électrisation par influence s’opère plus facile ment et plus promptement[5].

Les deux électricités dont l’existence a été supposée sont représentées : l’une, dite négative, par le courant décomposant, l’autre, nommée positive, par le courant recomposant.

Les corps dans lesquels le mouvement de composition l’emporte sur le mouvement contraire ont été dits électrisés positivement ; ceux dans lesquels domine le mouvement décomposant ont été considérés comme électrisés négativement[6]. Ces derniers sont souvent ceux dont la surface chagrinée favorise l’accumulation du fluide hydrogéné sur les aspérités, et, par suite, la décomposition de leur substance.

Un corps semble à l’état neutre lorsque ses deux courants contraires, faibles d’ailleurs, se font sensiblement équilibre. Mais cette neutralité n’est que relative : tel corps peut être à l’état neutre pour un sujet et très-électrisé pour un autre, selon que la résultante plus ou moins puissante des deux courants propres à chacun des observateurs échappe ou non à l’influence de ce corps.

Dans un corps électrisé, le courant positif ou composant domine à l’une des extrémités ; le courant négatif ou décomposant l’emporte à l’autre

extrémité ; et l’état neutre persiste en un point situé à une légère distance de la ligne médiane.

Lorsqu’on frotte l’un contre l’autre deux corps de nature quelconque, deux disques, par exemple, leurs courants s’activent, se combinent, et les deux corps n’en forment réellement qu’un seul, composé de deux parties extrêmes dans l’une desquelles domine le mouvement décomposant, tandis que dans l’autre le mouvement recomposant est le plus intense[7].

Si, dans cet état, les deux disques sont séparés brusquement, ils influencent différemment la sphère atmosphérique dans laquelle est suspendue une balle de sureau préalablement électrisée, et celle-ci est attirée par l’un et repoussée par l’autre.

Si les deux disques sont présentés au pendule sans être séparés, il ne se manifeste ni attraction ni répulsion, parce qu’alors les deux mouvements se font sensiblement équilibre et n’exercent sur les courants atmosphériques qu’une faible influence, balancée par celle de la boule de sureau.

Lorsqu’un corps bon conducteur et isolé est électrisé, c’est-à-dire lorsque l’activité de ses courants est portée au-dessus de la normale, cette activité est inappréciable dans la masse du corps où les deux courants contraires se font équilibre ; mais aux extrémités et à la surface, le défaut d’antagonisme, la résistance opposée par l’air, mauvais conducteur, au passage suffisamment actif du fluide dans l’atmosphère, et enfin l’intensité acquise par le courant dans son passage à travers le corps, provoquent en ces points l’accumulation et la tension du fluide, qui devient alors d’autant plus sensible que le courant est plus énergique et que l’air plus sec s’oppose davantage à sa diffusion dans l’atmosphère.

Il est donc vrai que l’un des deux courants est plus libre et plus fort à l’une des deux extrémités et à la surface, et que le fluide s’accumule réellement en ces points. Mais il est également vrai que le fluide est en activité dans toute la masse du corps[8].

Le fluide électrique ne devient appréciable que lorsque l’un de ses courants prend une intensité de beaucoup supérieure à celle de l’autre, c’est-à-dire lorsque l’équilibre normal est rompu[9]. Et, à ce sujet, nous ferons remarquer de nouveau que la pression atmosphérique n’est également appréciée par l’homme qu’en deçà ou au-delà d’un certain degré, variable suivant les sujets et aussi suivant l’état de leur santé.

Lorsqu’un courant électrique arrive à l’extrémité pointue d’un corps conducteur électrisé, si la pointe est dans un milieu mauvais conducteur, comme l’air atmosphérique, le fluide se condense dans cette pointe et à sa surface, d’autant plus qu’elle offre moins d’épaisseur ; l’activité du courant qui passe de cette pointe dans l’atmosphère augmente avec cette condensation, à ce point que parfois la main approchée de la pointe perçoit la sensation d’un léger courant d’air qui semble en sortir. Enfin, si l’énergie des courants s’élève à un certain degré, la décomposition de la pointe devient très-active, l’hydrogène s’accumule, se condense sur la ligne du courant, même au-delà du corps, et sur une longueur variable comme l’énergie du mouvement décomposant et l’état de sécheresse de l’atmosphère ; et il en est ainsi jusqu’au moment où le courant atmosphérique contraire, chargé d’oxygène, enflamme l’hydrogène et quelquefois avec détonation. Dans l’obscurité, la lumière produite par cette combustion est visible sous l’influence de courants relativement faibles.

Ce phénomène, qui n’est autre que celui de la foudre, peut se produire de même, moins facile ment, il est vrai, sur les arêtes vives ; et c’est de lui que nous rend témoin la percussion du briquet sur le silex, lorsqu’elle fait jaillir l’étincelle.

  1. M. Edmond Becquerel a reconnu que, de tous les gaz, c’est l’oxygène qui a la plus grande puissance magnétique, et qu’un mètre cube de ce gaz condensé agirait sur une aiguille aimantée comme 5 grammes 5 de fer. (Ganot, § 603.)
    Si notre théorie est fausse, si principe vital et fluide électrique ne sont pas synonymes, il est au moins remarquable que l’oxygène, unique gaz vital, aux yeux de la science, soit précisément celui qui possède la plus grande puissance magnétique, et aussi celui qui contracte le plus de combinaisons.
  2. Selon Peltier, l’électricité ne serait qu’une modification du fluide universel qui remplit l’espace, et les mots positif, négatif, n’indiqueraient que les degrés d’un même état, à partir d’un point d’équilibre sans manifestations électriques. (Dict. de médecine, 12e édit., par Littré et Robin, Paris, 1865, p. 494, art. Électricité.)
    Nous serons contraint d’aller plus loin, si nous persistons à soutenir qu’il n’existe qu’un fluide unique ; nous serons amené à cette conséquence rigoureuse que l’électricité ne peut jamais être en repos. (Conférences du docteur Staquez, p. 21.)
  3. L’étincelle électrique ne passe pas ou mieux ne produit pas dans le vide le plus absolu que l’homme puisse faire, parce que l’oxygène et l’hydrogène n’existent pas dans ce vide en quantité assez considérable pour engendrer une réaction dont l’influence puisse déterminer dans l’encéphale de l’observateur la sensation lumineuse que nous nommons étincelle.
  4. J’ai dit quelque part que l’expérience la plus convaincante en faveur de l’attraction était celle du fer entraîné par l’aimant. Cependant, en examinant les choses avec plus d’attention, il est aisé de reconnaître que l’attraction prétendue n’y a aucune part, et que le mouvement d’impulsion est cause de tous les phénomènes de l’aimant. (Pascal, Note publiée par M. Chasles dans les comptes rendus de l’Académie des sciences, n° 4, 22 juillet 1867.)
    Et avant lui, Pascal le reconnaît dans une autre Note, Platon avait exprimé la même opinion.
    La propriété de l’aimant qui est la plus commune, et qui a été remarquée la première, est qu’il attire le fer, ou plutôt que le fer et l’aimant s’approchent naturellement l’un de l’autre lorsqu’il n’y a rien qui les retienne ; car, à propre ment parler, il n’y a aucune attraction en cela : mais sitôt que le fer est dans la sphère de la vertu de l’aimant, cette vertu lui est communiquée, et les parties cannelées, qui passent de cet aimant en ce fer chassent l’air qui est entre deux, faisant par ce moyen qu’ils s’approchent… (Descartes, Principes de la philosophie, 4e partie, art. 172, édit. de Cousin, t. III, p. 480.)
  5. Les meilleurs conducteurs sont les métaux, l’anthracite, la plombagine, le coke, le charbon de bois bien calciné, les pyrites, la galène ; puis les dissolutions salines, dont le pouvoir conducteur est plusieurs milliers de fois moindre que celui des métaux ; l’eau à l’état de vapeur et à l’état liquide, les végétaux, le corps humain et tous les corps humides. Les corps mauvais conducteurs sont le soufre, la résine, la gomme laque, le caoutchouc, la guttapercha, l’essence de térébenthine, la soie, le verre, les pierres précieuses, le charbon non calciné, les huiles, les gaz secs ; mais l’air et les gaz sont d’autant moins isolants qu’ils sont plus humides. Du reste, le degré de conductibilité des corps ne dépend pas seulement de la substance dont ils sont formés, mais encore de leur température et de leur état physique. Par exemple, le verre, qui est très mauvais conducteur à la température ordinaire, conduit lorsqu’il est chauffé au rouge. De même, la gomme laque et le soufre perdent en partie la propriété d’isoler lorsqu’on les chauffe. L’eau, qui conduit très-bien à l’état liquide, est mauvais conducteur à l’état de glace sèche. Le verre pulvérisé et la fleur de soufre conduisent assez bien. (Ganot, Traité de physique, 12e édit., § 626.)
  6. C’est sans doute à leurs rôles dans ces deux mouvements que l’oxygène et l’hydrogène doivent leurs positions dans le tableau électrique des corps simples, le premier au sommet de la série électro-négative, le second entre celle-ci et la série électro-positive.
  7. Ce phénomène a une très-grande analogie avec celui qui caractérise l’accouplement et la fécondation.
  8. M. Faraday professe une théorie sensiblement identique à la nôtre.
    « Selon M. Faraday, la tendance de l’électricité à se porter à la surface des corps conducteurs est plus apparente que réelle, et les expériences qui constatent qu’il n’y a d’électricité libre qu’à leur surface s’expliquent facilement d’une autre manière. D’après sa théorie, aucune charge électrique ne peut se manifester dans l’intérieur d’un corps à cause des directions opposées des électricités dans chacune des particules intérieures, d’où résulte un effet nul ; tandis que l’induction exercée par les corps extérieurs rend sensible l’électricité à la surface. D’après cette manière de voir, l’électricité doit se montrer seulement à la surface d’une enveloppe conductrice, quelle que soit la conductibilité ou la faculté isolante de la substance placée intérieurement. »
    (De la Rive, Traité d’électricité théorique et appliquée, Paris, 1854, t. I, p. 140.)
  9. Voir, page 14, la Note empruntée au Dictionnaire de médecine, 12e édit., par Littré et Robin.