La sainte Bible selon la Vulgate (J.-B. Glaire)/Avertissement de la seconde édition

(introductions, notes complémentaires et appendices)
La sainte Bible selon la Vulgate
Traduction par Jean-Baptiste Glaire.
Texte établi par Roger et Chernoviz, Roger et Chernoviz (p. 2299-2303).

AVERTISSEMENT

DE LA SECONDE ÉDITION


Si, comme nous en avons la preuve consolante entre les mains, notre Traduction du Nouveau Testament a reçu l’accueil le plus favorable dans toutes les parties du monde où on lit la Bible en français ; si les protestants eux-mêmes ont reconnu qu’elle rendait le texte de la Vulgate avec la fidélité la plus rigoureuse, elle a été cependant l’objet de reproches plus ou moins spécieux. C’est pour cela que nous avons cru nécessaire de dire ici quelques mots qui puissent mettre le lecteur à même de voir ce qu’il y a de fondé dans ces reproches.

On a donc dit que nous avions donné au Décret de la Sacrée Congrégation de l’Index, rendu en faveur de notre version, une portée qu’il est loin d’avoir, et que nous nous étions astreint à une littéralité exagérée qui nous a forcé de nous écarter parfois du génie de notre langue sans raison suffisante.

Le premier reproche n’est certainement pas mérité. Nous n’avons parlé qu’une seule fois du Décret delà Sacrée Congrégation de l’Index, et voici en quels termes : « Il nous reste une dernière remarque à faire, c’est que les diverses fautes que l’on pourra relever dans notre traduction ne sauraient être d’une grande importance, puisque le Saint-Siège, auquel nous avons cru devoir la soumettre, n’en a permis la publication qu’après un long examen fait par la Sacrée Congrégation de l’Index. » (Avertissement, p. xxvi.) Or, y a-t-il là un seul mot qui exagère le sens du Décret ? Quelques personnes, il est vrai, prétendent que notre livre a été examiné uniquement sous le rapport de la foi et de la morale, et nullement au point de vue de sa fidélité et de son exactitude comme traduction. — Mais cette supposition est une injure faite à Pie IX aussi bien qu’à la Sacrée Congrégation de l’Index. Est-il permis, en effet, de supposer que le tribunal sacré de l’Index, chargé officiellement parle chef infaillible de l’Église de lui déclarer si un livre annoncé comme contenant les paroles de Jésus-Christ et celles des Apôtres peut, en cette qualité, être livré aux mains des fidèles, ait donné une réponse affirmative, après s’être borné à voir si ce livre ne contenait rien de contraire à la foi et aux mœurs, et sans s’inquiéter si ces paroles divines ou divinement inspirées avaient passé sous la plume du traducteur pures et exemptes de toute allération ?

Est-il permis encore de supposer que le juge suprême, aussi peu soucieux lui-même de la vérité que ses mandataires, dans la cause la plus importante qu’il ait pu leur confier (cause dont le sujet et la matière sont Dieu et ses oracles sacrés), ait confirmé de son autorité un pareil jugement ? Non, cette supposition n’est pas vraisemblable ; ajoutons qu’elle n’est nullement vraie. En effet, si on consulte les archives de la Sacrée Congrégation, on y verra que, dans l’intervalle de plus de deux années, notre traduction a eu à subir son contrôle direct, et qu’au bout de cet intervalle, deux Évêques français des plus distingués ont été chargés officiellement par Pie IX de donner leur opinion motivée ; on y verra que les Rapports des deux prélats, après avoir été discutés, sont devenus l’objet de nouveaux Rapports faits au sein même de la Sacrée Congrégation, et qu’on a réuni et imprimé ces divers travaux (dont un en particulier n’a pas moins de 204 pages in-fol.) ; on y verra qu’alors nous avons été appelé chez un consulteur, où nous avons dû, pendant plusieurs semaines, répondre, tous les jours, dans des séances de 3 à 4 heures, aux nombreuses et minutieuses difficultés contenues dans les divers Rapports, et toutes relatives à la conformité de notre traduction avec la Vulgate ; enfin on y verra que ce n’est qu’à la suite de ce long examen qu’a été présenté à l’assemblée des EE. Cardinaux membres de la Sacrée Congrégation de l’Index un dernier Rapport qui a été examiné et approuvé par eux, pour l’être ensuite, en dernier ressort, par le Souverain Pontife.

On a prétendu encore que par la formule du Décret : Nihil obstat quominus editio permitti possit, il n’avait été accordé aucune approbation à notre Version, mais seulement la permission de la publier après examen et par suite des corrections insérées par l’auteur. — Pour faire une pareille observation, il faut ignorer, ou avoir oublié que dans le langage ordinaire les mots approbation, autorisation, permission d’imprimer ou de publier, sont absolument synonymes, et par là même continuellement confondus ; aussi n’est-il pas un seul évêque au monde qui se fasse un scrupule de les employer indistinctement l’un pour l’autre. Il faut ignorer encore qu’il y a plusieurs sortes d’approbations, et qu’il en est une au moins qu’on ne saurait contester à notre Traduction : « Il faut distinguer trois sortes d’approbations, a dit M. Malou, ancien évêque de Bruges, et dont l’Église pleure la mort récente. La première est donnée par un concile œcuménique ou par le Souverain Pontife, proposant à tous les fidèles, comme chef de l’Église, un point de doctrine catholique ; la seconde est accordée par le Souverain Pontife, comme chef de l’Église, à des auteurs catholiques, pour autoriser l’usage des versions nouvelles ; la troisième peut être donnée par un archevêque, un évêque, une université catholique… Cette (dernière) approbation est inférieure aux deux précédentes ; et, d’abord, elle ne donne à la version approuvée aucune autorité dans l’Église universelle ; elle est naturellement circonscrite dans le territoire propre à la juridiction dont elle émane, elle ne place pas la version au-dessus de toute contestation ; que dis-je? Elle peut être précipitée, hasardée, erronée et reprouvée par l’Église. C’est ainsi que la version française de Richard Simon, imprimée à Trévoux avec l’approbation de deux docteurs de Sorbonne, fut condamnée par Bossuet ; c’est ainsi que le Nouveau Testament de Mons, approuvé par plusieurs théologiens, fut condamné par les évêques de France et par le Saint-Siège ; c’est ainsi que la version du P. Quesnel, approuvée par le cardinal de Noailles, d’abord évéque de Châlons, ensuite archevêque de Paris, fut condamnée par l’épiscopat français et par Clément XI (1). » Ainsi le second genre d’approbation appartient incontestablement à notre Traduction. Quant aux corrections (emendationibus) dont il est parlé dans le Décret, nous pouvons prouver, pièces en main, que la Sacrée Congrégation n’a pas eu à signaler, soit dans la traduction du texte, soit dans les noies, une seule faute ayant quelque importance, mais seulement des observations relatives à une rédaction plus soignée de quelques phrases, et à quelques expressions mieux choisies.

Quant au second reproche adressé à notre traduction, celui qui regarde le système de rigoureuse littéralité que nous avons constamment suivi, nous pensons en être pleinement justifié par la considération que ce système nous a été imposé par le traducteur sans égal, Bossuet, que nous avons pris pour modèle, et à qui, par conséquent, nous avons dû faire le plus d’emprunts possible. Or, Bossuet ne connaît pas de raison suffisante d’abandonner jamais, même au détriment du génie de notre langue, une littéralité qui rend le texte et le texte tout entier dans sa simplicité, dans sa rudesse, et, le cas échéant, dans ses ombres et son obscurité ; une littéralité qui n’autorise point la licence criminelle d’introduire dans le texte des paraphrases qu’on devrait renvoyer dans les notes, pour ne point mêler ou substituer la pensée de l’homme à la pensée de Dieu ; une littéralité qui ne veut pas que par un esprit de ménagement et une fausse délicatesse on donne un sens vague à un terme précis ; une littéralité qui exige non seulement que les expressions et les tours identiques dans le texte se rendent de la même sorte dans la traduction ; mais encore que la figure du texte, son allure, sa manière d’être, sa physionomie, soient fidèlement reproduites, en conservant tous les idiotismes grecs ou hébreux. Enfin, Bossuet ne connaît pas de raison suffisante d’abandonner une littéralité, qui, en présence du texte sacré, rejetant toutes les pompes de l’éloquence humaine, parle simplement et comme de mot à mot la langue des pauvres pécheurs de Galilée. Ces considérations, que Bossuet a répandues çà et là dans ses écrits (2), se trouvent parfaitement résumées dans le passage suivant, où, en parlant de la traduction de Sacy, imprimée à Mons, il dit au maréchal de Bellefonds : « Je vois avec regret que quelques-uns affectent de lire une certaine version plus à cause des traducteurs qu’à cause de Dieu qui parle, paraissent plus touchés de ce qui vient du génie ou de l’éloquence de l’interprète que des choses mêmes. J’aime pour moi qu’on respecte, qu’on goûte et qu’on aime dans les versions les plus simples la sainte vérité de Dieu. Si la version de Mons a quelque chose de blâmable, c’est principalement qu’elle affecte trop de politesse, qu’elle veut faire trouver dans sa traduction un agrément que le Saint-Esprit a dédaigné dans l’original. Aimons la parole de Dieu pour elle-même, que ce soit la vérité qui nous touche, et non les ornements dont les hommes éloquents l’auront parée. La traduction de Mons aurait eu quelque chose de plus vénérable et de plus conforme à la gravité de l’original, si on l’avait faite un peu plus simple, et si les traducteurs eussent moins mêlé leur industrie et l’élégance naturelle de leur esprit à la parole de Dieu (1). »

On comprend aisément qu’ayant souscrit à ces conditions imposées à quiconque veut traduire la Bible d’une manière digne et convenable, nous n’ayons pas couru après l’élégance du style, vaine chimère qu’on n’atteindra jamais dans une traduction de la Bible, sans s’écarter de la voie de la fidélité et de l’exactitude. Nous avions d’ailleurs un autre modèle que nous devions imiter tout naturellement, nous voulons parler de saint Jérôme lui-même. Or, le savant Père s’est-il jamais fait un scrupule de violer le génie de l’idiome latin en employant des termes et des tours de phrases inusités dans la pure latinité classique ? Et si, sans remonter aussi haut, nous demandions à l’Italien Martini, à l’Espagnol Scio, à l’Allemand Allioli et aux auteurs de la Bible anglaise catholique, pour quoi ils ont, eux aussi, sacrifié si souvent dans leurs versions le génie de leur langue et surtout l’élégance du style, ils ne manqueraient pas de répondre, que c’était pour ne pas être obligés de sacrifier quelque chose de beaucoup plus important, le respect et la fidélité dus au texte sacré. Mais si notre traduction, comme toutes celles qui se piquent d’une rigoureuse fidélité, n’est pas d’une élégance classique, comme on dit, elle est du moins correcte ; aussi, nous ne craignons pas de le dire, ceux qui en ont critiqué certains passages ont prouvé par là même qu’ils avaient une connaissance bien imparfaite de notre langue.

Comme beaucoup de catholiques ne rougissent point de se joindre au commun des protestants pour déprimer la Vulgate, ou au moins pour lui refuser toute l’estime qui lui est due à tant de titres, nous avons cru devoir mettre en tête de notre volume les témoignages des critiques les plus habiles et des interprètes les plus savants du protestantisme en faveur de cette Version, qui a conquis d’ailleurs la vénération de tous les siècles qu’elle a traversés…

Comme aussi nous avons été blâmé (là même où nous espérions trouver naturellement toute autre chose qu’un blâme) de nous être adressé à Rome pour y faire autoriser notre traduction, il nous a paru convenable de rapporter les lettres de NN. SS. les Evéques qui ont daigné nous féliciter de cette démarche, en employant, soit dit en passant, les expressions de la plus haute sanction, celle du Saint-Siège ; la plus haute approbation que puisse ambitionner notre foi ; l’approbation supérieure du Saint-Siège ; une garantie pour les prêtres et pour les fidèles qu’aucune autre ne remplace ; approuvée par le Saint-Siège ; une approbation qui suffit à tout et au delà.

Le R. P. Grenier, missionnaire Oblat, à Québec, dans le bas Canada, a bien voulu nous proposer quelques améliorations que nous avons mises à profit avec reconnaissance. La Table qui termine notre volume est une de ces améliorations. Ainsi, c’est d’après les conseils du savant missionnaire que nous avons traduit en français A Table of Références, placée à la fin des Bibles anglaises catholiques, en l’intitulant : Citations par ordre alphabétique des textes de la Bible qui établissent les dogmes catholiques contre les erreurs des protestants. Les catholiques peuvent opposer ces citations avec confiance aux protestants qui leur disent, que leurs prétendus dogmes ne sont nullement fondés sur l’Écriture, et qu’ils n’ont d’autre appui que les décisions imaginaires de l’Église romaine. C’est encore d’après ses conseils que nous avons ajouté à la fin de ce volume une note supplémentaire dont le but est d’appuyer par des exemples celle que nous avons faite sur les expressions, les frères, les sœurs de Jésus (Matth., xii, 46 ; xiii, 55, 56), « point très important, dit le Père Grenier, dont nos frères séparés se servent tous les jours pour égarer nos pauvres catholiques. »

Un dernier mot sur notre traduction. Il y a, sans contredit, dans le Nouveau Testament, comme dans les autres parties de la Bible, des passages difficiles à comprendre, puisque l’apôtre saint Pierre lui-même avoue qu’il s’en trouve dans les Épîtres de saint Paul (II Pierre, iii, 16). Nous rappellerons donc au lecteur, que, comme, d’après le même apôtre, il n’est pas permis d’expliquer aucune prophétie, c’est-à-dire aucune parole inspirée de l’Écriture par une interprétation particulière, il devra, pour tous ceux que nous n’avons pu expliquer suffisamment, recourir aux pasteurs de l’Église, qui ont reçu lumière et mission pour éclaircir les difficultés, comme on recourt ordinairement et tout naturellement aux jurisconsultes, par exemple, pour toute question de législation embarrasante, ou bien aux médecins pour tous les cas difficiles que peut présenter la pathologie, ou toute autre partie de la médecine.

J.-B. GLAIRE.
  1. (1) J.-B. Malou, La lecture de la Bible en langue vulgaire, etc., t. I, p. 74, 76.
  2. (2) M. Wallon, de l’Institut, digne interprète de Bossuet, a réuni la plupart de ces considérations dans les Èvangiles, traduction de Bossuet, mise en ordre. Avertissement, passim.
  3. (1) Lettre XXIX, au maréchal de Bellefonds, t. xxxvii, p. 76 ; edit. de Versailles, 1818.